Ridha Bergaoui: Caroubier et câprier, deux espèces oubliées, en quête de relance
En marge du Salon International de l'Investissement Agricole et de la Technologie (Siat), qui s’est tenu à Tunis du 30 octobre au 2 novembre, de nombreux ateliers, séances de démonstration et conférences ont été organisés. Le jeudi 31 octobre, M.Khaldi Abdelhamid, professeur et éminent chercheur à l’Institut National de Recherches en Génie Rural, Eaux et Forêts (INGREF, Tunisie) a animé et présenté deux conférences, la première sur le caroubier et la seconde sur le câprier. L’objectif étant de présenter et mieux faire connaitre les particularités de ces deux espèces afin de promouvoir leur culture.
Particularités du caroubier (Ceratoniasiliqua)
Le caroubier est un arbre, de la famille des légumineuses qui peut atteindre plus de 5 m de hauteur et vivre très longtemps (jusqu’à 500 ans). Il a de grandes feuilles persistantes, l’arbre est vert toute l’année et on peut l’utiliser à titre décoratif ou comme brise-vents.
Ses fruits sont des gousses brunes à maturité, généralement aplaties et en forme de corne, qui comportent à l’intérieur 10 à 20 graines de couleur brune, brillantes et de forme ovoïde. Ces graines, dont le poids est remarquablement constant (1 carat = 0,200 gramme) ont été depuis l’antiquité utilisées pour estimer la valeur des pierres précieuses.
La pulpe des caroubes est riche en sucres, contient également de l’amidon, un peu de protéines et des minéraux (calcium, phosphore, potassium et magnésium surtout). Les caroubes, sont utilisés depuis très longtemps en alimentation humaine ainsi qu’en médecine traditionnelle. De nos jours, les fruits et les graines sont très sollicitées par l’industrie agro-alimentaire.
Les gousses charnues, au gout sucré, chocolaté peuvent être consommées directement. Elles peuvent être séchées et broyées et utilisées en cuisine pour différents usages. Cette farine représente un excellent substitut au cacao dans la préparation de gâteaux et biscuits. Elle peut être utilisée dans la fabrication de jus et de boissons. Le sirop, extrait des gousses de caroube, est très sucré et peut être utilisé comme édulcorant naturel dans de nombreuses préparations.
A partir des graines, les industriels extraient une gomme naturelle mucilagineuse très importante (dénommée E410) qui est utilisée dans plusieurs domaines industriels du fait de ses propriétés technologiques très intéressantes (stabilisant, épaississant, agglomérant et gélatinant).
Les caroubes sont très riches en pectines ce qui explique leurs bienfaits thérapeutiques. Ils soulagent des problèmes gastriques (irritation de la muqueuse, reflux, vomissements) et améliorent le transit en cas de diarrhées ou de constipation. Le caroub aide à réguler la glycémie et à traiter l’hypercholestomie.
Le caroubier est également une plante mellifère qui fleurit en été et donne un excellent miel. C’est enfin une plante pastorale très appréciée par les animaux pour ses feuilles et ses fruits. Le caroubier joue un rôle important dans la fixation du sol et la lutte contre la désertification. Il procure de l’ombre, protège toute une faune et flore et joue un rôle important pour la biodiversité.
Sur le plan économique et social, le caroubier revêt une importance capitale pour de nombreux habitants des régions rurales qui trouvent dans cet arbre tout à la fois: de quoi se nourrir, ainsi que leur cheptel, du bois pour se réchauffer et un complément de recettes par la vente des caroubes. C’est un facteur de stabilisation et de fixation de la population rurale.
