Santé mentale des Tunisiens: une plongée dans l'impact des images choquantes de Gaza à travers les médias
Que lest l’impact du carnage perpétré contre les Palestiniens à Gaza, et fortement relayé par les medias sur le mental des Tunisiens? Une enquête d’opinion effectuée par l'équipe du service de santé mentale de l'hôpital Mongi Slim, sous la direction du Professeur Rym Rafrafi, a révélé des indicateurs très significatifs. Conduite par le résident en psychiatrie Samir Samaâli, principal investigateur, accompagné par ses collègues Emna Bouguira, Karim Nejeh, et Mona Mrad, elles est déroulée sur une période de 10 jours, du 7 au 17 novembre 2023 et porté sur 683 Tunisiens. Suivant avec assiduité les événements à Gaza, ils étaient exposés chaque jour au contenu médiatique relatif à la guerre. L'objectif principal de cette enquête était d'explorer les répercussions émotionnelles de la guerre, tout en évaluant l'impact psycho traumatique résultant d'une exposition répétée à une couverture médiatique continue et pressante.
Contexte de l’enquête
À l'ère des médias modernes, l'influence des images dans la transmission d'informations s'est érigée en pilier essentiel. Elles transcendent le simple acte de communiquer des faits, éveillant des émotions profondes et parfois des tourments, tissant ainsi une connexion empathique au-delà des frontières. Dans les tourbillons de la crise, ces nouvelles formes médiatiques nous plongent sans filtre dans la brutalité de la souffrance humaine.
Depuis le 7 octobre 2023, une nouvelle vague de conflits ensanglante Gaza, laissant derrière elle un sillage de pertes humaines, touchant femmes, enfants, civils, journalistes et médecins. Des images violentes se propagent viralement à travers divers médias, capturant des instants de mort, de cadavres mutilés, les pleurs d'enfants et de leurs parents. Les médias internationaux et les réseaux sociaux tels que Facebook, TikTok, Telegram et Instagram diffusent en temps réel ces images poignantes et les informations liées à cette nouvelle vague de violences.
Deux mois après le début de la guerre à Gaza, la situation humanitaire persiste à émouvoir quotidiennement, secouant les consciences et donnant lieu à des mouvements de protestation à l'échelle mondiale. Cette triste guerre ravive, avec une intensité particulière chez les générations plus âgées, les événements douloureux du passé, notamment la Nakba de 1948, ajoutant ainsi une couche à la mémoire traumatique de l'humanité.
Au travers de cette plongée au cœur de l'impact visuel, nous explorerons les multiples facettes de cette immersion intense, cherchant à décortiquer comment le constant déferlement d'images de guerre pourrait déclencher un traumatisme secondaire au de la société tunisienne.
A la loupe: le trouble de stress post-traumatique indirect
Le trouble de stress post-traumatique se présente comme une blessure invisible, résultant de l'expérience directe ou du témoignage d'un événement choquant, tel qu'un accident grave, une agression, une catastrophe naturelle, ou un acte de violence. Ce trouble peut déclencher des souvenirs soudains, tels que des flashbacks ou des cauchemars, engendrant une peur intense. Chez les individus affectés par ce trouble, des comportements d'évitement se manifestent à l'égard de certaines situations, lieux ou personnes associés à l'événement traumatique.
Un symptôme supplémentaire, connu sous le nom d'hypervigilance, se caractérise par une nervosité constante, avec l'impression persistante que quelque chose de mal va se produire. La personne peut facilement sursauter en réaction à des bruits inattendus. En outre, on observe le trouble de stress post-traumatique indirect, également appelé traumatisme par procuration, qui survient lorsqu'une personne est exposée de manière répétée à des récits difficiles vécus par d'autres, que ce soit à travers les médias d'information ou sur Internet.
Que l'individu ait vécu directement un traumatisme ou qu'il soit affecté par les récits d'autres personnes, ce trouble mental peut perturber le sommeil, entraîner une anxiété intense, susciter des sentiments de tristesse, voire conduire à des pensées suicidaires. Bien que complexe chez les personnes touchées par ce trouble, la reconnaissance de ces signes constitue la première étape cruciale pour obtenir une assistance professionnelle en santé mentale.
Résultats de l’enquête
Seulement 49,9 % des participants ont déclaré avoir un contrôle parental sur Internet pour les enfants de leur entourage. Les réponses émotionnelles prédominantes chez 80,5% des participants étaient teintées de négativité, exprimant la colère, le désespoir et la tristesse. Un pourcentage de 12,5% a rapporté un sentiment de culpabilité.
Face aux actualités de la guerre, la prière et la supplication ont été identifiées comme la principale stratégie d'adaptation, avec une fréquence de 47,4%. Cependant, l'utilisation de l'alcool et de la drogue a été observée chez 5,5% des participants.
Le boycott des produits était la principale forme d'expression de solidarité, concernant 67,7% des participants, suivi par des actes généreux tels que les dons (argent, médicaments, etc.) chez 34,6%.
Selon l'enquête, la prévalence du trouble de stress post-traumatique était estimée à 8,6%. Une altération de l'humeur a été objectivée chez 34,8% des participants, tandis que 24,9% ont mentionné des difficultés d'endormissement. Les facteurs associés à un impact psycho traumatique élevé comprenaient le sexe féminin, un âge jeune, une exposition via les réseaux sociaux, une exposition prolongée aux contenus de guerre, et un nombre important de contenus choquants par jour.
