L’ONU, réforme indispensable ou réforme impossible? Le compte rendu d'un colloque de LR-DIJIDCC à Tunis
Par Yasmine Bou Sabbeh - Le Colloque international sur le thème "L’ONU : Réforme indispensable ou réforme impossible?" organisé par le Laboratoire de recherche en Droit International, Juridictions Internationales et Droit Constitutionnel Comparé (LR-DIJIDCC) de l’Université de Carthage, a été un événement d'importance majeure les 2 et 3 mai 2024 à la Cité des Sciences de Tunis.
Ce colloque qui a réuni des experts académiques de divers horizons géographiques (notamment la France, l'Italie, le Bénin, la Suède et la Tunisie) s’inscrit dans un contexte marqué par les récents propos du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans lesquels il a souligné la nécessité pressante de «reformer les institutions construites par un monde passé, pour une époque passée».
Les propos d'ouverture ont été prononcés par Mme Asma Ghachem, Vice-doyenne de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, qui a exprimé la fierté de la faculté pour les activités continues du laboratoire DIJIDCC.
Le mot de bienvenue adressé au nom de Mme Mouna Kraiem, Maître de conférence agrégée à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis et Directrice du laboratoire de recherche DIJIDCC, a mis en avant l'importance cruciale de réfléchir à la nécessité de réformer l'ONU à la lumière des récents événements ayant affecté sa crédibilité, notamment la guerre en Ukraine et le génocide à Gaza.
Ensuite, M. Arnaud Peral, coordinateur-résident des Nations Unies et représentant du Secrétaire Général en Tunisie, a souligné l'évolution constante du processus de réforme de l'ONU depuis sa création. Il a mis en lumière la création de nouvelles structures, l'intégration de nouveaux membres, la conclusion de nouveaux traités et la création de nouvelles agences, ainsi que l'instauration de nouveaux modes de gouvernance pour accompagner les changements mondiaux. Un exemple récent de cette dynamique est la création du Bureau des Nations Unies pour la Jeunesse. Malgré ces avancées, M. Peral a souligné que le maintien de la paix et de la sécurité demeure un domaine difficile à réformer, étant sujet à des critiques contrastées. Il a averti que l'affaiblissement de l'ONU pourrait entraîner une montée de l'instabilité mondiale.D’un autre côté, et lors de son rapport introductif, le Professeur Rafaa Ben Achour a soulevé plusieurs points cruciaux concernant l'ONU. Il débute en mettant en évidence le prochain 80e anniversaire de l'ONU en octobre 2025, ce qui offre une occasion de réflexion sur son parcours et son impact depuis sa fondation en 1945. Le Professeur pose la question essentielle de savoir si l'ONU parvient véritablement à servir de point de convergence des efforts des nations vers des objectifs communs, comme le dispose l'article premier de sa Charte.
Bien que la longévité de l'ONU puisse être considérée comme une preuve de son succès par rapport à la Société des Nations, le Professeur souligne qu'elle n'est pas exempte de défis. Il évoque des événements marquants, comme l'intervention américaine en Irak en 2003, qui ont mis en lumière la nécessité urgente d'une réforme de l'organisation mondiale. Il cite Boutros Boutros Ghali pour illustrer cette nécessité, malgré les succès de l'ONU en diplomatie multilatérale, maintien de la paix et protection des droits de l'Homme.
Le Professeur distingue entre les réformes constitutionnelles et institutionnelles, notant que les premières nécessitent des modifications de la Charte et sont entravées par l'article 108, qui protège les privilèges des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Les réformes institutionnelles, quant à elles, pourraient être mises en œuvre par décision du Secrétaire général ou par des résolutions de l'Assemblée générale ou du Conseil de sécurité. Il mentionne également les efforts pour améliorer l'efficacité des opérations de maintien de la paix.
Malgré les obstacles, le Professeur insiste sur l'impératif de poursuivre les réformes pour adapter l'ONU aux évolutions de la société internationale et garantir son efficacité. Il conclut en soulignant l'urgence de mettre en place un système multilatéral plus solide et inclusif, insistant sur la nécessité d'une réforme continue pour éviter l'immobilisme, tout en rappelant que la pérennité de l'ONU dépend de sa capacité à évoluer tout en restant fidèle à ses principes fondateurs.
