News - 24.02.2025

Le retour du Président Trump au pouvoir provoque de grands bouleversements mondiaux

Le retour  du Président Trump  au pouvoir provoque de  grands bouleversements mondiaux

Par Riadh Ben Sliman, Ancien Ambassadeur- Le monde vit une des périodes les plus critiques de l’histoire moderne et la situation actuelle est empreinte d’une ambiguïté de plus en plus pesante. La scène mondiale est indéfinissable du fait que les profonds bouleversements que nous vivons actuellement sont pour l’heure difficiles à décrypter. Néanmoins, depuis quelques jours, quelques tendances commencent à se profiler à l’horizon, mais il est encore tôt pour saisir leur portée à moyen et long terme.(Télcharger le texte intégral en PDF)

Au-delà de la personnalité du Président Trump et de sa manière et son style de diriger, c’est le système international qu’il faut ausculter en premier.
Il est important d’établir les liens qui existent entre les éléments structurels des relations internationales actuelles et les particularités de la politique de Trump. L’effort de placer les événements actuels dans leur contexte est fondamental pour comprendre les bouleversements en cours.

Pour parler de système international, toute tentative de scruter ce système se heurte à l’effet de confusion et à la vision floue que projette un tableau artistique abstrait ou fortement empreint d’abstraction.

A mon sens, Trump a mis à profit une situation internationale ambiguë, instable et vacillante pour asseoir sa politique étrangère, mais qui, avec un contour non encore clairement défini et qui évolue au gré de l’instinct du Président, accroît le caractère incertain de la scène mondiale.

Mais contrairement à une impression largement répandue, Trump ne balaie pas d’un revers de main l’édifice sur lequel est bâtie l’architecture internationale, mais contribue par ses politiques à étendre et rendre plus profondes ces failles du système international qui ont commencé à apparaître depuis bientôt deux décennies.
Nous sommes issues d’une génération témoin d’une situation internationale qui, bien que tendue, était ordonnée et reposait sur une entente tacite entre les deux superpuissances, les USA et l’Union Soviétique, pour que les situations de crises n’échappent à tout contrôle. Nous nous rappelons tous de l’histoire de la crise de Cuba en 1962 qui a failli dégénérer mais qui a finalement été contenue ou encore de l’histoire des Pershing en Allemagne.

Le monde d’alors était géré par l'équilibre de la terreur et la dissuasion nucléaire.

Les failles du système ont commencé à apparaître juste après le moment unipolaire, expression lancée par le célèbre politiste américain Charles Krauthammer. C’est plus précisément avec la guerre de l’Otan contre la Serbie en 1999, l’agression anglo-saxonne contre l’Irak en 2003 qui a suivi les attentats du 11 septembre et la crise financière de 2008 que l’on a commencé à entrevoir les craquements du système.

Avec ces événements, les fondements des relations internationales mis en place depuis la seconde guerre mondiale ont été mis à mal.

En 1981, l’un des grands professeurs et théoriciens des relations internationales, le Professeur Robert Gilpin, de l’Université de Princeton, a, dans son livre War and Change in Global Politics, mis en lumière les tournants historiques des relations internationales, ces moments charnières qui ont consacré la fin d’un ordre et l’émergence d’un nouveau.

Selon Gilpin, la transition entre deux mondes s’effectue généralement dans la douleur, c'est-à-dire dans un environnement de violence et de guerre, mais aussi suite à des facteurs ou des événements autres que la guerre, générés le plus souvent par une phase plus ou moins longue d’instabilité ou des reculs importants à tous les niveaux.

