Slaheddine Dchicha - Gaza: «Vomito Blanco»
«Toutes les nations occidentales se sont empêtrées dans un mensonge; celui de leur prétendu humanisme.» James Baldwin
En 1974, le grand écrivain et penseur marocain, le regretté Abdelkébir Khatibi, publiait son fameux pamphlet intitulé «Vomito blanco»* et dès l’ouverture du livre, il a posé des questions essentielles dont la pertinence n’a fait depuis qu’augmenter et aujourd’hui encore, cinquante ans plus tard, elles sont d’une actualité brûlante. Que l’on juge:
«Pourquoi s'acharne-t-on à détruire le peuple palestinien? (…) Pourquoi ferme-t-on les yeux sur l'ethnocide des Palestiniens? Ne se tait-on pas sur les crimes sionistes tout en dénonçant hypocritement la contre-terreur palestinienne? (…) Au juste, pourquoi un tel aveuglement et une mauvaise foi si flagrante?» (p.1)
Depuis le 7 octobre dernier, chacune de ces interrogations s’est trouvée confirmée, étayée et amplement illustrée.
Mauvaise foi
Les montres et les agendas sont restés bloqués sur le 7 octobre avec la ferme volonté de ne pas contextualiser cette attaque et de ne tenir compte ni de l’ occupation, ni de la colonisation, ni de l’apartheid pour qui tout geste de désobéissance, tout acte de résistance, toute velléité de rébellion venant des Palestiniens, constitue un acte terroriste à réprimer dans le sang avec l’assentiment de l’Occident convaincu du sacro-saint principe «Le droit d’Israël de se défendre». Et c’est au nom de ce principe devenu mantra que, depuis trois mois, un déluge de bombes est déversé sur les Gazaouis au préalable transformés par la propagande israélienne en terroristes fanatiques et barbares voire déshumanisés et réduits à la condition d’ animaux qu’il est permis et légitime d’affamer, d’assoiffer, d’écraser et d’anéantir…
Génocide
Gaza, cette enclave assiégée, ce ghetto, ce camp de concentration, cette prison à ciel ouvert où s’entassent 2, 5 millions d’habitants est devenue depuis le 7 octobre une fosse commune pour tout un peuple, un tombeau à ciel ouvert! Et cela ne semble perturber en rien la conscience de ce qui est appelée la «Communauté internationale». Cette dernière accepte sans verser une seule larme ce bilan accablant et hélas très provisoire: les pertes palestiniennes s’élèvent à ce jour à 23 210 morts, 59 167 blessés et plusieurs milliers de disparus. Sachant par ailleurs que les enfants et les femmes représentent 70% des victimes…
Face à ce désastre, les puissants -autrement dit les U.S.A, l’U.E et quelques-uns de leurs affidés- ne pleurent pas et ils interdisent aux autres de le faire ou de parler de Génocide! Car ce sont eux seuls, en maitres du langage, qui peuvent définir et nommer «le génocide», comme ils l’ont fait pour «le terrorisme», «la démocratie», «la liberté d’expression»,…
Urbicide
Les dirigeants israéliens nient, eux aussi, toute visée génocidaire et affirment faire la guerre aux seuls «terroristes de Hamas», mais pour ce, ils recourent à des méthodes qui relèvent de la «guerre de la terre brûlée» puisqu’ils utilisent des munitions de 250 Kg qui dévastent tout: les habitations, les commerces, les hôpitaux… elles détruisent systématiquement toutes les institutions et toutes les infrastructures… rendant ainsi toute vie impossible pour les survivants qui sont d’ailleurs fortement incités à partir,… certains membres du gouvernement israélien parlent même de les déplacer au Congo ou au Rwanda… Et cet urbicide de réveiller dans la mémoire palestinienne le traumatisme de la Nakba de 1948 et le souvenir Deir Yassin et d’autres villages rayés de la carte par l’Irgoun, le Lehi et autres organisations terroristes sionistes…
Ethnocide
Les bombes israéliennes n’épargnent ni les écoles, ni les universités, ni les bibliothèques… Elles n’épargnent ni les lieux de culte, ni les vestiges historiques, ni les cimetières…
Tout ce qui constitue l’identité, la culture, l’histoire, la vie spirituelle et religieuse du peuple palestinien est saccagé si ce n’est par les bombes, c’est à coups de bulldozers… sans oublier les hommes et les femmes de science et de culture. Outre la perte de 110 journalistes, les Palestiniens déplorent la mort d’universitaires comme le recteur Sufyan Tayeh, de scientifiques comme le Docteur Muhammad Eid Shabir, d’écrivains et poètes comme Refaat Alareer…
Ainsi trois crimes sont en train de se commettre en Palestine au vu et au su de tous: un génocide, un urbicide et un ethnocide! Et cela ne fait que confirmer les propos de Abdelkébir Khatibi en 1974:
«Ce que continue à vouloir Israël, c'est être l'Occident dans l'Orient, c'est expatrier le peuple palestinien hors de son projet» (p.4)
*AbdelKébir Khatibi, «Vomito Blanco», Ed. 10/18, 1974
Slaheddine Dchicha