Réformer l'ONU: Un impératif pour l’ère actuelle?
Au cours de la première journée du colloque, les discussions ont porté sur la révision du système des Nations Unies en corrélation avec sa Charte constitutive et ses organes, en particulier le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale.
A cet égard, Mme la Professeure Antonietta Rafaella Elia, Senior Fellow à la Balsillie School of International Affairs au Canada et Professeure invitée à l'Université Complutense de Madrid, a mis en évidence dans son intervention intitulée "Plaidoirie pour les Nations Unies dans un monde désuni: repenser la charte constitutionnelle de la communauté internationale", la nécessité de fournir des perspectives supplémentaires sur l'Organisation des Nations Unies.
Elle a rappelé que l'objectif initial de l'ONU, à sa création, était de prévenir les atrocités issues des deux guerres mondiales et de garantir la paix et la sécurité internationales. Cependant, elle a soulevé des interrogations sur la pertinence de ces objectifs dans le contexte contemporain.La Professeure Elia a souligné que toute réforme de l'ONU doit s'inscrire dans une perspective universaliste, tout en reconnaissant les défis inhérents à la définition de ce concept. Elle a également insisté sur la nécessité de repenser fondamentalement l'ONU avant d'envisager les modalités pratiques de réforme, soulignant que l'universalisme doit être adapté aux réalités actuelles de la société internationale, nécessitant un partage de valeurs communes dans un monde interconnecté.
En abordant la question de la réforme, Mme Elia a affirmé que la paix exige une approche créative et novatrice. Elle a souligné l'importance d'adopter des approches innovantes pour réformer l'ONU plutôt que de se limiter à des méthodes conventionnelles.
Le Conseil de sécurité sous le feu des critiques...
Pour réclamer une réforme du Conseil de sécurité, il est crucial de comprendre son origine et son mode de fonctionnement. C'est dans cette optique que la présentation de M. Claudio Zanghi, Professeur émérite à l’Université Sapienza de Rome, s'est penchée sur l'histoire et le fonctionnement du Conseil de sécurité de l'ONU. Dans son exposé, M. Zanghi a mis en lumière l'importance de comprendre l'origine de cette institution, ainsi que sa composition et son processus de décision. Il a souligné la nécessité pressante de réformer le Conseil de sécurité afin de le rendre plus représentatif et efficace dans le contexte géopolitique actuel.Cette position a été appuyée par l'intervention de M. Roger K. Koude, Professeur à l’Université catholique de Lyon et titulaire de la Chaire UNESCO «Mémoire, Cultures et Inter-culturalité», qui a porté sur la nécessité impérieuse de réformer le Conseil de sécurité de l'ONU, en mettant particulièrement en lumière le droit de veto comme un droit de blocage. Dans cette perspective, il a argumenté en faveur d'une réforme substantielle du Conseil de sécurité, afin de le rendre plus efficace et plus représentatif des besoins et des aspirations de la communauté internationale dans son ensemble M. Koude a souligné l'importance de cette réforme, affirmant qu'elle doit être alignée sur les autres problématiques auxquelles l'ONU est confrontée afin de répondre aux préoccupations non seulement des États, mais aussi des peuples et des individus.
Réforme du Conseil de Sécurité de l'ONU: Quelle place pour l'Afrique?
Le continent, qui est au centre des actions des Nations unies, mérite d’être davantage représenté au Conseil de sécurité. Cette position a été exhaustivement illustrée lors de l'intervention de Mme Hajer Gueldich, Professeure à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis et Conseillère juridique de l'Union africaine.
Mme Gueldich a d'abord souligné le bien-fondé de la position commune africaine sur cette question, en mettant en évidence le besoin d'une représentation plus équitable de l'Afrique au sein du Conseil. Elle a ensuite abordé les chances réelles pour que l'Afrique obtienne une représentation juste au Conseil de sécurité, en prenant en compte le contexte historique de la création de la Charte des Nations Unies et les défis liés à la fragmentation politique et aux conflits interétatiques au sein du continent.