Gilpin voyait juste puisqu’il parlait de périodes de transition chaotique marquées par les conflits géopolitiques, le nationalisme, le protectionnisme et la prédominance de la violence.
La disparition des empires européens au terme des processus de décolonisation, la dislocation de l’ancienne URSS et les changements radicaux qu’elle a générés n’ont pas donné lieu à un ordre nouveau clairement défini et aux paramètres bien délimités, hormis le moment unipolaire américain des années 1990. D’où l’ordre actuel, un ordre chancelant, fracturé, frappé par l’usure et qui démontre qu’aucune puissance n’est capable de créer un ordre normatif international qui réunit autour de lui un consensus, du fait de la virulence de la bataille sur la vision du monde présent et futur.

Et Trump arrive au pouvoir dans un contexte mondial marqué par la déstructuration et la dérégulation du fonctionnement du système international ou disons-le, le détricotage de l’ordre international issu de la deuxième guerre mondiale, par la désoccidentalisation du monde qui avance à grands pas, par la montée des nationalismes et l’effondrement moral dans les relations internationales. Vous avez le martyr de Gaza comme l’illustration de cette décadence morale et fait important, la fin de la prépondérance des Etats-Unis, l’Amérique ne jouit plus du moment unipolaire ni de la primauté de la puissance.

Sur le plan économique, en 1950, l’économie américaine représentait trois fois celle de l’Union Soviétique, cinq fois celle de la Grande-Bretagne et vingt fois celle du Japon. Cependant, dès les années 60, la puissance économique des Etats-Unis perd de son avance relative vis-à-vis des autres industrialisés. En 1971, la balance commerciale des USA devient négative et en 1989, le Japon devient le premier bailleur de fonds au monde, devançant pour la première fois les Etats-Unis.

Au plan militaire, la débâcle de Mogadiscio en octobre 1993, comme les échecs d’Irak et de l’Afghanistan, montrent les limites de la puissance et l’incapacité d’imposer sa volonté par la force.

En outre, la mondialisation a enfanté un paysage international marqué par la multiplication et la diversification des acteurs qui interagissent dans un espace transnational. Leur capacité de mobilisation de manière autonome ainsi que l’intensité croissante des flux transnationaux conjugués au développement vertigineux des nouvelles technologies leur confèrent une nouvelle dimension internationale.

Cette diversification des acteurs se conjugue avec la prolifération des enjeux mondiaux qui se déclinent en nouvelles problématiques : changements climatiques, pandémies, crises financières, terrorisme, migrations, criminalité transnationale et… et qui acquièrent une nouvelle centralité dans les relations internationales.
Tous ces facteurs nouveaux contribuent à l’éclatement du système international qui ne remplit plus sa fonction régulatrice et intégratrice et montrent que les fondements matériels de la puissance tant économiques que militaires ne suffisent plus à imposer l’hégémonie car la puissance suscite désormais la contestation plus qu’elle ne parvient à imposer sa fin.

Outre que l’avènement de la 2ème Présidence de Trump a lieu dans ce contexte international, Trump inaugure son second mandat sur un fait nouveau:  
L’âge du nationalisme qui a émergé suite à la grande crise financière de 2008 et qui a généré des politiques protectionnistes, transformant souvent des frontières en forteresses. Outre le protectionnisme économique, l’ethno-nationalisme croit depuis le milieu des années 2010 et prend des allures racistes avec la montée des white supremacists.

Hubert Védrine, ancien Ministre français des Affaires Étrangères, affirme que l’Amérique redevient protectionniste après avoir passé des décennies à s’ouvrir les frontières des autres (dans La revue le Spectacle du Monde, été 2024).

Cette nouvelle ère nationaliste se manifeste dans le basculement vers un monde fortement conditionné par les rivalités de puissance. Ce monde façonne actuellement la stratégie américaine envers la montée en puissance de la Chine, la doctrine stratégique américaine étant immuable, pérenne et commune à tous les présidents américains, celle qui consiste à empêcher à tout prix l’émergence d’une puissance capable de rivaliser avec les Etats-Unis.

