Ridha Bergaoui : L’azolla peut-il sauver les petits éleveurs en Tunisie ?
Par Ridha Bergaoui - Lors de sa visite dans la région de Zaghouan, jeudi 29 février 2024, le ministre de l’Agriculture des Ressources hydraulique et de la Pêche s’est rendu à l’Ecole supérieure d’agriculture de Mograne où il s’est rendu compte du fonctionnement de ce prestigieux établissement de l’enseignement supérieur agricole. Il a eu également l’occasion de voir quelques essais menés par les enseignants dont celui de l’azolla, cultivé en tant que fourrage alternatif pour les animaux dont les aliments sont devenus, ces dernières années, excessivement chers.
L’azolla, une fougère qui nous vient de loin
L’azolla est une fougère aquatique. C’est une plante (avec ses racines, tiges et feuilles appelées frondes) qui a la particularité de se reproduire par des spores (mâles et femelles) placées sur la face inférieure des feuilles et qui permettent la reproduction sexuée. Dans les conditions optimales, ces spores germent et donnent de nouvelles plantules. La multiplication de l’azolla peut se faire également d’une façon asexuée à partir d’éclats du rhizome.
L’azolla a la particularité de vivre en symbiose avec une bactérie (cyanobactérie) qui se loge dans la face inférieure des frondes flottantes. La bactérie profite de la protection de la plante qui, à son tour, bénéficie de l’azote de l’air fixé par la bactérie.
L’Azolla se trouve presque partout sur les cinq continents avec des espèces adaptées aux conditions climatiques locales. Il est bien adapté surtout aux pays chauds. Le genre Azolla comporte de nombreuses espèces, la plus cultivée est Azolla pinnata, originaire de l’Afrique de l’Est, Asie et Australie. Initialement connu en tant que mauvaise herbe spontanée dans les plans d’eau peu profonds et calmes, les azollas ont été depuis longtemps utilisé comme engrais vert surtout en Asie dans les rizières. Cultivé en association avec le riz, l’azolla périt rapidement en laissant sur le champ de la matière organique riche en azote et autres élément nutritif à la disposition de la culture du riz. Grace à son développement rapide et important il occupe le sol et empêche le développement des mauvaises herbes. L’azolla est également cultivé comme fourrage pour alimenter les animaux surtout par les petits éleveurs particulièrement en Inde. En Europe, on le retrouve comme plante décorative cultivé dans les bassins d’eau dans les jardins.
L’azolla, beaucoup d’avantages
L’azolla présente de nombreux avantages :
- Peu exigeant, facile à multiplier, cultiver et entretenir.
- Sa culture nécessite très peu de moyens (des bacs avec une couche d’eau d’une dizaine de centimètres de hauteur et de temps en temps un peu de fumier) et surtout beaucoup de soleil (gratuit).
- Riche en protéines (25 à 30% de la matière sèche, autant qu’un bon bersim ou une bonne luzerne), acides aminés essentiels, minéraux et vitamines avec une faible teneur en lignine.
- Croissance rapide et très importante. Forte capacité de multiplication. L’azolla peut doubler de biomasse en 5 à 10 jours.
Bien apprécié par les animaux aussi bien en vert qu’après séchage.
Il présente néanmoins quelques inconvénients :
- Riche en eau (plus de 90%).
- Exige une eau peu chargée en sels.
- Craint les fortes chaleurs (> 35°C) et le froid, croissance optimale 25°C.
Culture de l’azolla
La culture se fait dans des bassins généralement de 1,5 à 2 m de large, pour pouvoir accéder aux plants des deux côtés et de 20 cm de profondeur. La longueur varie selon le besoin de l’éleveur et la configuration du terrain. L’endroit doit être abrité, un peu ombragé. Les bacs sont tapissés par une bâche en plastique pour l’étanchéité. Ces bacs sont soit creusés dans le sol soit matérialisés par des briques placées pour délimiter le bac. On met dans le bac une couche de quelques centimètres de terre agricole, du fumier de vache ou autres et on remplit d’eau (environ 10 -15 cm de hauteur). On laisse reposer, on nettoie les bacs des saletés qui flottent et on inocule avec de l’azolla (acheté ou provenant d’une culture précédente) disposé à la surface de l’eau en petits fragments pour favoriser sa multiplication. Il faut compter environ 1 à 2 kg pour un bac de 4 m² de bac. Laisser la culture s’adapter, s’installer et se développer. Après deux semaines, tout le bac sera couvert d’azolla. Il sera alors possible de récolter (avec un tamis), tous les jours jusqu’à 1 kg (selon les conditions de culture, surtout température et ensoleillement) d’azolla frais pour un bac de 4 m² soit 30 kg par mois ce qui représente environ 75 tonnes/ha/mois (soit 5 à 6 tonnes de matière sèche/ha/mois). On ajoute de temps en temps un peu de fumier (mélangé à de l’eau) et si possible un peu d’engrais chimiques (phosphate et potassium). Récolter régulièrement et éviter le surpeuplement. Ajouter de l’eau, si nécessaire, surtout en été Il est préférable de tout remplacer et renouveler au plus tous les six mois pour remédier à l’épuisement de la terre et éviter la multiplication des ennemis et parasites de la culture. Il est possible d’observer une pigmentation rouge de la plante ceci est due à la présence d’anthocyanes qui confère à la culture une couleur brune à rougeâtre.Dans certains pays (Egypte, Palestine, Liban…), pour pallier au manque d’espace, l’azolla est cultivé même sur les toits des maisons et les balcons dans de petits récipients de récupération. L’azolla peut se cultiver également en association avec du poisson d’eau douce (comme les tilapias), des canards ou les deux à la fois (poissons et canards) ces derniers se nourrissent de l’azolla qui profite des déjections animales comme fertilisant.
