Malek Labidi: La passion du terroir
Des recettes culinaires ? Ce n’est que la partie gourmande de ce savoureux voyage auquel invite Malek Labidi, dans son livre La Table du Nord publié grâce au soutien de la Fondation BIAT, et son accompagnement tout au long du projet. Comprendre ce que nous mangeons, remonter aux origines des ingrédients, s’imprégner des us et coutumes et replonger dans les racines profondes du terroir, dans sa naturalité et dans son histoire : c’est l’essence de cet itinéraire. Malek l’a entrepris non seulement par un immense plaisir, mais aussi avec le sens d’un devoir à accomplir. «Identifier et répertorier le patrimoine culinaire tunisien : c’est une urgence, confie-t-elle à Leaders. L’urgence d’écrire, de préserver ce patrimoine, de le transmettre et de l’enrichir. C’est un premier pas. L’ultime objectif est de mener chaque plat, chaque pièce, vers l’excellence.»
Le projet est ambitieux. Il porte sur les différentes grandes régions du pays, livre par livre. Le premier tome couvre 7 gouvernorats, à savoir Bizerte, Béja, Jendouba, Le Kef, Siliana, Zaghouan et Tunis. Les séquences sont rythmées au quotidien entre balade, savoir-faire, innovation, pâtisserie, terroir et ce qu’on prépare pour les grandes occasions. L’approche est anthropologique, historiciste, sociologique, avant d’être uniquement culinaire.
Des gens formidables !
Pour cette férue de gastronomie, diplômée de l’Institut Paul-Bocuse à Lyon, l’appel du terroir tunisien authentique a été fort. Elle a mûrement réfléchi à son projet pendant de longues années, avant de trouver un partenaire, la Fondation BIAT. Tout ne devait alors que commencer pour elle : sélectionner une équipe et la fédérer, concevoir les différentes séquences, réunir la documentation nécessaire et aller sur le terrain. «Humainement, c’est très bouleversant, nous confie-t-elle. Nous avons partout rencontré des gens formidables, d’une chaleureuse hospitalité et grande générosité.»
Malek et ses coéquipiers, Nadia Dimassi, la «logisticienne» hors pair, et Béchir Zayene, initialement photographe de mode, qui a porté un regard esthétique différent, ont vadrouillé sans cesse à la recherche du vrai, de l’insolite, de l’olfactif, du sensoriel, du gustatif, du merveilleux… Méthodique et appliquée, elle lisait tout, écoutait tout, essayait de tout comprendre, notant tout. Elle devait en effet rédiger les textes auxquels Héla Msellati, rédactrice culinaire, devait apporter sa touche à l’émotion ressentie.
Aller encore plus loin
On apprend beaucoup à la lecture de cet ouvrage, surtout l’histoire des arts culinaires tunisiens. L’apport des Andalous est substantiel. Introduisant avec eux les premiers ingrédients rapportés par les Espagnols d’Amérique du Sud (tomates, piments, etc.), ils ont changé la cuisine tunisienne et lui ont donné d’autres couleurs et d’autres saveurs. L’Empire ottoman complètera notre gastronomie d’alors.
Deux produits sont mis en exergue: l’huile d’olive et le miel. Savoir les sélectionner et les déguster est tout un art.
Un livre pluriel, qui se lit à feu doux, se savoure lentement, raconte une histoire et met en valeur l’hospitalité d’un peuple et sa culture. « C’est un sentiment de grande fierté que j’éprouve à la rencontre de ce patrimoine. Une fierté forte, puissante, et c’est ce que j’ai voulu partager le plus », nous dit Malek Labidi. Et la voilà repartir avec son équipe dans d’autres régions, le Cap Bon, la côte, le Sud, le Centre, laissant les lecteurs impatients de replonger dans la suite de cet «itinéraire gourmand».
Bonnes feuilles
… Depuis l’enfance, la cuisine est une passion instinctive. Un de mes plus vieux souvenirs, c’est par une chaude après-midi d’été, la saveur d’une pastèque fraîche et sucrée dégoulinante de jus sur ma robe légère. Je me souviens que j’aimais manger ce fruit en quartiers, je commençais par le bout pour me rapprocher petit à petit du cœur sucré, chaque bouchée avait un goût de paradis. Mes jeunes papilles excitées découvraient alors l’extase culinaire. J’ai grandi au milieu de couscoussiers fumants et de pots d’olives, de citrons et de piments en saumure empilés sur les étagères. Chaque samedi matin, je me rendais avec mon père au marché de l’Ariana ou je m’enivrais des odeurs de pains chauds, des couleurs chatoyantes des fruits et du brouhaha ambiant et convivial. J’aimais presser entre le pouce et l’index une herbe fraîche pour en humer le parfum, mais le moment que j’attendais le plus, c’était lorsque le marchand de primeurs m’offrait à goûter, selon la saison, une figue mielleuse, une mandarine juteuse ou une tomate charnue.Ces saveurs, ces odeurs, ces bruits de cuisine constituent ma langue maternelle. Ils sont synonymes de confort, d’excitation, de joie, de sérénité et de convivialité….