Trump accélère par sa présidence ces mutations internationales et accroît leur intensité ainsi que l’ampleur d’une grande partie des défis qu’affronte le monde, y compris les Etats-Unis : crises climatiques, migratoires, terrorisme, prolifération nucléaire, persistance des guerres intra-étatiques et retour du spectre des guerres inter-étatiques, ne trouvent pas de réponse dans un cadre de repli national ou la projection de la puissance se limite strictement à la recherche de gains commerciaux. Selon Stephen Walt de Harvard University, qui se réclame de l’école réaliste américaine, America First n’est qu’un slogan et pas une stratégie.

L’héritage américain de Trump

Trump arrive au pouvoir pour la deuxième fois en héritant de deux âges qui ont traversé la politique étrangère américaine, celui des Présidents Franklin Roosevelt et Ronald Reagan. Ces deux Présidents ont façonné d’une manière profonde la politique étrangère américaine.

Le Président Roosevelt a été l’artisan de l’ordre international multilatéral issu de la deuxième guerre mondiale et dirigé par les Etats-Unis. Il a été l’initiateur de l’ordre libéral international prôné depuis par les Etats-Unis qui d’abord garantit la suprématie des Etats-Unis mais aussi fait des USA le garant et le protecteur du libéralisme économique et de la démocratie libérale.

Le Président Reagan a, pour sa part, élaboré un dosage subtil de puissance militaire et économique, en misant au maximum sur ces deux outils. Durant tout son mandat, et arborant son chapeau de cow-boy, il a cherché à imposer la paix par la force.

Les administrations américaines qui se sont succédé à l’issue de la guerre froide, marquée par le triomphe des valeurs néolibérales, ont oscillé entre la vision de Roosevelt sur le rôle des USA en tant que garant de l’ordre libéral et le reaganisme, récupérant souvent des éléments des deux.

Entre Trump et Biden, la ligne s’estompe. (The line is blurred).

A travers les lignes qui suivent, je mets l’accent d’abord sur les traits communs qui ressortent des politiques étrangères aussi bien de Trump que de Biden, son prédécesseur. Car il faut le dire, le Président Biden a fini par se rallier à plusieurs des thèses de Trump concernant la Chine et le nationalisme, et un redéploiement sur l’intérêt états-unien, mais tout en gardant une sorte de fenêtre ouverte sur les alliances, le partenariat et sur un multilatéralisme débridé.

Il faut également reconnaître que la Présidence de Biden ne s’est pas engagée dans une véritable politique internationaliste. Peut-être que la Présidence Trump, qui l’a précédée, avec son penchant pour un relatif isolationnisme et le credo de l’Amérique d’abord, a en quelque sorte calmé les ardeurs internationalistes de Biden.
En effet, contrairement à l’impression répandue au début de l’Administration Biden, que celle-ci a renoué avec le multilatéralisme, l’Otan et les Nations Unies en particulier après la parenthèse Trump, Biden n’a pas privilégié le cadre multilatéral quand celui-ci ne servait pas les intérêts nationaux des USA ni ceux de son allié l’entité sioniste.

Les efforts de ce dernier pour construire des alliances ne reflètent pas la recherche d’un monde apaisé et stable, mais émanent d’une détermination à livrer une âpre lutte idéologique opposant ce qu’il appelle démocratie et autoritarisme sur fond de confrontation avec la Chine. Bien qu’il ait promis de s’éloigner de America First, qui a conduit la première administration Trump, Biden a fini par succomber à l’ère du nationalisme et aux politiques protectionnistes de Trump envers la Chine.

Donc dire, comme cela a été le cas, que la politique étrangère de Biden se distingue radicalement de celle de Trump n’est pas conforme à la réalité, il existe des traits communs dictés par l’impression commune de la menace chinoise sur la prééminence des Etats-Unis ainsi que d’autres éléments de politiques trumpiennes récupérés par Biden car ils étaient perçus comme étant populaires auprès de la base électorale de Trump et donc étaient de nature à séduire au-delà du Camp Trump.