Utilisation de l’azolla pour l’alimentation animale
Quoique les données précises et chiffrées soient limitées, il est toutefois possible d’affirmer que l’azolla peut être distribué à toutes les espèces animales (vaches, moutons-chèvres, poules, lapins, poissons…) sans aucun préjudice même en très grandes quantités. Appétent et bien apprécié par les animaux, l’azolla améliore la consommation et la digestibilité de la ration. Les canards l’adorent, les poules, les dindons et les lapins en raffolent. Il est très bien accepté par les autres animaux soit seul ou en mélange (1/1 avec du concentré classique). En frais, il est nécessaire de le laisser reposer quelques heures après récolte pour réduire le taux d’humidité et de l’introduire progressivement dans la ration.
En remplacement d’une partie du concentré (jusqu’à 50%), l’azolla semble améliorer les performances (croissance, lait, œufs), maintient les animaux en bonne santé et améliore la qualité du produit. En Inde, un petit bassin de 4 m² peut donner 2kg d’azolla frais/jour qui représentent un bon complément pour deux vaches.
Il est possible de conserver l’azolla soit après séchage en couches peu épaisses (dans un endroit sec et bien ventilé) pour réduire au maximum le taux d’humidité soit ensilé, à l’abris de l’air, dans des silos fermés hermétiquement déposé de préférence en alternance avec du son pour une meilleure fermentation.
En Tunisie, des perspectives intéressantes
L’azolla connait ces dernières années, dans de nombreux pays, un grand succès. Il fut introduit dans de nombreux pays de l’Afrique du Nord (Egypte, Maroc, Algérie…) et du Moyen Orient (Liban, Syrie, Palestine…). Ce succès résulte d’une part de l’augmentation des prix des aliments du bétail, en raison d’une part de la sécheresse et du réchauffement climatique et d’autre part du prix excessif de l’énergie, des composants (maïs, soja…) des aliments du bétail et des frais du transport maritime, suite à la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine. D’autre part aux nombreux avantages de l’azolla dont la facilité de culture et la richesse en protéines. Avec la hausse des prix des aliments du bétail, les petits éleveurs sont contraints soit d’abandonner l’élevage, devenu non rentable, soit de trouver des alternatives pour nourrir autrement leur cheptel.
L’azolla fut introduit en Tunisie récemment par quelques personnes soucieuses de trouver une solution au problème des fourrages tout en surfant sur la tendance générale observée dans les pays voisins et devenue populaire grâce au développement des réseaux sociaux comme Facebook et TikTok.L’azolla peut représenter, pour les petits éleveurs, une source d’alimentation non conventionnelle pour leur cheptel. Il est bien accepté par les animaux en vert comme séché. Facile à cultiver et à produire, son faible coût de production, sa richesse en éléments nutritifs (particulièrement en protéines et acides aminés essentiels qui représentent généralement le facteur limitant des rations alimentaires) constituent des atouts intéressants pour son développement. L’azolla permet de réduire sensiblement les couts de l’alimentation et donc de production et améliore la rentabilité de l’élevage. Il est préférable de cultiver soi-même son azolla afin de disposer d’un produit frais, de bonne qualité et au prix le plus bas.
De nombreuses publications sérieuses témoignent de l’intérêt de l’azolla qui mérite une attention particulière. Cette fougère peut contribuer à améliorer l’autonomie de l’éleveur et représente, au niveau national, une ressource durable et non polluante.
Beaucoup reste à connaitre et à découvrir d’une part pour maitriser et améliorer la production et d’autre part optimiser son utilisation comme aliment pour les différentes espèces animales. Un petit programme de recherche, avec des moyens adéquats, serait le bienvenu pour répondre à toutes les questions aidant au développement rationnel de cette culture très prometteuse.
Il serait important d’accompagner les éleveurs dans le développement et la vulgarisation de cette ressource intéressante et de ne pas la laisser aux mains de profiteurs, spéculateurs, charlatans et arnaqueurs. L’Office national de l’alimentation animale, récemment créé, ainsi que l’Office de l’élevage et des pâturages avec ses différentes agences régionales peuvent se charger de la promotion de cette nouvelle culture. Les CRDA, l’AVFA, l’UTAP, les médias et la société civile peuvent également contribuer à l’amener jusqu’à l’éleveur-cultivateur, le conseiller et l’aider.L’azolla est une plante fourragère digne d’intérêt surtout que les conditions climatiques Tunisiennes conviennent parfaitement à sa culture. Du soleil, de la chaleur… et surtout beaucoup de motivation de la part des petits éleveurs qui s’accrochent à leurs bêtes et qui cherchent à tout prix le moyen le plus rentable de les nourrir et les garder. Il peut représenter une bouée de sauvetage pour ces éleveurs sachant que plus de 40% sont de petits éleveurs qui souvent disposent de très peu de terre pour cultiver du fourrage classique.
Ridha Bergaoui