Personnes vulnérables au contenu choquant de la guerre
Dans les écrits scientifiques, l'observation fréquente de la vulnérabilité accrue des femmes et des jeunes à une exposition traumatique trouve son explication dans la reconnaissance de deux facteurs de risque prépondérants: le genre féminin et le jeune âge, tous deux étroitement liés au développement du Trouble de Stress Post-traumatique. Cette propension à la vulnérabilité peut découler d'un phénomène psychologique complexe d'identification aux victimes, particulièrement manifeste lors de tragédies impliquant des femmes et des enfants : tel est le cas de la crise humanitaire à Gaza.
‘’Le rapport poignant de l'UNICEF daté du 1 décembre : Au 1er décembre, 12 700 personnes, dont plus de 5 350 enfants et au moins 3 250 femmes, sont décédées à Gaza. Près de 30 000 personnes ont été blessées dont 9 000 enfants. Au moins 4 500 personnes, dont 3 500 enfants, sont portées disparues. Les enfants représentent 40 % des morts. Le bilan s’alourdit chaque jour de façon stupéfiante’’
Impact des Réseaux Sociaux: Un vecteur de ‘’Traumatisme par l’écran’’ parmi les Tunisiens
En Tunisie, en tête des pays africains les plus utilisateurs des réseaux sociaux, ces plateformes se révèlent être un vecteur potentiel du traumatisme lié au conflit de Gaza. La proximité psychologique avec les victimes, partageant une histoire coloniale, de la même identité arabo-musulmane et une grande partie de la culture orientale accroît le risque de cette exposition médiatique sur le bien-être mental des Tunisiens.
Dans notre pays où l'histoire de solidarité avec la cause palestinienne transcende les générations, le danger est manifeste. Les Tunisiens, profondément connectés dans cette société moderne, font face à une exposition intense aux images de guerre. Ce bombardement visuel incessant d'images violentes pourrait déclencher un phénomène de traumatisme secondaire, surtout en tenant compte de la profonde sensibilité de la société tunisienne à cette cause. Ainsi, la préoccupation grandissante concerne les conséquences potentielles sur le bien-être mental des Tunisiens, soulignant l'impératif de sensibiliser et de mettre en place un soutien psychologique dans ce contexte délicat.
Par rapport aux médias classiques (télévision, radio et journaux), les nouveaux médias, en particulier, les réseaux sociaux, ont le potentiel de générer un impact psychologique plus prononcé. Cette situation découle de la facilité et de la rapidité avec lesquelles les contenus visuels et narratifs choquants peuvent être partagés, alimentant ainsi la viralité inhérente à ces plateformes dynamiques.
Particulièrement depuis la crise de la Covid-19, une tendance émergente appelée "doomscrolling" a été identifiée. Elle se caractérise par une consultation compulsive d'informations négatives, exacerbant les effets psychologiques néfastes. Les chercheurs soulignent que les algorithmes addictifs des réseaux sociaux semblent jouer un rôle significatif dans l'encouragement de ce comportement compulsif, créant ainsi un cercle vicieux de consommation d'informations négatives. Cette spirale peut engendrer des répercussions psychologiques plus graves que celles générées par les médias traditionnels, mettant en lumière la nécessité d'une vigilance accrue.
A la lumière de cette enquête, il devient impératif d'envisager des mesures préventives ciblées, notamment en éduquant le public sur la gestion saine de l'exposition médiatique, en renforçant les stratégies d’adaptation positives, l’aider à renforcer sa résilience, qui se définit comme la capacité d'une personne à s'adapter et à se remettre de manière positive face à des adversités, des traumatismes, des situations difficiles ou des stress importants.
Conseils pratiques pour la gestion de l’impact psychologique de l’exposition médiatique au contenu choquant de la guerre
Afin de préserver votre bien-être psychologique tout en préservant votre capacité naturelle à ressentir de l'empathie et à vous engager dans une cause, nous vous recommandons plusieurs mesures:
• Normalisez les réactions émotionnelles négatives: Il est tout à fait normal de ressentir des émotions négatives face à des contenus médiatiques choquants. Acceptez et reconnaissez vos émotions sans jugement. N'hésitez pas à en parler avec des proches, avec des personnes de confiance ou à chercher du soutien si nécessaire.
• Contrôlez votre exposition aux contenus médiatiques: Limitez le temps que vous consacrez à l'exposition quotidienne de ces contenus. Évitez de regarder ces vidéos la nuit, et soyez particulièrement attentif à modérer cette exposition pendant les périodes de stress majeur.
• Vigilance accrue envers les personnes les plus vulnérables: Accordez une attention particulière aux femmes, aux personnes souffrant de troubles psychiatriques chroniques tels que le trouble bipolaire et la schizophrénie, à celles qui ont déjà des antécédents de Trouble de Stress Post-traumatique ou qui ont vécu des traumatismes dans leur vie. Veillez également à protéger les enfants qui peuvent être exposés involontairement à ces contenus en l'absence de contrôle parental sur les réseaux sociaux.
• Consultez un professionnel de la santé mentale en cas de symptômes: Si vous constatez l'apparition de symptômes de trouble de stress post-traumatique, une anxiété difficile à contrôler, des signes de dépression ou des troubles du sommeil, il est essentiel de contacter un professionnel spécialisé en santé mentale. Un accompagnement professionnel peut jouer un rôle crucial dans la gestion de ces problèmes.
Article rédigé par Samir Samaâli
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