Farhat Hached, martyr de la lutte d’indépendance de la Tunisie: Témoignage de Chadli Laroussi
En ce 5 décembre 2023, la Tunisie commémore le 71ème anniversaire de l’assassinat du héros de la Résistance Tunisienne à l’occupation coloniale: Farhat Hached.
Je donne ici le témoignage du jeune écolier de 10 ans que j’étais à l’époque à propos de ma première rencontre avec Farhat Hached à Médenine, chef-lieu du Sud-Tunisien, décrété territoire militaire et placé sous l’autorité d’un général de l’armée d’occupation, et le récit de sa visite à notre domicile où il passa la nuit sur invitation de Sidi (mon père) tel que relaté dans ses mémoires posthumes «Carnets d'un syndicaliste du sud tunisien (1908-1961), Journal d'un militant suivi de deux pièces de théâtre[1]» et reproduit dans mon ouvrage autobiographique «un prénom pour exister[2]»:
«Un jour, à son retour de l'école, Larouch (le fils aîné de Sidi) n'en crut pas ses yeux, en voyant, pour la première fois, stationnée devant leur magasin, une berline noire. Et il fut encore plus étonné de voir, face à son père, un homme qui portait à la fois la chéchia rouge, couvre-chef traditionnel, et un costume moderne, en tout point identique à celui de Monsieur Brun (le directeur de l'école primaire franco-arabe de Médenine).
- C'est bien ton fils? Je le vois à ses traits, dit l'hôte de Sidi qui n'était autre que Farhat Hached, le secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail, en tournée dans le Sud.
Comme le voulait l'habitude dans ces contrées, Sidi invita son hôte à dîner chez lui. Une fois à la maison, ils veillèrent jusque tard dans la nuit. Après avoir installé son ami dans la chambre d'hôte, Sidi regagna sa chambre. Là, il reprit son cahier pour y noter l’événement du jour:
"La visite de Farhat Hached effaça mes derniers doutes quant au bien-fondé de ma décision d’avoir scolarisé Larouch. L'analyse de la situation que vient de me faire mon ami est claire et nette : la Résistance aura à verser beaucoup de larmes et de sang avant de parvenir à l'indépendance de la patrie.
- La libération de notre peuple prendra du temps. On y parviendra si on tient bon, m'a-t-il dit.
Tout au long de l'entretien, il ne cessa de marteler qu’il faut tenir bon. Et quand je lui ai parlé de ma dernière correspondance, il m'a répondu:
- Oui, je comprends tes appréhensions. Mais sache que la liberté a un prix. Et je suis prêt à le payer."
Sidi se rappela bien ces mots lorsqu'il fut convoqué à l’automne de l'année 1952 par le chef de la garnison militaire à Médenine qui le menaça, en termes à peine voilés, de liquidation physique s'il ne mettait pas fin à ses activités syndicales qui n'étaient, à ses yeux, qu'une couverture à des activités politiques subversives, avant de lui signifier sur un ton agressif:
- Nous sommes bien au courant qu'en l'absence de Bourguiba, c'est votre chef qui est en train d'organiser la rébellion armée.
Il visait évidemment Farhat Hached.
Voyant l'étau se resserrer autour de lui, Sidi s'en était ouvert à Farhat Hached dans une lettre, en date du 10 novembre 1952, où il lui disait en substance :
«Les autorités civiles et militaires au Sud ont fait monter d'un cran leurs actions répressives pour saper le moral de nos militants. Il y a une incitation à la discorde entre les tribus. On a fait monter la pression sur moi pour m'acculer à me soumettre. Depuis des mois, je me sens dans une prison sans barreaux. Désormais, je suis traqué, malmené, interdit de mouvement...»
Déprimé et prêt à tout sacrifier, y compris sa famille, pour rester fidèle à la Résistance et continuer à défendre la cause de la patrie même au prix de sa vie, il terminait sa lettre par ce message prémonitoire:
«J'ai estimé de mon devoir de vous aviser de ce que l'ennemi est en train de tramer pour anéantir notre Union et ses chefs. Quant à mon humble personne, bien que je me sente visé, je voudrais vous assurer que je continuerai à assurer ma noble mission avec abnégation jusqu'au dernier souffle. De toute façon, si on m'élimine aujourd'hui, je mourrai en martyr, débarrassé d'une vie, somme toute devenue un lourd fardeau…»
Moins d'un mois plus tard, plus exactement le 5 décembre 1952, Farhat Hached tombe en martyr sous les balles de la tyrannie!.
Quatre ans plus tard, en 1956 la Tunisie obtient son indépendance, après 75 ans d’occupation.
Chadli Laroussi
[1] Mohamed Laroussi, Carnets d'un syndicaliste du sud tunisien (1908-1961): Journal d'un militant suivi de deux pièces de théâtre éditions Nadhar https://ceresbookshop.com/fr/histoire/489934-carnets-d-un-syndicaliste-du-sud-tunisien-1908-1961-moncef-laroussi-9789983994308.html
[2] Chadli Laroussi https://www.leaders.com.tn/article/19779-une-saga-tunisienne
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