Le caroubier est une plante rustique, peu exigeante. Elle possède un système racinaire pivotant très puissant qui peut aller très loin chercher l’humidité. C’est une espèce dioïque (arbres mâles et arbres femelles) et il est nécessaire, pour assurer une bonne production de fruits, d’avoir une bonne fécondation des fleurs en intercalant des arbres mâles au milieu d’arbres femelles. La pollinisation se fait bien par les insectes, surtout les abeilles. La multiplication du caroubier se fait par semis et greffage plus tard ou par micro propagation in vitro. Des pépinières proposent des plants greffés à planter directement. Le rendement en caroubes dépend des conditions de culture. Un arbre est capable de produire jusqu’à 300 kg de caroubes/an. La Tunisie dispose d’une très grande variété de caroubiers et selon l’objectif (produire plutôt de la farine de carroube ou des graines), il est possible de trouver la variété appropriée.
La production mondiale de caroube est estimée à 250 000 tonnes, concentrée essentiellement dans les pays méditerranéens (Espagne, Maroc, Italie, au Portugal…). La production Tunisienne est très faible. La Tunisie dispose de nombreux atouts pour le développement de cette espèce. Il serait important d’encourager les plantations de caroubier (à la fois dans les domaines forestiers que comme culture de rapport). Les bienfaits du caroubier sont nombreux (à la fois nutritionnel, médicinal, agroalimentaire, industriel, écologique, forestier, pastoral etc.). C’est un excellent levier pour le développement et la dynamisation de nombreuses régions déshéritées et défavorisées. C’est un arbre qui a un très grand potentiel et à très forte valeur-ajoutée. Un soutien, au niveau du financement, du conseil des agriculteurs et de la recherche pour la sélection des variétés adéquates et la valorisation des produits, est toutefois nécessaire.
Le câprier
Les câpres sont des boutons floraux du câprier. Le câprier est une plante intéressante à plusieurs niveaux. Les animaux (moutons et chèvres) apprécient bien et broutent les feuilles et les jeunes pousses. Les oiseaux raffolent des câpres et disséminent les graines dans leurs déjections, ce qui explique la présence du câprier spontané un peu partout dans le pays. Les branches, feuilles, baies sont utilisées en médecine traditionnelle pour soulager de nombreux maux grâce à leurs propriétés anti-inflammatoire, antimicrobienne, diurétique…De nombreux scientifiques et laboratoires dans le monde s’activent pour isoler et purifier les molécules d’intérêt pharmaceutique de la plante.
C’est surtout à des fins culinaires que les câpres sont les plus intéressantes. Les câpres fraichement cueillies ont un goût amer. Il est nécessaire de les traiter soit au sel soit à l’acide avant de les consommer. Les câpres sont préparées généralement en saumure avec du sel (au moins une semaine) ou parfois du vinaigre ou simplement du sel sec. Elles représentent un condiment exceptionnel, rehausseur du gout et des saveurs des plats cuisinés. En Tunisie, les câpres sont presque indispensables pour préparer les briks du mois de Ramadan. On les utilise également pour la préparation de tajines. Elles se marient aussi bien avec la viande que le poisson et donnent aux plats une touche d’acidité et de fraicheur très agréable. Ajoutées dans un plat de spaghettis, elles donnent aux pâtes une touche subtile, raffinée et très agréable. Elles agrémentent les pizzas, les sandwiches ou les fricassés et enrichissent le gout de ces préparations. On peut les utiliser également pour faire des sauces aux câpres et pour parfumer de l’huile d’olive.
A côté de leur apport gustatif exceptionnel, les câpres sont riches en nutriments et antioxydants et sont très bénéfiques pour la santé. A consommer toutefois avec modération en raison de la présence du sel utilisé pour la préparation des câpres.
Le Maroc est le plus grand producteur et exportateur de câpres au monde. Le câprier marocain s’étend sur au moins 34 000 ha (14 000 ha en spontanée et 20 000 en culture). De 20 à 28 000 tonnes de câpres sont exportées chaque année. La consommation locale est très faible. La plus grande partie provient de champs modernes cultivés de câpriers à haut rendements. Au Maroc la filière est très bien organisée et regroupe les différents maillons :production, collecte, commercialisation, transformation et exportation. La récolte et la cueillette des câpres est manuelle et exige beaucoup de main d’œuvre. En raison de la disponibilité et des bas salaires, les câpres marocaines sont très compétitives et coûtent moins chers que celles de l’Espagne ou d’Italie.