C’est dire que Trump accède à la Maison Blanche en récupérant les meubles qu’il y avait laissés en 2020. Sa présidence ne se déploie pas sur un terrain nouveau et inconnu. Il avait déjà prospecté et utilisé le terrain auparavant, étant lui-même un professionnel de l’immobilier. Mais les similitudes remontent aussi jusqu'au Président Obama. Trump partage avec lui la vision que les USA n’ont plus les moyens d’être les gendarmes du monde et doivent désormais accorder la priorité à leurs intérêts nationaux. Il estime que les Etats-Unis ont excessivement accepté les lourdes tâches internationales. Mieux, les Etats-Unis ont été très généreux et conciliants avec les autres nations qui en ont profité de ses largesses. D’où le nouveau programme de Trump qui focalise sur les intérêts nationaux des Etats-Unis plutôt que ceux des autres pays, et notamment l’Europe.

En effet, Trump estime que les Etats-Unis, qui ne disposent plus de leur puissance inégalée d’avant, ne peuvent plus s’étendre au-delà de leurs capacités (overstretched) et donc ne peuvent plus se disperser. Ils doivent par conséquent déléguer davantage de responsabilités à leurs riches alliés pour éviter d’assumer le fardeau du financement de la défense mutuelle au détriment des contribuables américains. La solution est que les alliés, notamment les pays européens, doivent payer.

Donc, plus d’engagements militaires coûteux et aux conséquences désastreuses souvent pour les Etats-Unis. Mais cela ne signifie pas que Trump introduira des réductions aux dépenses militaires américaines, car Trump œuvre à conserver la puissance des Etats-Unis, même s'il présente ces augmentations comme essentiellement dissuasives : durant son premier mandat, Trump a opéré non des coupes mais des augmentations dans les dépenses militaires américaines, passant de 620 à 738 milliards de dollars au cours de son mandat, soit 38 % des dépenses militaires mondiales.

Mais même si le fondement de sa politique est le rétrécissement du champ d’action des Etats-Unis, Trump ne renoncera surtout pas lors de son second mandat à la prééminence et au leadership mondial qu’il veut rétablir grâce surtout à la puissance. Mais a priori, pas par la force. Ce sera par les pressions, les sanctions économiques, la coercition et l’application extraterritoriale de la législation américaine. Ces pratiques continueront de saper les fondements du droit international et le consensus mondial autour des normes internationales communément admises.

Pour cela Trump s’affranchira de deux contraintes:

Pour avoir les coudées franches et éviter que ces élans et ambitions  ne soient entravés par des officiels qui ne partagent pas sa vision, Trump est sur la voie de s’affranchir de tout ce qui pourrait restreindre son pouvoir et faire obstacle à ses actions motivées principalement par  ses instincts personnels car il  faut le dire  Trump agit selon ses instincts: En 2018, il a écarté son Secrétaire d’Etat  Rex Tillerson, son conseiller à la Sécurité nationale HR McMaster et son Secrétaire à la Défense James Mattis, tous des praticiens qui croyaient profondément aux vertus de la réflexion stratégique et non à la projection mondiale de l’Amérique selon les impulsions  du Président.

D’où aussi l’impératif de s’affranchir  des institutions y compris le fédéralisme et les  tribunaux, bref le rejet des normes, de la bureaucratie, des codes et usages et  de toute norme  régulatrice du comportement à l’échelle internationale. Pour Trump, ANY GLOBAL RULES ARE CONSTRAINTS ON AMERICAN FREDOM AND SOVEREIGNTY.

La vision  trumpienne de  politique étrangère

La vision de Trump supplantera une  politique étrangère qui a dominé l’Amérique depuis la fin de la  deuxième guerre mondiale.
Durant des décennies les leaders américains se sont assignés le rôle de diriger  une Amérique garante  des idéaux de la démocratie, de l’Etat de droit et des valeurs libérales. Ce consensus autour de la suprématie des USA né des cendres de la deuxième guerre mondiale est enterré. Trump balaye  d’un revers de main cette vision en usant de tous les moyens que lui procure son pouvoir.

