Le Patrimoine culinaire: quand la recherche académique et le travail associatif se rejoignent
Par Gleya Maatallah - La mondialisation de la malbouffe et l’envahissement de l’environnement (espace familial, scolaire, social) par le fast food ne cessent d’affecter l’alimentation de toutes les catégories d’âge. De même, les médias, avec leurs spots publicitaires et leurs techniques ciblées ont de leur côté contribué à ancrer ce type d’alimentation dans la société de consommation. Dans ce contexte, ni la propagation du Bio ni la mise en garde continuelle des spécialistes de la nutrition contre les effets néfastes de cette alimentation ne sont capables de freiner le mal (obésité, diabète etc.).
Pour cela, le recours à d’autres moyens plus subtils et éventuellement plus efficaces s’impose, tels que le retour aux pratiques culinaires des ancêtres pour une alimentation naturellement saine et équilibrée.
C’est dans ce sens que l’Association Méditerranéenne pour la Pédagogie et la Citoyenneté et l’Amicale des Employés de l’Institut National du Patrimoine ont organisé les 3.4 et 5 novembre un colloque portant sur le thème suivant:
Le patrimoine culinaire dans les pays du bassin méditerranéen: diversité, originalité, innovation
Dès l’appel à communications publié depuis quelques mois sur deux sites, les organisateurs avaient rappelé que le bassin méditerranéen, riche de ses cultures millénaires et de ses habitudes ancestrales, constitue une entité géographique qui partage, entre autres, un remarquable patrimoine culinaire. Ils avaient également précisé que la cuisine méditerranéenne se distingue par des spécificités communes aux pays des deux rives, que ces spécificités sont influencées par des facteurs climatiques, géographiques, humaines etc. C’est dans ce même sens que les populations de ces pays sont connues comme de grandes consommatrices d’huile d’olive, de céréales, de légumes et de fruits. Les épices, quant à elles, constituent un autre atout qui, à la fois, révèle un savoir-faire transmis en héritage de génération en génération et qui reste ouvert à toute innovation enrichissante.La thématique du colloque était l’occasion de s’interroger, au travers des différentes disciplines, sur la richesse, la diversité et l’originalité des cuisines dans les pays des deux rives de la Méditerranée. La réflexion sur le sujet devait permettre de:
• Voir comment se crée, à travers les discours et les initiatives, la volonté de sauvegarder ce patrimoine et de l’ouvrir à l’échange, à l’innovation.
• Montrer comment la sauvegarde de ce patrimoine est de nos jours devenue un enjeu socioéconomique, culturel et environnemental.
• Souligner les différents volets de ce patrimoine (international, national et régional) et de voir comment ces volets sont abordés dans les littératures, les arts et les sciences humaines.
• Montrer la place et la diffusion (dans l’espace social et médiatique) des multiples représentations du patrimoine.
Il est bon de rappeler là, qu’à côté des travaux académiques sur l’art culinaire, il y a le rôle considérable que jouent de nombreuses associations; ces dernières s’activent pour sauvegarder le patrimoine en organisant des «balades culinaires» des séminaires, des journées de dégustation, etc. C’est pour cela que les organisateurs du colloque avaient d’emblée envisagé deux volets dans les travaux: un volet académique et un volet associatif. Ce choix délibéré avait pour objectif d’ouvrir la recherche universitaire aux efforts des associations œuvrant pour la mise en valeur des produits de terroir dans toutes les régions.
Un autre détail à souligner concerne l’importance que la Tunisie accorde au patrimoine il y a d’abord, le mois du patrimoine organisé chaque année et qui donne l’occasion aux intéressés (en particulier aux femmes rurales) de faire connaître leur savoirs faire (culinaire et autres). A ceci s’ajoute les festivals régionaux qui, eux, s’intéressent, selon les saisons, aux différents produits de terroir: le festival des grenades de Testour, des figues de Djebba, de la harissa à Nabeul etc.
Les travaux du colloque se sont déroulés (pour les deux premières journées) à l’Institut National du Patrimoine où l’ouverture a été assurée par le Directeur Général. Les travaux de la dernière journée ont eu lieu au Musée du Bardo. Ces deux espaces prestigieux sont eux-mêmes des lieux emblématiques du patrimoine tunisien, de sa richesse et de sa diversité.
Les participants, venus de différentes universités des pays des deux rives de la Méditerranée (Tunisie, Algérie, Maroc, Liban, France, Italie, Grèce) ont également des spécialités diverses: de la médecine à l’anthropologie, de l’histoire à la sociologie, de la littérature aux médias etc. La question du patrimoine a donc été saisie dans tous ses aspects. Le public, universitaire et associatif, a pu suivre pendant les trois journées des développements, des analyses et des démonstrations à la fois riches et variées: Des «circulations alimentaires et culinaires dans la Méditerranée au Moyen Âge» aux «perspective de développement durable» en Tunisie par le moyen de la sauvegarde du patrimoine, des «échanges culinaires entre la Tunisie et la Grèce» aux «influences gastronomique andalouses à Testour», de «la mémoire gustative chez les écrivains italo tunisienne» aux «saveurs du Levant» dans la littérature occidentale, de la recette «comme modalité fictionnel le» à l’art de «de séduire» par la cuisine ou à «l’influence du désign émotionnel» dans la société de consommation, de l’alimentation frugale, en cas de catastrophe, à l’opulence actuelle etc.
La méditerranée en partage s’est par ailleurs manifestée lors de pauses-cafés, les participants ont eu l’occasion de rencontrer les membres de certaines associations venus de plusieurs villes (Testour, El Krib, Soliman, Beni Khiar etc.) et de déguster certains produits de terroir et des plats régionaux dont la «ojja de mayou», le couscous sucré, la rfissa aux dattes et aux raisins secs etc.
Gleya Maatallah
Enseignante universitaire retraitée
Présidente de l’Association Méditerranéenne pour la Pédagogie et la Citoyenneté