Raouf Najar sur RTL : Nous payons les 100% de scolarisation dans le pays
Invité mercredi matin sur RTL, l’ambassadeur de Tunisie à Paris, M. Mohamed Raouf Najar, a répondu avec son franc-parler habituel et en toute transparence, aux questions de Jean-Michel Aphatie. Au cours de cette première prise de parole dans un média français depuis le déclenchement des évènements, le diplomate tunisien a notamment déclaré : « il y a les commentateurs, il y a les réalités, il faut aller en Tunisie, vivre en Tunisie et vivre avec les Tunisiens, et vous verrez... Aujourd'hui, il y a des difficultés, il faut les affronter, il faut écouter, il faut entendre, il faut être à l'écoute, il faut apporter les solutions.»
Après avoir stigmatisé « ceux qui vraiment, cultivent depuis quelques années, une posture anti-tunisienne (...) une Tunisiephobie chronique », il a déclaré : « quand vous avez choisi d'avoir un peuple instruit, quand vous faites 100% de scolarisation et que vous avez aujourd'hui, une université qui déverse sur le marché de l'emploi, 100.000 demandeurs nouveaux d'emploi et que votre marché d'emploi, parce que c'est un petit pays, ne peut pas les absorber, vous avez évidemment des problèmes. » L’ambassadeur Najar a ajouté : « Aujourd'hui, la Tunisie paie le tribut d'un choix que nous ne regrettons pas, c'est-à-dire l'école et un peuple instruit. Et un peuple instruit, ce n'est pas commode. »
Transcription intégrale (fournie par RTL)
Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Monsieur l'Ambassadeur.
Son Excellence Mohamed Raouf Najar : Bonjour, Monsieur Aphatie.
Un jeune homme de 26 ans, Mohamed Bouaziz, diplômé, chômeur, en lutte aux tracasseries policières, a choisi de s'immoler par le feu, le 17 septembre dernier, dans la petite ville tunisienne de Sidi Bouziz. Depuis ce geste et depuis ce jour, des émeutes secouent la Tunisie. Emeutes qui se sont étendues, hier, jusque dans la capitale Tunis, comment expliquez-vous ce phénomène, Monsieur l'Ambassadeur ?
Permettez-moi, en guise de prélude, juste une petite digression. Je vous ai suivi, hier, sur le plateau d'une chaîne cryptée. Vous n'y êtes pas allé de main morte à propos de mon pays ; ce qui m'étonne de vous, c'est que vous ayez repris les mêmes clichés réducteurs de ceux qui vraiment, cultivent depuis quelques années, une posture anti-tunisienne, je dirais presque, une Tunisiephobie chronique. Merci de m'inviter pour que j'espère avoir l'occasion de vous donner quelque éclairages qui atténueront la rudeur de vos propos ; j'aurais aimé de circonstances meilleures pour vous parler de la Tunisie multiple et non de celle qui souffre.
Ces émeutes, Monsieur l'Ambassadeur...
Oui, je reviens...
Quelle est leur signification, d'après vous ?
J'y viens, j'y viens. Alors, vous avez parlé de la genèse et c'est une bonne chose que de revenir à la jeunesse pour essayer de comprendre. On a tout de suite dit que c'était un jeune diplômé, mais ce n'était pas un jeune diplômé, mais ça ne change absolument rien du tout. Un suicide est toujours un suicide. Un mort c'est toujours un mort de trop qui a été malmené... Le cas de ce garçon a été géré catastrophiquement par les autorités régionales et les choses se sont enflammées. Alors là ?
Mais elles disent quoi ces émeutes ? Elles vous disent quoi ? Elles disent quoi au Pouvoir ?
On peut faire plusieurs lectures. Si on fait une lecture très saine de ces événements-là, c'est des manifestations ou des demandes, des demandes d'emploi. C'est un problème social, des demandes d'emploi et des demandes d'emploi légitimes parce que la Tunisie connaît de sérieux problèmes malgré tous les efforts, énormément d'efforts fournis. Mais vous savez très bien le problème du plein emploi. Est-ce qu'il y a un pays qui ait pu jusque là aujourd'hui, le régler ?
Et la Tunisie, malgré ces insuffisances, n'est certainement pas dans la situation la plus mauvaise. Et le soin apporté à cette question a été réellement un soin tout à fait permanent. D'ailleurs, pour le Président Ben Ali, dans son programme électoral, l'emploi c'est la priorité et même la priorité de ses priorités. Mais quand vous avez choisi d'avoir un peuple instruit, quand vous faites 100% de scolarisation et que vous avez aujourd'hui, une université qui vous déverse sur le marché de l'emploi, 100.000 demandeurs nouveaux d'emploi et que votre marché d'emploi, parce que c'est un petit pays, ne peut pas les absorber, vous avez évidemment des problèmes.