Son pouvoir sera une démonstration de puissance et un mélange d’idéologie  du 19eme siècle avec sa vision  d’élargissement des frontières des Etats Unis  et  du 21 siècle reflété par l’innovation en matière technologique comme l’Intelligence Artificielle et par l’ambition de déployer le drapeau de l’Amérique sur la planète Mars comme le proclame son homme de confiance Elon Musk.

L’ordre libéral international, axe fondamental de la politique étrangère américaine depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et sur lequel reposait la suprématie américaine est enterré par Trump à coup de hache.

La défense des valeurs libérales ne trouve pas de signification auprès de Trump ni même la défense de cet ordre à coup d’interventions militaires ou humanitaires que les Présidents américains ont pourtant érigé en dogme.

Trump leur oppose la reconquête des intérêts des Etats-Unis dans le monde en les transformant en véritables acquis par ses dons transactionnels (il adopte l’approche bilatérale et le face to face et au gré des circonstances) et la compétition entre grandes puissances.

L’ère de la Pax Americana est redynamisée  au gré  de la politique de puissance que Trump vénère.

Mais pour Trump, puissance ne veut en aucun cas signifier interventionnisme car fidèle à ses républicains jeffersoniens, du nom du 3eme Président américain Thomas Jefferson  (1801 -1809), les interventions extérieures sont perçues comme aventuristes et menacent les équilibres internes américains. Ni droits de l’homme ni menace sur la démocratie, ni persécution d’un peuple ne sont en mesure de  motiver l’envoi de contingents américains sur une terre étrangère.

Loin d’être un idéaliste comme ses prédécesseurs, Trump est plus proche de l’école réaliste en relations internationales. Il évite les visions idéalistes et idéologiques des affaires mondiales en faveur de politiques de puissances.

Néanmoins la puissance est aveugle  devant le droit des peuples à disposer d’eux même, principe consacré par le droit international et une telle puissance  se heurte au  particularisme culturel qui rend la scène internationale encore plus diversifiée où culture et identité retrouvent toute leur plénitude.  

Soumis a un stress émotionnel intense depuis l’agression de l’entité sioniste contre les Gazaouis, ce peuple vaillant qui fait  honneur à tous ceux qui croient à la valeur et la dignité humaine, les opinions  à travers le monde se plaçant aux cotés des causes justes ont été témoins du choc et du traumatisme mondial que la proposition du Président Trump de déporter la population de Gaza pour transformer ce territoire palestinien en une French Riviera a provoqués. Outre sa violation du droit international qui interdit les transferts de populations et le nettoyage ethnique, cette proposition qui transgresse les principes moraux provient  d’un  capitalisme spéculatif et avide, qui en dépit de la crise des subprime de 2008, poursuit sa trajectoire au dépens de la dignité de  populations  sans défense, accentuant davantage cet effondrement morale par sa marchandisation de tous les aspects de la vie.

Cet épisode montre que face à un même enjeu, les cultures n’ont pas la même compréhension (dignité et droit légitime d’un peuple versus transaction immobilière et accroissement du  gain).

Il démontre aussi que Trump n’appréhende pas les sujets dans  leur complexité mais les aborde d’une manière simple et conforme à ses intérêts. L’Administration Trump opte pour la poursuite d’une approche transactionnelle. Cette approche transactionnelle ne prend pas du tout en compte des paramètres comme l’histoire, les cultures, la légitimité,  les liens diplomatiques mais est à la recherche plutôt d’avantages immédiats, parfois instantanés de conclusion de contrats de commerce juteux profitant aux USA.

