Riadh Zghal: Est-il possible d’éradiquer la corruption ?
Aujourd’hui la lutte contre la corruption est devenue un leitmotiv pour certains gouvernants et candidats politiques pour affirmer une volonté de faire de cette lutte un levier de développement économique. L’outil le plus courant est la promulgation de décrets et la poursuite des fraudeurs. Les résultats sont le plus souvent dérisoires lorsqu’on s’attaque aux symptômes et non à l’origine du mal. Le fait est que les origines de la corruption résident dans de nombreux facteurs dont les gouvernants pourraient en être responsables.
Considérant que la corruption mine l’efficacité du développement, la Banque mondiale publie un guide d’identification de la corruption qui affecte l’efficacité des financements de projets de développement en précisant les formes de corruption passibles de sanction. La corruption est ainsi définie par la BM : «Une pratique corrompue est le fait d'offrir, de donner, recevoir ou solliciter, directement ou indirectement, toute chose de valeur pour influencer indûment l'action d'une autre partie(1).»
Si la corruption est possible, ce n’est pas seulement parce qu’il y a des corruptibles. La corruption est un phénomène complexe influencé par plusieurs facteurs. Il y va de la responsabilité des personnes ainsi que du système économique, social et de gouvernance nationale et mondiale dans lequel elles évoluent.
Dans la sphère du monde globalisé, la corruption est favorisée par des facilitateurs et des gardiens des fortunes des riches(2). On parle de paradis fiscaux et de lieux sûrs que sont les pays occidentaux où l’argent est placé dans des biens immobiliers, des œuvres d’art, ou autres biens de luxe. La rude concurrence entre les grandes entreprises pour l’obtention d’importants marchés passe selon les gouvernements en place par un «graissage de pattes». Tout porte à croire que le système financier mondial offre un terrain favorable à la corruption des grands bonnets certes, mais qu’en est-il de la petite corruption qui fleurit à l’intérieur du pays ?
En 2022, l’Association tunisienne des contrôleurs publics a publié un document intitulé «La petite corruption en Tunisie(3)». C’est la corruption du fait des individus, contrairement à celles impliquant des gouvernants et des entreprises. Les statistiques publiées dans ce rapport couvrent la période 2014-2020 et sont déclinées par secteur d’activité et par gouvernorat. Selon cette enquête, ce sont dans les secteurs de la sécurité et de la santé que sévit le plus cette déviance des comportements.
Si on se limite à l’espace national sans considération de celui global pour lutter contre la corruption, il faudra opérer sur plusieurs registres à la fois, vu la multiplicité de facteurs qui alimentent la corruption:
Il y a le décalage entre le temps administratif long, orienté par la hiérarchie administrative et l’arsenal réglementaire, et le temps court de l’action économique orienté marché, réactivité, performance. Il y a aussi le manque de transparence dans les processus de gouvernance à tous les niveaux.
Ces deux facteurs sont d’ordre institutionnel et c’est à ce niveau que la corruption peut être imputée aux dirigeants du pays car il demeure en leur pouvoir d’assurer la transparence de la gouvernance et la digitalisation de l’administration. En revanche, des tentatives de traitement du problème de la corruption par la création d’institutions dédiées se sont avérées inefficaces. En 2019 et 2020, le Ceres a organisé deux colloques sur la question de la corruption où les intervenants appartenaient à diverses disciplines: histoire, droit, économie…Deux universitaires - l’un Algérien et l’autre Marocain - ont montré l’inefficacité des tentatives de traitement institutionnel de la question par la création de telles institutions elles-mêmes susceptibles de corruption.
L’un des participants au colloque, Abdellatif Baccour, a souligné que le phénomène de «pots-de-vin» s’est enraciné dans la culture marocaine d’autant que le mode de gouvernance tolère les caisses noires, l’impunité des coupables, la rétention de l’information relative aux exactions, en plus de textes juridiques peu précis.
La situation où sévissent la pauvreté et les inégalités renforce la tendance à la corruption qui se transforme en bouée de sauvetage pour la survie des plus démunis.
La pauvreté réside matériellement dans la modicité des moyens de subsistance dont on dispose mais pas seulement. Psychologiquement, il y a la pauvreté perçue, celle qui consiste dans les conditions de vie réelles et le standard de vie que l’on juge acceptable. Et c’est l’écart entre les deux, en raison des faibles salaires générant un déclassement social comme c’est le cas de nombreux emplois dans le pays, qui poussent à exercer des activités rémunératrices et hors contrôle. Cela concerne plus d’une catégorie d’employés. La pauvreté et les inégalités contribuent sans conteste à l’explosion des activités informelles, celles licites et celles illicites, voire délictueuses.
Lorsque le problème de la corruption se mue en norme de comportement admis par le plus grand nombre, échappant à toute sanction, donc en véritable culture sociale, voire politique, il devient difficile de le traiter sans une stratégie et une méthode bien pensées pour les appliquer. A cet effet, il va falloir non seulement réglementer et agir mais aussi et surtout bénéficier de légitimité et de confiance afin de produire un changement culturel qui enlève à la corruption son caractère de norme sociale affectant le simple citoyen et celui qui occupe un poste de décision au sommet ou à la base de l’administration et de la gouvernance.
C’est un projet à long terme que de viser l’éradication de la corruption. Il nécessite des efforts concertés pour renforcer les institutions, améliorer la transparence, et promouvoir une culture d'intégrité et de responsabilité.
Riadh Zghal
(1) 455580WP00BOX0334106B01public1.pdf (worldbank.org)
(2) Frank Vogl (2021), The Enablers: How the West Supports Kleptocrats and Corruption - Endangering Our Democracy, Hardcover .
(3) Publication du rapport la Petite Corruption en Tunisie: L’Étude analytique 2014-2020 (leaders.com.tn)