Le câprier est une plante très robuste, résistante au stress hydrique et à la chaleur. Le câprier est capable de pousser dans des sols pauvres, rocailleux ou en pente. Ses racines très longues et puissantes vont chercher l’eau très loin. C’est une excellente plante qui permet de lutter contre l’érosion et la désertification et permet de fixer et améliorer les sols. Il nécessite peu de soins et connait peu d’ennemis.
La multiplication du câprier peut se faire par les graines. Toutefois le pourcentage de germination est très faible et les plants issus de semis sont très hétérogènes aussi bien au niveau quantitatif que qualité des câpres. La multiplication par bouturage herbacées en pépinière ou la micro propagation au laboratoire in vitro sont plus intéressantes. La non disponibilité de plants de câpriers de variétés intéressantes représentait en Tunisie un frein au développement de cette culture. De nos jours, il est possible de s’approvisionner en jeunes plants de câpriers chez de nombreux pépiniéristes. Bien conduit, un câprier, en année de croisière (à partir de la quatrième année), peut donner jusqu’à 5 kg de câpres. La durée de vie du câprier est d’environ 30 ans. La cueillette s’étale du mois d’avril à octobre. Elle se fait généralement tôt le matin et un peu le soir. Une personne peut récolter jusqu’à 8 kg/jour. Elle est effectuée toutes les semaines, soit un nombre de passage de 12 à 18 par plants. La récolte représente jusqu’à 60% du coût total du produit. En Espagne, en culture intensive, le rendement varie de 15 à 30 q/ha. Afin de préserver la qualité des câpres Khaldi recommande de les conserver le jour même dans une saumure avec du sel. Sous cette forme, les câpres se conservent parfaitement. Cela permet également de les écouler au moment opportun lorsque les prix sont intéressants pour le producteur. Le câprier joue un rôle socio-économique important dans plusieurs régions arides et semi-arides défavorisées et marginalisées.
L’intérêt tant écologique que socio-économique, médicinal et nutritionnel font du câprier un excellent moyen de développement durable des régions peu favorisées. La Tunisie était jadis exportatrice de câpres. De nos jours, malgré une consommation faible, nous importons des câpres pour le marché local. La forte demande, aussi bien au niveau national que mondial, est une excellente opportunité pour le développement de cette culture surtout que la Tunisie présente de nombreux atouts : un climat parfaitement adapté, des variétés locales intéressantes, une main d’œuvre disponible, une proximité avec les pays importateurs etc. Il est toutefois nécessaire de soutenir cette production, d’assurer l’écoulement du produit dans de bonnes conditions, d’organiser une filière opérationnelle associant producteurs-collecteurs-transformateurs et commerçants. Un soutien au niveau de la recherche est nécessaire afin de sélectionner des variétés locales, résistantes, de préférence inermes et facile à récolter et productives, avec des produits de qualité.
Perspectives de développement
Le caroubier et le câprier connaissent, partout dans le monde, un regain d’intérêt, boostés par une demande intérieure et mondiale de plus en plus croissante. M.Khaldi souligne que les débouchés ne manquent pas et que la demande, tant intérieure que pour l’export, est de loin supérieure à l’offre. Aussi bien pour les caroubes que les câpres, les prix sont très motivants et ne risquent pas de descendre même en cas d’une augmentation de la production suite à un éventuel et important développement de la culture.
Le caroubier et le câprier sont deux espèces typiquement méditerranéennes, très rustiques et très adaptées à la chaleur et au stress hydrique. Elles ont été jusqu’ici oubliées, marginalisées et complètement ignorées. Elles se révèlent, d’une part dans un contexte de dérèglement climatique et d’autre part suite à une demande croissante en leurs produits (les caroubes et les câpres) et leurs dérivés, d’un grand intérêt. Ces deux espèces conviennent très bien pour la création de sources de revenus pour les agriculteurs et d’emplois surtout dans des régions difficiles et généralement peu favorisées.
Ridha Bergaoui