Tout indique que le soutien de Donald Trump à l’entité sioniste  croitra  davantage alors que l’on commence à percevoir l’impact des nominations stratégiques qui renforcent l’ancrage de l’influence pro israélienne au sein de son administration. En guise d’illustration, la nomination de Mike Huckabee chrétien évangélique sioniste et fervent partisan de l’extrême droite israélienne et des politiques messianiques en Israël comme nouvel Ambassadeur US à Tel Aviv ou  encore Marco Rubio, fervent défenseur de l’entité sioniste au poste de Secrétaire d’Etat

La Chine sera-t-elle sous Trump un ennemi qu’il faut contenir/endiguer ou une puissance montante qu’il faut ménager tout en s’attelant à saper les fondements de sa puissance  et empêcher qu’elle ne devienne vraiment un vrai rival? : Il me semble que la politique de Trump envers le géant chinois sera un mélange subtil des deux. Deux personnages clé de son administration pèseront de tout leur poids dans l’avenir des relations sino américaines : Elon Musk dont les intérêts sont bien ancrés en Chine et qui y bénéficie plutôt d’une impression favorable, et Marco Rubio connu pour son hostilité à la Chine et pour ses positions dans les domaines   militaire et commercial.

Mais Trump veut d’abord  mettre un coup d’arrêt aux principaux théâtres d’affrontements actuels dans le monde (Ukraine et Palestine) pour pouvoir s’occuper des défis posés aux Etats Unis et à leur tête la  menace Chinoise. D’où son empressement à régler notamment  le  conflit ukrainien en amorçant un rapprochement accéléré avec la Russie.

Cette nouvelle idylle si j’ose dire, retrouvée avec son ami Poutine s’insère dans sa stratégie de remodeler des espaces conformément  aux intérêts nationaux des Etats Unis.

Trump est connu pour aimer s’engager avec  des interlocuteurs puissants comme Poutine, ne cachant pas son admiration pour ceux qui exercent le pouvoir sans contrainte, indépendamment du fait qu’ils soient en phase avec  la gestion US des affaires du monde ou pas.

Ce nouveau chambardement dans la politique étrangère américaine  trouve son  illustration  dans la conférence annuelle  de Munich sur la Sécurité qui s’est tenue du 14 au 16 février 2025 dans la capitale bavaroise. Les débats   lors de  cette conférence  provoquent  une profonde fracture dans les relations transatlantiques perçue comme le pilier du système international depuis 1945.

Les Européens ont été l’objet de critiques virulentes par les officiels américains présents dont le Vice-Président J D Vance qui a affirmé « La menace qui me préoccupe le plus vis-à-vis de l’Europe n’est ni la Russie ni la Chine, mais celle provenant de l’intérieur : le recul de l’Europe sur certaines de ses valeurs les plus fondamentales, partagées avec les Etats-Unis. ». L’Europe est aussi vilipendée pour sa règlementation excessive de l’intelligence artificielle, sa politique migratoire, sa gestion démocratique qui tente de clôturer l’espace de l’action des partis d’extrême droite et sur sa pratique de la « désinformation ».  Ce discours démontre un craquement, une grande fissure dans la base de valeurs communes qui ont toujours cimenté les relations transatlantiques.

Deux jours auparavant, le Secrétaire à la Défense de Donald Trump, Pete Hegseth, déclare à Bruxelles que les Etats-Unis ont des tâches plus importantes à remplir ailleurs  que de s’occuper de l’Europe.

Le 12 février, dans une communication téléphonique qui a duré une heure et demi et qualifiée  de cordiale, le Président Trump et son homologue Russe Poutine annoncent l’amorce immédiate de négociations sur l’Ukraine.

L’Europe est complètement écartée des  négociations bien que pour l’heure, on  n’exclut pas un rôle post négociation qui se charge de la gestion de l’accord à travers la fourniture d’aides, de garanties de sécurité y compris le déploiement de troupes sur le terrain et surtout le devoir d’assumer une charge financière substantielle. 

