La distillation traditionnelle des fleurs, une pratique ancestrale qui perdure
Par Ridha Bergaoui - De mi-mars à mi-avril, fleurs de bigaradier, de roses, d’églantier et de géranium s’installent dans les souks et parfument l’ambiance de ces odeurs délicates, gaies et fantastiques comme pour annoncer le retour du printemps.
Dans plusieurs de nos villes, des familles qui, soit disposent, dans leurs jardins, de leurs propres fleurs, soit en achètent des quantités variables selon leurs besoins, dépoussièrent leurs alambics traditionnels pour distiller ces fleurs et en extraire les eaux florales précieuses, très recherchées pour la cuisine, comme cosmétique ou pour se soigner. La distillation familiale est un art ancestral soigneusement transmis d’une génération à une autre. Chaque foyer tunisien qui se respecte doit disposer au moins d’une bouteille de ces eaux florales très utiles et dont les bienfaits sont unanimement reconnus.
Technique de distillation traditionnelle
L’alambic ou distillateur, confectionné en argile ou en tôle, est constitué de deux parties. Le premier récipient, qui reçoit un mélange d’eau et des fleurs à distiller, est surmonté d’une coupole ou d’un chapeau muni d’un long bec qui traverse un réservoir d’eau maintenue toujours fraîche. Au contact des deux parties, on utilise généralement un long tissu, placé tout autour sur plusieurs couches, pour rendre l’ensemble étanche et empêcher toute perte de vapeur.Placé sur le feu (du bois, charbon ou du gaz), l’eau chauffe lentement et s’évapore en entraînant les composés volatils solubles dans l’eau et les huiles essentielles des fleurs. Lors de la distillation, la chaleur fait éclater les cellules et entraîne les extraits volatils et les huiles essentielles. Ces vapeurs vont se condenser en passant à travers le réservoir d’eau fraîche et tombent goutte à goutte. L’eau au-dessus du distillateur doit être renouvelée fréquemment pour rester à la bonne température pour le bon fonctionnement du système.L’eau florale est accueillie dans des bouteilles en verre épais un peu spéciales, en forme de ballon surmonté d’un long col et appelée feshka (probablement un nom d’origine italienne ou du français fiasque). Ces bouteilles sont généralement protégées par un tressage en paille ou, de nos jours, en plastique contre les chocs et la chaleur. La première feshka est généralement concentrée en extraits, la seconde l’est beaucoup moins. Une fois l’opération terminée et qu’il n’y a plus d’hydrolysat qui coule, on vide le distillateur, on le remplit de nouveau et on recommence de nouveau.Quoique assez simple, la distillation nécessite beaucoup de patience et de savoir-faire pour avoir un produit de qualité. Savoir doser le mélange fleurs et eau (généralement 1,5 fois d’eau pour 1 kg de fleurs), la température de l’eau, la vitesse de la distillation… Il faut compter au moins deux ou trois heures (parfois jusqu’à 4 h) pour obtenir une bouteille d’eau florale. Il ne faut surtout jamais se précipiter et accélérer le processus ou ne pas renouveler fréquemment l’eau de refroidissement au risque d’obtenir un produit de mauvais qualité trop dilué ou sentant parfois le brûlé. Quelques millimètres d’huile essentielle remontent à la surface indiquant que le produit est d’excellente qualité.Il est possible de distiller de nombreuses fleurs. Les plus importantes en Tunisie sont les fleurs de bigaradier, les fleurs de rose, les fleurs d’églantier et des fleurs et feuilles de géranium. Certaines régions se sont spécialisées particulièrement dans telle ou telle fleur. Nabeul est connue pour les fleurs de bigaradier, Zaghouan pour les fleurs d’églantier, Kairouan pour les fleurs de roses et le Nord pour le géranium. La Tunisie produit essentiellement des fleurs de bigaradier dont une grande partie est transformée à une échelle industrielle, dans la région de Nabeul, par des usines de distillation en vue d’obtenir de l’huile essentielle ou de néroli et de l’eau de fleurs. A côté de la production familiale pour l’autoconsommation, on trouve dans le commerce, et même dans la rue, des eaux florales diverses. Généralement, la qualité laisse à désirer et la tentation de fraude est souvent très grande.