Juste quand on parle de la Tunisie... Il faut voir aussi les moyens. Je vous dis qu'il n'y a aucun pays qui ait réglé ce problème mais la Tunisie est un petit pays. Savez-vous que le budget de la Tunisie, c'est ce que mettent les Français dans le jeu... C'est 8,5 milliards d'euros. Avec si peu, je pense que c'est un pays qui a réalisé énormément de choses. Et aujourd'hui, la Tunisie paie le tribut d'un choix que nous ne regrettons pas, c'est-à-dire l'école et un peuple instruit. Et un peuple instruit, ce n'est pas commode.
Les reportages que nous voyons en France font état d'une violence policière qui est incroyable. Des Tunisiens disent : "Ils nous tirent dessus pour nous tuer".
Alors, moi vous savez... J'ai vu, j'ai vu, j'ai écouté comme vous ces déclarations. J'ai vu d'autres images d'actes de vandalisme terribles, terribles. Alors est-ce qu'une manifestation, vous parliez de ce cas. C'était un cas isolé, malheureux, regrettable, tragique. On pourrait se poser quelques questions, juste quelques questions d'évidence comme on dit. Pourquoi un acte isolé aboutisse à de tels résultats ? Le problème est celui-là. Manifester, demander, réclamer est légitime. C'est constitutionnel mais incendier des écoles, incendier des... Il faut voir les images...
Nous les avons vues effectivement, elles sont assez spectaculaires... Mais...
C'est terrible.
Cette attitude des policiers tout de même signale un Etat qui a l'air de se comporter avec ses concitoyens d'une manière assez brutale. Vous avez beaucoup d'amis en France. La Tunisie a beaucoup d'amis, vous le savez ; mais on a noté, par exemple, que Bertrand Delanoë, né à Tunis qui a une maison à Bizerte, a eu le souci au début de la semaine de faire savoir qu'il était soucieux des événements en Tunisie et qu'il avait pris contact avec le Président de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme, ce qui est une manière implicite de dire sa défiance vis-à-vis du Pouvoir, tout cela renforce cette idée que la Tunisie n'est pas une démocratie et que ce dont elle souffre, c'est tout autant d'une absence de liberté publique que de problèmes sociaux que vous avez évoqués au début ?
J'aime bien le terme "les libertés publiques"... Enfin, quelqu'un qui fait... Parce que généralement, le procès qu'on nous fait, c'est celui des Droits de l'Homme et comme vous savez très bien, les Droits de l'Homme, font partie d'un concept global avec plusieurs droits associés, comme les droits sociaux, les droits économiques et tout... Et sur ces plans-là, la Tunisie peut donner quelques leçons à plusieurs pays malgré ses moyens dérisoires. Reste le problème des libertés publiques.
Oui, nous l'avons toujours reconnu, le Président Ben Ali en parle, nous n'avons jamais prétendu être l'Eden des libertés publiques... Pourquoi voulez-vous qu'un pays qui a cinquante ans d'indépendance, dans la réalité socio-politique qui est celle de la Tunisie, soit à ce niveau ! Mais ce sont des valeurs à intégrer, il faut y aller doucement, nous avons vu le résultat de la précipitation...
Est-ce que les émeutiers en Tunisie, précisément, ne réclament pas aussi cela ? Du pain sans doute ? Du travail et de la liberté ?
Vous savez, ils le réclament, c'est certain. Mais de toutes les façons, qui ne réclame pas plus de liberté, Monsieur Aphatie ? Tout le monde. L'être humain a toujours besoin de plus de libertés et c'est tant mieux. Il y en aura parce que je vous dis, nous sommes dans un processus évolutif, et les choses viendront.
Le régime de Monsieur Ben Ali est menacé par les émeutes, Monsieur l'ambassadeur ?
Absolument pas du tout. Le régime de Monsieur Ben Ali est populaire. Ca, je peux vous l'assurer. Alors maintenant, vous savez, il y a, il y a les commentateurs, il y a les réalités, il faut aller en Tunisie, vivre en Tunisie et vivre avec les Tunisiens, et vous verrez... Aujourd'hui, il y a des difficultés, il faut les affronter, il faut écouter, il faut entendre, il faut être à l'écoute, il faut apporter les solutions.