News - 19.03.2025

Riadh Zghal: Dynamiser le système national d’innovation pour une place dans l’économie de la connaissance

Riadh Zghal: Dynamiser le système national d’innovation pour une place dans l’économie de la connaissance

Lorsqu’on observe le monde autour de nous, nous sommes frappés par l’accélération des changements qui se produisent dans les domaines économique, politique et social. L’innovation aussi bien technologique qu’institutionnelle apparaît comme le principal moteur des changements. Qu’il s’agisse de politique, de gestion de l’entreprise, de développement ou de la lutte contre la pauvreté, c’est l’innovation qui revient dans le discours et les sujets traités dans plusieurs publications scientifiques.

Meloni, constatant la chute de l’arrivée des migrants sur le sol italien, se félicite des politiques innovantes que son gouvernement a mises en place. Nombreux sont les auteurs qui traitent de la technologie comme levier de développement économique et évoquent les capacités d’innovation des nations dont leurs populations pauvres. Plusieurs travaux traitent des innovations réalisées par ces populations qui ont eu des effets déterminants de réduction de la pauvreté. Ce sont souvent les résultats de bricolages associés parfois à un brin de connaissance scientifique ou de technologie conventionnelle accessible. Lorsque les ressources sont rares, l’imagination du genre système D produit des techniques, des méthodes, des outils permettant de satisfaire des besoins, faire des économies ou constituer des réserves à consommer dans les périodes de pénurie critique.  L’humanité a ainsi fonctionné depuis le début de son existence. Des exemples d’innovations bricolées sont relevées dans beaucoup d’écrits que l’on trouve dans des journaux spécialisés. Une étude sur les entrepreneurs-innovateurs kényans rapporte la découverte de solutions de production d’énergie renouvelable bon marché. Une autre étude réalisée en Inde découvre des filtres d’eau réalisés par des villageois, qui ont permis une réduction significative des maladies infectieuses dues à l’eau. De telles découvertes et de nombreuses autres qu’on trouve dans la littérature reflètent une attention portée vers la « base de la pyramide sociale» et les richesses de son capital humain et social. Une telle attention s’est imposée au vu de l’échec des approches scientifiquement expertes appliquées par le sommet de la pyramide à produire par les résultats escomptés. Reste que les innovations «bricolées» ne bénéficient ni de droit d’auteur ni de diffusion à grande échelle. En revanche, la découverte de leur efficacité pourrait inspirer des initiatives afin de les améliorer et de les consolider au moyen d’un apport scientifique, technologique et/ou institutionnel.

Un autre espace d’innovations est celui de l’entreprise qui dispose de plusieurs sources créatives. Même si elle use de technologies importées, elle a besoin d’en contextualiser le fonctionnement et d‘en optimiser l’exploitation à la fois technique et humaine. En entreprise, les innovations sont technologiques, de processus et/ou d’organisation. Au plan technologique, les innovations que l’on peut observer dans les entreprises vont des procédés de maintenance à la fabrication de machines en passant par l’introduction de nouvelles fonctions dans des machines anciennes, la fabrication d’outillages, ou de pièces de rechange jusqu’à la conception et la réalisation de nouvelles machines.  Au plan processus et organisation, les innovations vont du développement de nouveaux procédés pour l’amélioration des rendements, de nouveaux outils informatiques de gestion à l’exportation du know how. Les innovations sont alimentées par l’activité de R&D et la coopération avec les universités ou capitalisées par l’accumulation des innovations incrémentales. Plusieurs sources d’innovation s’offrent à l’entreprise, à commencer par la remise en question des idées reçues quant aux capacités disponibles. Il y a diverses catégories d’innovations, celles à forte intensité technologique et scientifique, celles qui touchent aux systèmes d’organisation du travail et de gestion, celles qui prennent à contrepied les principaux acteurs du marché qui vendent des produits complexes et trop chers pour la masse de consommateurs, en offrant des produits simplifiés mais fonctionnels tels que les voitures low cost, l’ordinateur à 100$ dévoilé à l’occasion du premier sommet de la société de l’information ou la tablette à 45$ mise sur le marché par une entreprise indienne à cette époque. Il y a aussi «l’open innovation», innovation permanente dans l’entreprise qui sollicite ses divers membres sans distinction de statut, l’innovation ouverte ou «crowdsourcing» qui associe les foules à la création d’un nouveau produit ou la solution d’un nouveau problème. C’est un moyen destiné à stimuler et capter la créativité des collaborateurs au sein de l’entreprise, celle des clients et d’individus créatifs, experts ou non, actifs dans des plateformes et des réseaux sociaux. Une stratégie d’innovation ne s’arrête pas à capter les bonnes idées, elle se poursuit par leur documentation d’abord et une stratégie d’implémentation ensuite. Le problème c’est qu’en l’absence de documentation des innovations réalisées dans la pratique, au niveau d’un poste, se perd avec le départ de son titulaire. De plus, cela réduit les opportunités d’amélioration, de diffusion et d’accumulation des acquis pour monter en gamme des produits ou services et in fine de meilleures performances économiques.

Ce qui est vrai pour l’entreprise l’est aussi pour le politique car il s’agit de stratégie, de vision et de créativité, d’innovation dans les méthodes d’implémentation des politiques et de quête de répondant humain pour une mise en œuvre effective d’un choix politique. Considérant l’innovation à travers le prisme d’une nation, Lundvall a créé le concept de «système national d’innovation» pour appréhender la capacité innovatrice d’un pays. Ce qui structure ce système ce sont les activités de recherche et développement, la formation, les interactions humaines et les flux d’information et de personnes. Lundvall a mis en exergue le caractère central des interactions entre les producteurs et les utilisateurs de la technologie à l'intérieur des institutions sociales et politiques et la manière dont sont gérées les ressources matérielles et immatérielles au niveau national et celui des entreprises. Un tel schéma peut s’appliquer à l’analyse d’un système d’innovation local, régional ou même global. En revanche, afin d’apprécier la dynamique et la capacité d’un tel système à générer une prospérité économique, on ne peut éluder l’importance des institutions sociales et politiques qui le soutiennent. En effet, les liens commerciaux, de coopération et d'interdépendance qui se tissent entre divers acteurs – agents économiques, chercheurs, techniciens, politiques- génèrent des flux financiers, légaux et politiques, technologiques et scientifiques, sociaux et d'information. Ces divers flux donnent au SNI sa solidité et entretiennent son dynamisme qui a fait la richesse des pays avancés.

En l’absence d’une stratégie d’entreprise et nationale d’innovation, cela n’anéantit pas les capacités de recherche et d’imagination qui sont des qualités inhérentes à la nature humaine. Néanmoins, pour être exploitées à bon escient, cela nécessite l’ouverture des champs d’interactions sociales, une libération des flux d’informations et d’échanges à plus d’un niveau. Autrement, on assiste au gaspillage du potentiel innovateur magistralement ignoré par le conservatisme et la facilité du recours néfaste à l’improvisation peu étudiée et peu discutée.

Riadh Zghal