Les eaux florales sont utilisées traditionnellement dans la cuisine pour parfumer de nombreux plats ou dans la confection de nombreuses pâtisseries et douceurs. Ou simplement pour parfumer des desserts, de l’eau de boisson ou du café. Elles sont également utilisées pour leurs vertus médicinales, thérapeutiques et leurs bienfaits cosmétiques.
L’eau des fleurs de bigaradier ou zhar
Il s’agit des fleurs de l’oranger amer ou bigaradier dont les fruits ne sont pas consommés mais dont les fleurs sont beaucoup plus odorantes que celles des orangers. Traditionnellement, la fleur de bigaradier est utilisée en cuisine, pour parfumer couscous, surtout au poisson, ragouts et tajines. On l’utilise également dans de nombreuses pâtisseries traditionnelles et douceurs, des salades (salade de fruits et autres), des fruits (grenades aux fleurs d’oranger par exemple) et même l’eau de boisson, du café ou du thé.Dotées de propriétés sédatives et calmantes, l’extrait des fleurs de bigaradier permet de combattre l’insomnie, les spasmes nerveux, les palpitations, les céphalées, les douleurs stomacales, la fièvre, les maux de tête… Chez le bébé, le zhar est très efficace pour combattre la colique et les spasmes de l’intestin. Hydratante, elle sert d’eau démaquillante et purifiante. Elle est très utile pour soigner la peau délicate du bébé.
L’eau des fleurs d’églantier ou nesri
Le nesri (Rosa canina) est une sorte de rose sauvage. Il a été introduit en Tunisie, dans la région de Zaghouan, par les Andalous. L’eau de nesri est très connue pour ses multiples bienfaits sur la santé, surtout pour combattre les troubles cardiovasculaires. Elle est utilisée dans la confection des pâtisseries traditionnelles de la région de Zaghouan du kaak warka parfumé au nesri, un vrai délice.
L’eau de rose maa el ward
Les rosiers de Damas (ward arbi) représentent une variété de rose très ancienne originaire de la région de Syrie où ils poussent spontanément. Les fleurs sont de couleur rose avec de nombreuses pétales. Elles sont réputées pour leur fragrance délicate.On peut cultiver ces rosiers pour la production commerciale d’huile essentielle pour la parfumerie et d’eau de rose. Celle-ci est très utile pour soulager des maux de tête et des irritations oculaires. On peut également l’utiliser en cosmétique et pour la fabrication de produits de soin (comme savon et laits à l’eau de rose). Enfin, elle est utilisée en cuisine, pour sa senteur et son goût agréable, pour parfumer de nombreux plats et pâtisseries traditionnels.
L’eau de géranium aterchiya
Le Geraniumrosat est une plante qui a une odeur très agréable. Le géranium est originaire de l’Afrique du Sud, cultivé de nos jours un peu partout dans le monde comme la Chine, le Maroc et l’Egypte. Il est possible d’en extraire par distillation des feuilles et des petites fleurs, une huile au parfum de rose utilisée pour la parfumerie et de l’eau de géranium. L’huile essentielle et l’eau de géranium ont beaucoup de bienfaits et peuvent être utilisée en parfumerie, en cosmétique, en aromathérapie et pour leurs bienfaits santé. L’eau de géranium est presque l’équivalent de l’eau de rose et peut être utilisé pour les mêmes buts.Au-delà de leurs multiples utilisations (culinaire, thérapeutique et cosmétique), les eaux florales font partie intégrante de nos traditions, notre culture et notre patrimoine. Elles procurent également de nombreux emplois et représentent un appoint de trésorerie important pour de nombreuses familles. Malheureusement de nos jours, les jeunes ménages surtout, ignorent complétement les bienfaits de ces eaux florales et ont tendance à recourir plutôt aux médicaments, produits de synthèse et industriels. Les eaux florales représentent une richesse qu’il faut préserver et développer. Faire connaître les bienfaits et les divers usages de ces eaux serait intéressant pour la santé, le bien-être et le plaisir de nos concitoyens ainsi que pour l’économie nationale.
Ridha Bergaoui