Mohamed Mediouni: Fathi al Haddaoui , il n’a cessé d’être le meilleur
En dépit du statut de star incontesté qui était le sien, Fathi al Haddaoui était d’une très grande discrétion quant à sa vie privée. Très peu de gens savaient qu’il était malade, très malade. Le choc ressenti à la suite de l’annonce de sa disparition inattendue a bouleversé et ému tous les Tunisiens et au-delà. En écoutant et en lisant les réflexions des uns et des autres, m’est passé par la tête l’un des proverbes malinkés que le romancier ivoirien Ahmadou Kourouma a choisi de rythmer son chef-d’œuvre En attendant le vote des animaux sauvages qui dit : «La mort engloutit l’homme, elle n’engloutit pas son nom et sa réputation».
En effet, Fethi al Haddaoui était adulé par le grand public, car il est devenu un des leurs ; on imaginait mal une série de télé sans lui. (Aucun ne doute de son énorme popularité : il n’a cessé d’être élu meilleur acteur par le public depuis l’avènement des sondages organisés par les radios et autres magazines depuis 2013 ; il l’a été en 2020 dans quatre sondages distincts).
Aimé et vénéré par certains de ses pairs, écouté et respecté par les autres, Fethi al Haddaoui était un vrai professionnel qui aimait son métier et le prenait au sérieux. Il donne une haute idée de ce qu’est un acteur, un artiste.Doté de qualités physiques et mentales exceptionnelles et de capacités hors pair à en faire usage et à les développer à chaque expérience artistique, Fethi al Haddaoui rassurait les metteurs en scène et les réalisateurs de films et de séries télé. Il était, tout le temps, d’un apport inestimable pour les projets artistiques dont il faisait partie. Sa grande carrure, son agilité, son regard, son intelligence et sa capacité à travailler sur soi pour construire les rôles qu’on lui propose étaient des atouts importants pour lui et une aubaine pour les metteurs en scène et réalisateurs. Ils ne pouvaient pas l’ignorer ni s’en passer. En dressant la liste exhaustive (on a compté pour le faire sur Africultures ) des nombreux films courts et longs et des séries télévisuelles tunisiens, arabes et européens dans lesquels il était impliqué, on pourrait donner une petite idée sur l’étendue et la richesse de sa carrière.Cinéma: 1985 • La coupe de Mohamed Dammak 1986 • Halfaouine de Ferid Boughdir 1986 • Les sabots en or de Nouri Bouzid 1987 • Un enfant nommé Jésus de Franco Rossi 1987 • L’été de tous les chagrins de Serge Moati 1988 • L’attente de Franco Rossi 1988 • Arab de F. Jaibi et F. Jaziri 1989 • Des feux mal éteints de Serge Moati 1990 • Chichkhan de F. Jaibi et B.Mahmoud 1995 • Un certain regard de Kaled Barsaoui • court métrage 1996 • Contrôle d’identité de Peter Kassovits 1998 • Kelibia Mazzara de Jean Franco Pannone et Tarek B. Abdallh. Primé au Festival de Téhéran et au Festival de Torino 2000 • La Clé de sol de Chaouki Mejri • court métrage 2000 • No man’s love de Nidhal Chatta 2001 • The 3 Kings de Allain Mosly 2004 • La porte du paradis de Mokhtar Lajimi 2005 • Le temple du silence de Abdallah Al-Mouhaisen.Télévision: 1991 • Layam kiferrih de Salah Assid 1992 • Ghada de Mohamed Haj Sleiman 1993 • La tempête de Abdelkader Jerbi 1994 • La moisson de Abdelkader Jerbi 1997 • Taj Min Chouk de Chaouki Mejri 1999 • Al Toubi de Bacel Al-Khatib 2002 • Holako de Bacel Al-Khatib 2004 • Al Hajjaj de Mohamed Azizia 2004 • Gamret Sidi Mahrous de Salah Assid 2004 • Abou Zid Al-Hilali de Bacel Al-Khatib 2005 • La dernière rose de Fardous Attassi 2005 • Al Mourabitoun de Neji Toome.Je citerai en complément de ses prestations quelques prix octroyés dans différents festivals:
2000 : meilleur second rôle masculin pour son rôle dans le film No Man’s Love de Nidhal Chatta aux Journées cinématographiques de Carthage.
Meilleure interprétation masculine au Festival international du film arabe d’Oran 2000; meilleur second rôle masculin aux Journées cinématographiques de Carthage pour son rôle dans le film Noce d’été de Mokhtar Laajimi 2004; prix du meilleur réalisateur au Festival des radios et télévisions arabes pour «La cité du Savoir» 2010; prix du meilleur acteur au Festival du film arabe d’Oran, 2013.
Un pur produit tunisien, Fathi al Haddaoui est passé par le théâtre scolaire et le théâtre amateur ; et avant même de rejoindre l’Isad pour y parfaire sa formation, a pu se frayer un chemin parmi les acteurs de théâtre et de cinéma.Il a fait partie de la plupart des événements qui ont marqué la vie théâtrale, durant les années 80. Qui peut oublier, par exemple, ses prestations dans : Doulab 1982 et de Mawal 1984, de Habib Chebil (Théâtre Triangulaire) ; dans Arab (Nouveau Théâtre 1987) Al Aouada (Nouveau Théâtre & T. National, 1989) de F. Jaibi et F. Jaziri?Il a réussi à bâtir une carrière artistique que de rares personnes de sa génération ont pu avoir. Et il a cherché, surtout, à la maîtriser, et à l’orienter vers des horizons prometteurs et gratifiants. Son choix de s’éloigner du théâtre et de se consacrer au cinéma et à la télé n’est pas dû, seulement, aux avantages matériels évidents, mais aussi parce qu’il a senti qu’il n’avait plus rien à prouver au théâtre et dans les arts de la scène. Homme public, il n’a pu résister à la tentation du pouvoir. Il a accepté de faire partie du gouvernement éphémère de Habib Jomli dominé par le parti islamiste, en tant que ministre des Affaires culturelles. Et heureusement pour lui que ce gouvernement est tombé par ceux-là mêmes qui l’ont constitué car cela lui a permis de revenir au bercail et de continuer son travail d’artiste hors pair.
Sa disparition est une grande perte pour le monde du théâtre, du cinéma et de la télévision.
Mohamed Mediouni