Quand à la future architecture de sécurité européenne, les européens devraient l’envisager eux même indépendamment des Etats Unis et de ses garanties de sécurité traditionnelles.

Selon Gilles Paris du quotidien le monde, l’Union Européenne est perçue par le Président  Trump  au mieux comme un passager clandestin de l’ordre américain  au pire comme un adversaire.

Et pour faire usage et maximiser son art du deal tout en comblant sa base électorale  qui ne  l’oublions pas constitue un paramètre à ne pas négliger dans l’action de Trump, le locataire de la maison blanche jettera son dévolu sur le sous sol ukrainien (très riche en  métaux rares, titane, lithium, graphite, uranium…) en sollicitant l’octroi par l’Ukraine de l’autorisation d’exploiter 50% de sa  richesse. Trump  présentera ce deal au contribuable américain comme une sorte de remboursement  des 500 milliards de dollars (Un montant surestimé selon les européens)  versés à l’Ukraine tout au long du conflit.

En échange selon les termes du deal, La Russie verra les sanctions imposées contre elles levées. Elle  conservera en outre la Crimée et les territoires conquis du  Donbass, sécurisant ainsi son accès à la mer noire.

Pour sa part, l’Ukraine bénéficiera d’une vague protection européenne qui assumera le paiement de tous les couts inhérents à cette protection pour éviter de faire l’objet  d’augmentation des tarifs douaniers.

La gestion actuelle du Président Trump  du dossier ukrainien  privilégiant une solution plus conforme à la Russie qui est la partie puissante dans le conflit, ses menaces de reprendre le canal de Panama  (Les Etats Unis ont renoncé au contrôle du Canal de Panama en 1977 sous la présidence de Jimmy Carter face à la montée de l’anti-américanisme en Amérique latine) et d’acquérir le Groenland, ses visées sur le Canada, son empressement à imposer des tarifs douaniers démontrent un retour  aux politiques de puissance et aux sphères d’intérêt du XIXe siècle, même s’il ne formule pas sa politique étrangère en ces termes.
Toutes ces déclarations  font ressortir aussi un grand intérêt d’agir d’abord  à l’intérieur de ce qui est communément appelé en anglais the Western Hemisphere et pas en dehors de celui -ci. Il estime que  les Etats-Unis devraient dominer d’abord  son voisinage, d’où son désintérêt de Taiwan et de tout ce qui parait loin du voisinage américain hormis le cas d’Israël, considéré comme le point avancé des intérêts des Etats Unis  au Moyen Orient. Mais les développements des dernières semaines indiquent que ses gestions victorieuses de certaines questions comme l’Ukraine aiguiseront son appétit d’élargir son rayon d’action dans le monde.  

Sa vision du monde est Thucydidienne – une vision dans laquelle « les forts font ce qu’ils peuvent et les faibles subissent ce qu’ils doivent ».Sa vision d’étendre l’influence américaine dans son voisinage immédiat s’inspire de vieux reflexes  américains. En 1823, le président James Monroe a déclaré l’hémisphère occidental interdit à toute nouvelle colonisation européenne. À la fin du XIXe siècle, la proclamation de Monroe a été utilisée pour justifier l’expansion territoriale des Etats-Unis. Le rêve actuel qui sous-tend l’action de Trump dans sa politique étrangère se base sur l’extension du territoire à coup de nouvelles conquêtes et sur l’exploitation des ressources mondiales vitales au dynamisme et à la suprématie de l’économie américaine.

D’où sa volonté de récupérer  le canal de Panama qui constitue  une voie maritime vitale pour le commerce américain avec une grande majorité de conteneurs destinés ou provenant des Etats Unis qui empruntent ce passage. Les Etats Unis sous Trump n’accepteront jamais qu’une société chinoise gère ce canal, ce qui pourrait constituer une menace à la  sécurité des Etats-Unis.

