News - 14.03.2025

Jaloul Ayed - L’Intelligence Artificielle: un tournant décisif pour l’Afrique

L’Intelligence Artificielle: Un Tournant Décisif pour l’Afrique

Le 17 février 2025, lors du Victoria Forum à Casablanca, Jaloul Ayed a adressé un message fort aux dirigeants africains : l’Afrique doit s’approprier l’intelligence artificielle (IA) ou risquer d’être reléguée à un simple rôle de spectatrice dans la révolution technologique mondiale.

Alors que le monde entier était absorbé par l’élection de Donald Trump aux États-Unis, un événement bien plus décisif pour l’avenir de l’Afrique s’est produit: le lancement de Deep-Seek en Chine, une plateforme d’intelligence artificielle en libre accès. Contrairement à OpenAI, qui restreint l’usage de ses outils, Deep-Seek met l’IA à la portée de tous.

Une opportunité sans précédent, mais aussi un test : l’Afrique saura-t-elle saisir cette révolution ou restera-t-elle dépendante des technologies venues d’ailleurs ?

Comme le souligne Roberto Unger, professeur à Harvard, l’économie de la connaissance est aujourd’hui concentrée dans des « avant-gardes isolées », regroupant des pôles technologiques avancés et des services intensifs en savoir. Si cette concentration perdure, elle risque d’accélérer la stagnation économique et d’accentuer les inégalités. Ce constat est d’autant plus préoccupant pour l’Afrique, où l’accès aux technologies de pointe demeure limité. Pourtant, l’IA pourrait être le levier d’un développement endogène, à condition que des politiques volontaristes soient mises en place pour stimuler l’innovation locale et réduire la dépendance aux technologies étrangères.

L’impact de l’IA est déjà visible dans plusieurs secteurs. En éducation, des plateformes d’apprentissage intelligentes facilitent l’accès au savoir, notamment pour les enfants vivant en zones reculées. En santé, l’IA améliore les diagnostics médicaux et optimise la gestion des épidémies, atténuant les effets du manque de personnel soignant. Dans le domaine de l’inclusion financière, elle permet d’accéder à des services bancaires autrefois inaccessibles, et en agriculture, elle optimise l’irrigation et anticipe les rendements à l’aide de capteurs et de drones.

Un écosystème d’innovation est déjà en plein essor sur le continent. Des startups africaines développent des solutions adaptées aux réalités locales, évitant ainsi l’écueil de technologies importées inadaptées. Ces initiatives, déployées dans plusieurs pays, montrent une montée en puissance des compétences africaines dans la santé numérique, la finance inclusive et l’agriculture intelligente. Loin d’être de simples bénéficiaires des avancées technologiques mondiales, les entrepreneurs africains façonnent activement l’avenir de l’IA sur le continent.

Mais si l’IA est un levier de transformation, elle représente aussi une menace pour l’emploi, notamment dans les secteurs où l’automatisation met en péril les postes à faible qualification. D’ici 2050, l’Afrique comptera plus de 830 millions de jeunes, soit près de la moitié de sa population. Une jeunesse bien formée aux nouvelles technologies pourrait être le moteur d’une croissance durable, mais sans adaptation aux mutations du travail, le continent risque une explosion du chômage et des inégalités.

L’industrie manufacturière, historiquement fondée sur une main-d’œuvre bon marché, est en première ligne face à la vague d’automatisation. Le secteur offshore tunisien, qui emploie 400 000 personnes et constitue le principal moteur des exportations hors hydrocarbures, est particulièrement vulnérable. Autrefois un atout, l’avantage du coût du travail pourrait devenir un handicap face aux smart factories, où la robotique et l’IA réduisent drastiquement le besoin en main-d’œuvre humaine.

L’industrie textile en est un exemple frappant. Employant plus de 150 000 travailleurs en Tunisie, elle est aujourd’hui concurrencée par des entreprises comme SoftWear Automation, qui produisent des vêtements grâce à des robots à coût dérisoire. L’IA est en train de rendre obsolète l’avantage compétitif de la main-d’œuvre peu coûteuse.

Les centres d’appels, un pilier économique pour des pays comme le Maroc et la Tunisie, sont également menacés. Avec l’essor des agents conversationnels IA (ChatGPT, Google Bard, IBM Watson), des géants comme JP Morgan et American Express automatisent progressivement leurs services, réduisant leur dépendance aux centres offshore.

Face à ces menaces, l’Afrique doit transformer l’IA d’un facteur de destruction en un moteur d’opportunités. Pour cela, il est impératif de refonder l’économie africaine en misant sur des secteurs à forte valeur ajoutée tels que l’IA, la cybersécurité et les industries créatives. L’enseignement STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) doit être renforcé, tout en intégrant les sciences humaines pour favoriser la pensée critique.

L’innovation locale doit être encouragée grâce à des incitations financières et à un cadre réglementaire adapté, soutenu par des centres de recherche spécialisés dans les applications africaines de l’IA, notamment en santé, agriculture et énergie.

L’Afrique doit également renforcer son infrastructure numérique en investissant dans le haut débit, les data centers et l’accès au cloud pour éviter une dépendance aux infrastructures étrangères. Seuls dix pays africains disposent aujourd’hui d’une stratégie nationale en IA. Le Maroc, l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie ont amorcé des initiatives, mais celles-ci doivent être consolidées par des actions concrètes à l’échelle continentale.

Une vision panafricaine de l’IA est essentielle. L’Union Africaine a lancé en 2024 une Stratégie Continentale de l’IA, mais celle-ci reste insuffisante si elle ne s’accompagne pas de projets concrets, tels que la création d’un cloud africain souverain, à l’image de l’European Open Science Cloud en Europe.

L’IA n’est pas une menace inévitable, mais une révolution qui peut propulser l’Afrique vers une nouvelle ère de prospérité. Le défi est immense, mais le choix est clair: rester en marge du progrès ou devenir un acteur clé de la révolution technologique.
L’heure n’est plus à l’attentisme. Il est temps pour l’Afrique de prendre en main son avenir numérique et d’écrire son propre récit dans l’ère de l’intelligence artificielle.

Jaloul Ayed