Ensuite, elle a mis en avant deux documents essentiels témoignant de la position africaine unifiée concernant la réforme du Conseil de sécurité: le Consensus d'Ezulwini de 2005 et la Déclaration d'Harare de 1997. Le Consensus d'Ezulwini, en particulier, préconise une démocratisation de la composition du Conseil de sécurité afin de mieux représenter les pays en développement, avec une demande d'au moins deux sièges permanents pour l'Afrique.
Par ailleurs, Mme Gueldich a souligné les avantages de l'Union africaine, mettant en lumière son Agenda 2063 et son rôle crucial dans le maintien de la paix à travers les Communautés Économiques Régionales. Elle a insisté sur la nécessité d'une coopération entre l'UA et les organisations régionales pour surmonter les limites politiques et financières des opérations de maintien de la paix.
En conclusion, elle a évoqué les défis persistants auxquels l'Afrique est confrontée dans sa quête d'une représentation équitable au Conseil de sécurité, en raison notamment de l'opposition des cinq membres permanents et des divisions internes au sein du continent.
L'Assemblée générale en alternative au Conseil de sécurité...?
La nécessité de placer l'Assemblée générale de l'ONU au cœur des discussions sur la réforme a guidé la réflexion de Mme Fatma Raach, Maître-assistante à la Faculté des sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba, lors de son intervention intitulée : «Renforcement du rôle de l’Assemblée générale en matière de maintien de la paix : échappatoire aux défaillances du Conseil de sécurité?».
Elle met en avant l'idée que l'Assemblée générale de l'ONU pourrait jouer un rôle plus significatif si ses compétences étaient redistribuées par rapport à celles du Conseil de sécurité. Concernant l'éventualité d'accorder davantage de compétences à l'Assemblée générale pour pallier les difficultés de réforme du Conseil de sécurité, Mme Raach a jugé cette option peu probable. Elle a plutôt proposé une approche réaliste consistant à renforcer le rôle de l'Assemblée générale en tant que «parlement mondial».Elle a cependant souligné les obstacles à ce renforcement, notamment en ce qui concerne le caractère obligatoire des décisions de l'Assemblée générale. Néanmoins, elle a argumenté que le caractère obligatoire n'est pas nécessairement garant d'efficacité, citant en exemple les cas où même les décisions contraignantes du Conseil de sécurité ne sont pas respectées.
Enfin, Mme Raach a plaidé en faveur d'une lecture extensive de la Charte des Nations Unies, permettant ainsi à l'Assemblée générale d'agir comme une issue potentielle aux blocages institutionnels du Conseil de sécurité.
Droits de l’Homme, démocratie et enjeux environnementaux: Quel rapport avec la réforme?
Dans sa présentation intitulée «La réforme du système de protection des droits de l’Homme : le système des organes des traités», M. Olivier De Frouville, Professeur à l’Université Panthéon-Assas à Paris et directeur du Centre de recherche sur les droits de l’Homme et le droit humanitaire, a souligné le rôle crucial des organes de traités dans la promotion et la protection des droits humains au niveau national.
Ces organes jouent un rôle crucial en incitant les États à adopter des politiques respectueuses des droits humains adaptées à leurs contextes nationaux. Leur transparence dans la diffusion des dialogues et des recommandations exerce une pression significative sur les États, renforçant ainsi le développement du droit international des droits humains et assurant une protection aux victimes. Cependant, la nécessité de réformer ces organes est impérieuse en raison de la crise persistante du système des rapports périodiques. Seuls 16% des États parties respectent les délais de soumission des rapports, mettant en péril l'efficacité du système. De plus, les ressources allouées à l'examen des plaintes sont insuffisantes, et l'Examen Périodique Universel constitue une concurrence supplémentaire.
M. De Frouville a souligné également l'impact de la résolution AG 68/268 du 9 avril 2014, qui visait à renforcer le fonctionnement des organes conventionnels des droits de l’Homme. Cette résolution témoigne des efforts entrepris pour améliorer l'efficacité du système de protection des droits humains. Cependant, malgré cette initiative et d'autres tentatives de réforme, le contexte diplomatique actuel ne semble pas favorable aux réformes multilatérales. Au-delà des efforts de renforcement en cours, des idées telles que la création d'une Cour mondiale des droits de l’Homme des Nations Unies ou d'une commission mondiale des droits de l’Homme méritent d'être explorées.