Les fondateurs des Etats Unis caressaient le rêve d’absorber le Canada. L’ancien président Thomas Jefferson déclarait que « l’acquisition du Canada sera une simple question de temps ». Mais ce rêve  a été enterré   en 1846 en faveur  du maintien de la frontière actuelle entre les Etats-Unis et le Canada en raison de l’influence  du Royaume uni d’alors et d’une menace de guerre avec le Mexique. Aujourd’hui le rêve d’en faire le 51e Etat US risque de déstabiliser la région compte tenu de l’attachement des canadiens à leur territoire et identité spécifique.

Quand au Groenland, Le président Andrew Johnson a envisagé d'acheter ce territoire  au Danemark lorsque les Etats-Unis ont acheté l'Alaska à la Russie en 1867. En 1946, la proposition d’achat  en raison de  la valeur stratégique de l'île, a secrètement été prononcée par le Président Harry Truman.
L’importance stratégique du Groenland, a augmenté parallèlement au changement climatique. La fonte de la calotte glaciaire de l’Arctique créera bientôt une nouvelle voie navigable vers le nord. Le Groenland dispose également d’importantes réserves de minéraux essentiels dont les Etats-Unis ont besoin pour ce qu’on appelle les clean énergies.

Trump caresse la vision de Thomas Hobbes d’une absolue souveraineté que rien ne saurait limiter, bouleverse l’ordre  du monde et redessine l’engagement des Etats Unis vers des espaces et horizons inexploités et nouvellement attrayants pour les Etats Unis, au détriment de l’Europe qui malheureusement recouvre  sa vocation de vieux continent.

De ce fait la géopolitique est supplantée par la géo économie transformant  le monde en un véritable champ de bataille qui appréhende l’économie comme un moyen de puissance et non comme un marché ouvert comme ca  a été le cas durant la mondialisation.

Trump n’est pas un isolationniste ou du moins il pourrait l’avoir été au début de son premier mandat. Il comprend l’interdépendance et la dynamique engendrée par la mondialisation mais essaie de l’appréhender selon l’approche qui colle le mieux aux intérêts de son pays.

Son approche bien évidemment marque une rupture avec le multilatéralisme et remet en cause un point d’équilibre défini par le Président Franklin Roosevelt dans la Charte  des Nations Unies qui conciliait  engagement mondial  des Etats Unis et multilatéralisme.

Ces derniers jours j’ai pousse la réflexion autour de 3 mots que je trouve utiles dans l’analyse des événements qui se déroulent devant nous à une vitesse vertigineuse :

Parapluie : Pour la première fois depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l’Europe sort du parapluie protecteur américain et devra concevoir sa stratégie et financer toute seule ses moyens de défense. L’évolution  de la notion de sécurité, son étirement hors de l’espace européen relativise l’importance du  parapluie américain.

Désoccidentalisation. L’occident se fracture profondément et les Etats Unis font cavalier seul en écartant pour la première fois la stratégie de la défense du monde libre et de la civilisation occidentale. Indirectement Trump fait avancer à grand pas le processus de désoccidentalisation du monde à l’œuvre depuis quelques années. Par ailleurs,   Trump assène un coup aux démocraties déjà vulnérables.

Malte : La rencontre au Sommet attendue à la fin du mois en cours  entre le Président Trump et Poutine en Arabie Saoudite, qui devient une plaque tournante de la diplomatie mondiale et  de la diplomatie des sommets,  pourrait sembler, bien que les contextes ne soient pas les mêmes, à une réédition du Sommet de Malte qui s’est tenu du 2 au 4 décembre 1989 sur le paquebot soviétique Maxime-Gorki, entre George Bush et Mikhaïl Gorbatchev. A la suite de deux jours d'entretiens perturbés  par une violente tempête maritime au large de Malte, les deux présidents annoncent au bout de leurs pourparlers le début d’une ère nouvelle de coopération.

Riadh Ben Sliman
Ancien Ambassadeur