Un nouveau livre du Pr Sofiane Bouhdiba: Histoire médico-sociale de l’urine, de l’antiquité à nos jours
Le professeur Sofiane Bouhdiba publie un livre traitant d’une thématique qui aura au moins le mérite d’être originale. Sous le titre de: «Histoire médico-sociale de l’urine, de l’antiquité à nos jours» il soulève quelque peu le voile qui occulte encore avec tant de pudeur le sujet toujours délicat des excréments humains, c’est-à-dire les matières évacuées du corps par les voies naturelles. Dans notre quotidien, ces derniers sont peu visibles, cachés, éloignés des corps et refoulés dans les lointains sous-sols de nos villes. Ils sont pourtant porteurs de questions, voire de paradoxes, et représentent, selon l’auteur, un mystère riche de sens. Il s’agit assurément là d’un terrain vierge à explorer.
Sofiane Bouhdiba est professeur de démographie à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis. Il a enseigné dans de nombreuses universités en Europe, en Afrique et aux Etats Unis, et participé à un grand nombre de conférences internationales sur diverses thématiques liées à l’étude des populations, et notamment la mortalité.
Il est également un consultant international aux Nations Unies, spécialiste mondial de la mortalité. Sa production scientifique est remarquable à plus d’un titre: une vingtaine de livres et une soixantaine d’articles scientifiques publiés en français et en anglais dans des revues internationales de haut niveau.
L’auteur a aussi une étonnante maîtrise du terrain sanitaire, avec plusieurs dizaines de missions complexes réalisées avec succès pour le compte des Nations Unies, ainsi que des ONG comme Médecins du monde ou Oxfam, sur des thématiques aussi diverses que le choléra, le Covid, la santé des migrants ou l’espérance de vie.
Le professeur Sofiane Bouhdiba est membre de nombreuses sociétés scientifiques internationales, telles que l'Association Internationale des Démographes de Langue Française (AIDELF), l’American Institute of Maghrebian Studies (AIMS), l'African Studies Centre Community (ASC), le Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA), la Population Association of America (PAA), l'Arab Council for the Social Sciences (ACSS), l’Union des Etudes de la Population Africaine (UEPA), l'Union Internationale pour l'Etude scientifique de la Population (UIESP) et l'African Studies Association (ASA).
Une thématique qui mérite étude
Depuis l’antiquité, la représentation des excréments humains, mais également celle des animaux, a été porteuse d’une connotation fortement négative, et a toujours été systématiquement associée à la saleté, à l’impureté, à la maladie. Au discours scientifique, dégradant ou au contraire revalorisant les excréments, s’est progressivement greffé un autre discours religieux, social, culturel, bien plus défavorable.
Les excréments humains ayant des natures diverses, le professeur Bouhdiba a choisi de privilégier ici l’étude de l’urine, pour plusieurs raisons: d’abord, il a eu l’occasion de se rendre compte, au travers de ses recherches, que paradoxalement l’urine est un objet qui fascine, autant sinon plus qu’il ne dégoûte.
Par ailleurs, à ce jour bien peu a été écrit sur le sujet, si ce n’est sur les aspects physiologiques, voire thérapeutiques de l’urine. Les questions abordées dans ce livre n’ont à ce jour mobilisé qu’un nombre très restreint de chercheurs, et notamment en ce qui concerne les aspects sociologique, culturel et religieux, comme si on préférait ne pas en parler ouvertement.
D’ailleurs, l’ethnologue française Agnès Jeanjean nous dit bien que «Aucun modernisme, aucune sophistication ou artifice ne supprimeront jamais la servitude honteuse de l’excrément(1)». En faire un objet d’étude des sciences humaines peut donc relever du défi.
L’urine est un liquide biologique, naturellement produit par les reins des hommes et des animaux. Etant un produit naturel, ce liquide a joué un rôle de premier plan dans l’histoire de la physiologie et de la médecine.
Les plus anciennes références à l’urine que le Professeur Sofiane bouhdiba retrouve remontent aux tablettes d’argile, provenant de Babylone et décrivant l’aspect de l’urine de personnes malades. Hippocrate, et dans sa suite les médecins médiévaux, ont ensuite irrémédiablement considéré l’urine comme un indicateur de premier plan pour poser un diagnostic, et notamment pour déterminer une grossesse. Soranos d’Ephèse recommande d’ailleurs d’attendre que le nouveau-né urine, éternue ou respire avant de couper le cordon ombilical(2). Il s’agit là de l’un des rares textes anciens accordant à la miction une preuve de vie.
Au cours des siècles suivants, la compréhension de l’urine et de son rôle dans le corps humain s’est améliorée, et des traités plus ou moins éclairés, invariablement intitulés «De urinis…», ont été écrits. Les médecins ont alors progressivement appris à utiliser des tests d’urine pour diagnostiquer diverses conditions médicales, telles que le diabète, les infections des voies urinaires et les troubles rénaux.
Aujourd’hui, même si la traditionnelle mire ne se pratique plus véritablement, l’urine est encore largement employée à des fins médicales, pour évaluer la fonction rénale, détecter la présence de drogues ou de toxines, et surveiller l’évolution de certaines pathologies chroniques, comme le diabète.
Dans cette première partie du livre, l’auteur se propose d’examiner de près les principaux usages thérapeutiques de l’urine, certains pouvant sembler particulièrement étonnants au regard du savoir médical, des pharmacopées et des technologies chirurgicales dont nous disposons aujourd’hui.
Dans la deuxième partie du livre, le Professeur Bouhdiba adopte une approche moins classique, plus intéressante aussi. Il s’attache ainsi à examiner la représentation des espaces de l’urine, ce qui l’amènera à pénétrer avec le lecteur dans le monde sordide des vespasiennes, des chalets de nécessité et autres espaces d’aisance, de rencontre, de convivialité, voire de débauche.
Cela amènera le lecteur à aller à la rencontre de personnages étonnants, tels que «Madame pipi», ou encore l’ignoble «soupeur» qui hantait les toilettes publiques de Paris au XIXème siècle. Un chapitre à part entière est d’ailleurs consacré à l’examen des objets de l’urine, tels que les vases de nuit, les vessies artificielles ou encore l’incontournable matula.
L’auteur s’intéresse également aux différents usages non thérapeutiques de l’urine, certains pouvant paraître particulièrement étonnants. Il consacre un chapitre à l’examen de la place occupée par l’urine dans la littérature et les arts, de l’antiquité à nos jours, et clôt l’ouvrage par des réflexions approfondies sur ce que l’on pourrait qualifier de «marges», c’est-à-dire les pratiques déviantes de sexualité organisée autour de l’urine, ainsi que cette urinophobie inattendue qui caractérise aujourd’hui encore certaines sociétés ou religions.
1) Jeanjean Agnès, Basses œuvres, une ethnologie du travail dans les égouts, Comité des travaux historiques et scientifiques, Collection le regard de l’ethnologue, nº15, Paris, 2006
2) Soranos d’Ephèse, Des maladies des femmes