Dans la continuité de cette discussion, M. Sègnonna Horace Adjolohoun, Directeur du département juridique de la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples, a présenté une analyse sur la rationalisation du débat concernant la réforme des mécanismes des droits de l'Homme, en mettant en avant la perspective africaine prônant à un comité unique de protection.
Ces réflexions ont été enrichies par un focus sur le rôle des rapporteurs spéciaux explicité par Mme Zouhour Ouamara, Doctorante à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis. Lors de sa communication, la jeune doctorante a mis en évidence le rôle crucial des rapporteurs spéciaux dans la promotion des droits de l'Homme, tout en pointant les défis auxquels ils font face. Elle a souligné la nécessité de réformes pour renforcer leur impact, notamment en proposant la création d'un organe chargé d'évaluer les motifs de refus des États à la visite des rapporteurs. Cette proposition s'inscrit dans le contexte d'une meilleure coordination entre les rapporteurs afin de maximiser l'efficacité de leurs recommandations, soulignant ainsi l'importance du plaidoyer avec la société civile pour promouvoir les droits de l'Homme à l'échelle mondiale.
A la fin des travaux de ce colloque, un accent particulier a été mis sur les questions relatives à la démocratie et à l'environnement.
A cet égard, la Directrice du programme Amérique du Nord à IDEA et observatrice permanente auprès des Nations Unies, Mme Annika Silva Leander a examiné la relation complexe entre démocratie et Objectif de développement durable 16 (ODD 16) au sein de l'ONU. Elle a souligné les défis et les opportunités de concilier ces deux aspects essentiels dans la promotion de la paix.
Quant à la question environnementale, Mme Amel Mejri, Docteure en droit public à l’Université de Carthage, a souligné dans sa communication l'urgence de la question environnementale par rapport à toute réforme de l’ONU. Elle a mis en évidence que le changement climatique, bien que crucial, est souvent relégué au second plan dans les discussions sur la réforme de l'ONU, alors qu'il représente l'enjeu le plus pressant de notre époque. Mme MEJRI a insisté sur le devoir moral, juridique et politique de l'ONU d'agir de manière décisive pour atténuer les effets du changement climatique et promouvoir des politiques durables. Elle a abordé deux aspects principaux: d'abord, la reconnaissance des défis posés par le changement climatique et les limites de l'action actuelle de l'ONU, puis la nécessité de construire un avenir résilient et durable.
Elle a mentionné que malgré les efforts déployés, l'action de l'ONU est entravée par des lacunes flagrantes. Elle a souligné le rôle de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique et l'importance de l'engagement des pays développés dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
Concernant les réformes, Mme Mejri a évoqué la proposition de création d'un Haut commissariat des Nations Unies pour l'environnement, tout en reconnaissant les défis potentiels liés à l'ajout d'une nouvelle couche à la structure de l'ONU. Elle a souligné l'importance d'une approche inclusive, impliquant les peuples, la société civile et le secteur privé, pour mettre en œuvre des politiques climatiques efficaces.
Une ode à l’espoir...
Dans un élan d'optimisme, le Professeur Rafaa Ben Achour a clôturé l'événement en dressant une ode à l'espoir pour l'avenir de l'Organisation des Nations Unies et des relations internationales. Il a souligné l'importance vitale de l'ONU dans le paysage contemporain, mettant en lumière son rôle crucial dans la prévention de situations bien plus désastreuses qui pourraient exister sans son intervention.
Insistant sur le fait que l'évaluation de l'ONU ne doit pas se limiter au Conseil de sécurité, il a rappelé l'importance fondamentale des individus sur le terrain, tels que les casques bleus et les experts des agences spécialisées de l'ONU dans la réalisation de ses missions. Le Professeur Ben Achour a tenu également à saluer la qualité des débats et discussions qui ont enrichi chaque séance du colloque en mettant en avant la pertinence des questions posées et des recommandations formulées. Il a conclu en soulignant que, malgré les obstacles, l'ONU demeure une institution cruciale où chaque voix peut être entendue, même face à de graves violations. Cette perspective positive et résolue a apporté une note d'espoir et de confiance en l'avenir de la coopération internationale sous l'égide de l'ONU.
Yasmine Bou Sabbeh
Étudiante-chercheuse en droit international
à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis (Université de Carthage)