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…Avec la Fondation BIAT, nous partageons ce désir farouche de protéger, de valoriser et de transmettre le patrimoine culinaire de la Tunisie. Ensemble, nous avons imaginé une série de livres conçus comme des itinéraires gourmands à travers tous les gouvernorats du pays. Un projet ambitieux qui va m’entraîner dans l’aventure de ma vie….
Le premier défi que je devais relever a été de fédérer une équipe autour de ce projet que je ne pouvais mener seule. Très vite j’ai rencontré celle qui deviendra ma première collaboratrice et une amie fidèle. Nadia Dimassi, une femme pétillante et enthousiaste avec qui je partage l’amour de la terre et le respect pour ses hommes. Rigoureuse et passionnée, elle a veillé à ce que l’on ne néglige aucune composante du terroir du Nord. Nous avons ensuite fait la rencontre de Béchir Zayene, un photographe talentueux et un homme généreux. À travers son objectif, il a imagé ce patrimoine avec son regard esthétique et humble. Ensemble, nous avons vécu chaque histoire, chaque recette, chaque voyage, dans une odyssée gourmande à travers le nord du pays.
En découvrant la réalité de près, en sillonnant le nord du pays pour aller à la rencontre des gens, des recettes et des produits, nous avons vécu tous les trois une aventure humaine qui nous a bouleversés à jamais. Nous nous sommes sentis parfois petits devant une nature éblouissante, modestes devant des personnes extraordinaires, émus par l’intensité de certains échanges. Notre amour pour cette terre qui nous a vus naître s’est retrouvé renforcé, et nous avons appris à nous débarrasser du superflu pour nous concentrer sur l’essentiel, le simple, l’accessible.
Écrire l’histoire de ces personnes est une très grande responsabilité. Car résumer l’hospitalité d’un peuple et son rapport à sa terre dans un livre est impossible. Nous avons donc sélectionné un ensemble de recettes, de produits et de marqueurs qui nous ont semblé importants et qui nous ont touchés lors de nos voyages. Dans chaque région, nous sommes entrés dans les cuisines des femmes pour prendre note des recettes et des savoir-faire qu’elles ont bien voulu partager. Nous sommes allés à la rencontre des producteurs sur leurs terres pour comprendre chaque produit présenté dans ce livre. Enfin, nous avons étudié l’histoire de chaque gouvernorat, écouté religieusement les anecdotes et les légendes de chaque région pour tenter de vous rapporter cela aussi fidèlement que possible.
Best of
TarayounSi ce plat est le symbole du chic à la tunisoise, l’origine de son nom est beaucoup moins glamour. Il serait ainsi appelé pour la couleur verte de sa pâte de pistache, qui rappelle celle du costume des tirailleurs. Les tirailleurs étaient les soldats tunisiens, du temps de la colonisation française, enrôlés et envoyés en première ligne du front lors des conquêtes coloniales françaises. Ainsi, afin de distinguer les soldats français des tirailleurs tunisiens, ces derniers étaient habillés en seroual traditionnel de couleur verte : le tarayoun.
Brik Dannouni
Chaussons à la viande
En entrée légère sur une table d’été, en kémia à l’apéro ou sur les plateaux des petits salés des mariages, ces petits chaussons garnis de viande hachée sont toujours conviés à la table tunisienne. C’est vrai qu’ils sont bons, chauds et bien pratiques. Car si leur élaboration demande un certain temps, ils supportent très bien la congélation et se consomment à toute heure.On dit que les femmes andalouses fuyant la péninsule ibérique lors de la Reconquista au XVème siècle ont confectionné de petits chaussons pour y dissimuler leurs bijoux. Ces banadhej (de l’espagnol empanadas) leur ont ainsi permis de duper les gardes. Une fois arrivées en Tunisie, dans la région de Testour, elles ont pu récupérer leurs bijoux, les vendre et acheter des terres et des commerces dans la région. La recette des banadhej est restée et la famille Dannouni, une famille d’origine andalouse, a démocratisé les bricks dannouni en Tunisie.
La soupe : Tortmech
Soupe aux légumes, petits beignets à la viande
Les tortmechs sont de petits beignets farcis à la viande que l’on plonge dans un bouillon de volaille et de légumes. Leur nom et leur forme évoquent les tortellinis italiens, ces pâtes farcies à la forme particulière et qui sont souvent cuites dans un bouillon.Cette recette ne serait-elle pas un héritage d’une courtisane italienne de la cour du Bey ?
Cette recette ancienne presque oubliée mérite d’être remise au goût du jour : c’est une soupe riche et gourmande qui constitue à elle seule un repas complet.