Edito: L’Europe dans une nouvelle relation avec la Tunisie
Bien qu'elle se droitise, l'Europe de l'après - 9 juin 2024 doit accorder son appui plein et entier à la Tunisie. Sans surprise, ces élections européennes marqueront la poussée des partis de la droite radicale. Les 360 millions d’électeurs des 27 pays de l’Union européenne auront certes à choisir, parmi une large palette de listes, 720 eurodéputés, mais c’est une déferlante nationaliste populiste qui risque de menacer le Vieux Continent. L’Europe des conservateurs l’emportera. Les alliances qui se noueront entre le parti populaire européen, annoncé en tête, et d’autres formations qui lui sont proches, notamment celle conduite en personne par Giorgia Melonie en Italie, fonderont le poids décisif au sein du Parlement européen.
En quoi ce scrutin sera-t-il significatif pour l’Europe et en quoi pourrait-il concerner la rive sud de la Méditerranée et la Tunisie ? Le parlement a un rôle décisif dans la désignation de hauts responsables. C’est lui en effet qui élira, dans la foulée, le président de la Commission. L’actuelle titulaire de la charge, Ursula von der Leyen, qui connaît bien la Tunisie, est candidate pour un second mandat. C’est aussi le parlement qui décide de la dimension budgétaire et financière et exerce une influence dans la conduite des politiques européennes. C’est essentiel.
La poussée de la droite radicale est portée par un nationalisme plus exacerbé et plus agissant, exigeant de nouveaux repositionnements sur des questions clés. La sécurité, le pouvoir d’achat, la migration et le changement climatique viennent en tête des préoccupations. A la recherche d’une nouvelle puissance, face aux Etats-Unis et à la Chine notamment, l’Europe sera amenée à reconsidérer ses positions (guerre en Ukraine, etc.), soutenir substantiellement son économie, accroître ses dépenses sociales et verrouiller ses frontières contre la migration. Tout doit protéger les Européens, tout doit leur bénéficier directement le plus possible.
Qu’en sera-t-il de la politique de voisinage avec les pays de la rive sud de la Méditerranée ? On ne s’attend guère à des changements stratégiques et à de nouveaux budgets. Car l’attention de l’Europe vis-à-vis de ses voisins immédiats est concentrée sur les flux migratoires.
Au cœur de ce conservatisme protectionniste, la question migratoire a fortement agité les débats électoraux. Dans une surenchère ignorant l’humain, les propositions les plus droitières se sont multipliées, appelant à des mesures surréalistes, bafouant la dignité humaine. Des centres de rétention pour des durées très longues, sans contrôle, un tri et un refoulement quasi automatiques : un dispositif sans recours, sans secours. Aucune liste candidate n’a présenté un programme d’action pour agir sur les facteurs de la migration dans les pays d’origine : l’Afrique subsaharienne, de la Guinée au Soudan. La réponse de l’Europe est de se barricader, laissant aux autres pays de transit, subissant l’afflux de migrants, comme la Tunisie, gérer seuls et sans moyens appropriés une véritable crise humanitaire.
Les Tunisiens avisés observent de près les suffrages des élections européennes pour décrypter les votes par pays, et comprendre les nouvelles dynamiques droitières. Si aucune décision européenne significative n’est attendue pour le moment en ce qui concerne le voisinage et la migration, un nouveau dialogue politique est nécessaire à établir dans les mois à venir. Les futurs dirigeants de la Commission européenne, reconduits ou nouvellement nommés, auront en effet à prêter un autre regard sur la Tunisie, ses potentialités, ses aspirations et ses difficultés.
Le contexte et les paradigmes d’analyse ont changé, mais la Tunisie, soucieuse de la souveraineté de sa décision et gardant son ouverture internationale, demeure profondément engagée dans son partenariat avec l’Europe. Refonder la relation est cependant nécessaire dans une vision innovante et des approches appropriées.
Même si la crise migratoire est fort préoccupante, d’abord pour la Tunisie, elle ne saurait résumer l’ensemble des questions à évoquer et à débattre. Les potentialités industrielles, technologiques et dans divers autres domaines offrent des gisements précieux. Le soutien à la Tunisie dans sa crise économique et financière, la lutte contre le chômage et l’éradication de la pauvreté, ainsi que face à des dizaines de milliers de migrants, est impératif. L’Europe, quelles que soient ses nouvelles forces politiques, ne saurait s’y dérober.
Taoufik Habaieb