Opinions - 03.04.2025

Khadija Taoufik Moalla - Renforcement des capacités: une illusion entretenue?

Khadija Taoufik Moalla - Renforcement des capacités: une illusion entretenue?

Par Khadija Taoufik Moalla - Depuis quatre à cinq décennies, le "renforcement des capacités" s’est imposé comme une activité incontournable dans les stratégies et plans d'action des organisations internationales, de la société civile et des institutions publiques. Pourtant, dans la majorité des pays à faible revenu, l’impact réel de ces formations sur les acteurs gouvernementaux, les organisations non gouvernementales et les médias reste négligeable. Comment expliquer cet échec répété malgré des investissements financiers, techniques et humains considérables? Pourquoi la situation de ces pays socio-économique, culturelle, politique, et environnementale, ne s’est non seulement pas améliorée mais elle a empiré dans la majorité des cas? En effet, les plans d’action basés sur les causes conjoncturelles du sous-développement, n’ont pas eu le courage de s’attaquer aux causes structurelles profondes, et encore moins de proposer de vrais modèles de développement. Cela s’est par conséquent refléter dans la majorité des formations implémentées.

Cet article se propose d'examiner les limites de ces formations et d’esquisser des alternatives pour un «renforcement des capacités» plus efficace et à impact continu et durable.

Les limites des formations actuelles

1. Un format trop court pour un réel apprentissage: Les formations de renforcement des capacités durent généralement entre un à cinq jours. Peut-on raisonnablement espérer un apprentissage et un impact significatifs en un laps de temps si court?

2. L'illusion de l'information comme moteur de changement: Les formations basées sur la transmission d’informations ne peuvent en aucun cas, modifier durablement les comportements des participants. La neuroscience a démontré que le changement d’attitude nécessite des processus bien plus complexes et profonds. Une formation en résilience, par exemple, nécessite à elle seule 120 heures.

3. L’absence d’une approche transformative: Selon le modèle de la "Spirale Dynamique", un changement de paradigme dans la manière de penser et d’agir ne peut être opéré en quelques jours. Les individus se trouvant dans huit niveaux différents, il est quasi impossible qu’une formation puisse les faire muter d’un niveau à l’autre, car cela demande de travailler sur leur intelligence émotionnelle et une reprogrammation de leur subconscient grâce à des outils et exercices spécifiques. C'est pourquoi ces formations restent sans effet tangible sur l’évolution des personnes et des sociétés.

4. Un impact limité sur les inégalités et les discriminations: La majorité des formations destinées aux femmes leur ont certes permis d'acquérir des connaissances, mais elles n’ont pas réussi à leur apprendre à se prémunir des violences et discriminations dont elles sont/seront victimes. De plus, les formations dispensées aux parlementaires et magistrats n’ont pas résulté en des réformes législatives ou judiciaires profondes, dans la plupart des pays.

5. Une déconnexion du terrain et un manque de suivi et d'accompagnement: La majorité des formations suivent un format standardisé, sans prise en compte des réalités locales ni des besoins spécifiques des participants. De plus, les infrastructures et ressources nécessaires à la mise en pratique des compétences acquises font souvent défaut. Ainsi, peu d’initiatives sont mises en place pour accompagner les bénéficiaires dans l'application des rares compétences qu’ils auraient acquises

6. Un manque d'évaluation à long terme: Les formations sont évaluées sur la satisfaction immédiate des participants, mais rarement sur leur impact réel, plusieurs mois ou années plus tard. En effet, sans un suivi post-formation rigoureux, il est impossible de mesurer la réalisation des résultats attendus.

7. Des formateurs peu qualifiés: L'inefficacité des renforcements des capacités est aggravée par la présence de formateurs insuffisamment qualifiés et non encadrés. Cela entraîne la transmission d’informations erronées et l’absence de méthodologie pédagogique adaptée, engendrant une démotivation des participants et la perte de crédibilité des organisateurs.

8. Legrand gaspillage de ressources financières, soit à cause du choix des lieux de formation dans des hôtels 5 étoiles, et le recours à des sociétés événementielles. Tous ceci décrédibilise les institutions organisatrices, engendrant un écart entre ces dernières et les bénéficiaires.

Vers une approche plus efficace

Pour que le renforcement des capacités produise des effets concrets et durables, il est urgent d’adopter une approche plus stratégique:

1. Une évaluation des besoins en amont: Impliquer les bénéficiaires dès la conception des formations pour s'assurer qu'elles répondent à leurs besoins réels et non à des activités prévues dans des stratégies et plans d’action standardisés et inadéquats.

2. Une évaluation de l'application des acquis: Il est essentiel d’évaluer la mise en pratique des compétences acquises, grâce à un suivi post-formation, du mentorat et un accompagnement (coaching, groupes de discussion, plateformes d’échange), afin de renforcer l’impact. De plus, une analyse à long terme des changements structurels observés au sein des organisations, communautés et sociétés sur plusieurs années, est indispensable afin de tirer profit des meilleures pratiques et leçons apprises.

3. Un accès aux ressources et à l'accompagnement: Offrir aux bénéficiaires des moyens concrets pour appliquer leurs nouvelles compétences (accès à des financements, à des outils adaptés, à des réseaux professionnels…etc.). Sans cet accompagnement, les formations restent théoriques et ne profitent pas pleinement aux bénéficiaires.

4. Nécessité d’instaurer un système d’accréditation des formateurs, d’assurer leur supervision et d’évaluer leurs compétences et performances à travers des critères scientifiques précis.

Un modèle inspirant pour un changement durable

L'exemple du Programme du VIH/SIDA dans la région Arabe (HARPAS), implémenté entre 2004 et 2011, illustre parfaitement comment un «renforcement des capacités» peut générer un impact transformateur et systémique. Ce programme a permis de réduire la stigmatisation et d'améliorer l'accès aux soins pour les bénéficiaires, notamment grâce à une approche innovante inspirée du Leadership Transformationnel de Dr. Monica Sharma. En travaillant avec des leaders religieux et des acteurs communautaires, HARPAS a démontré qu'une transformation durable est possible lorsque l'on combine un changement individuel, collectif et systémique.

Facteurs clés du succès de HARPAS

1. Mobilisation de certains acteurs en tant qu'agents du changement: HARPAS a permis aux leaders religieux de devenir des catalyseurs de transformation en les formant à développer un discours inclusif et à adopter des pratiques basées sur les valeurs d'équité et de dignité humaine.

2. Impact mesurable sur la perception sociétale et l'accès aux soins: L'évaluation du programme a révélé une réduction significative de la stigmatisation et une amélioration des services de dépistage et de prise en charge. De plus, les campagnes menées ont permis d'élargir l'accès à l'information, en mettant l'accent sur les valeurs universelles de responsabilité collective, équité et justice sociale.

3. Renforcement des capacités à travers un accompagnement transformateur: Le programme s'est appuyé sur des formateurs et des coachs experts en Leadership Transformationnel, favorisant un apprentissage expérientiel, la libération de l’intelligence émotionnelle des participants, et l’ancrage dans des résultats concrets.

Principes et actions à intégrer dans de futures initiatives

1. Institutionnaliser les acquis: Intégrer les bonnes pratiques dans les discours officiels, les politiques publiques et les programmes éducatifs afin de pérenniser les changements comportementaux.

2. Créer un réseau d'acteurs locaux engagés: Fédérer les parties prenantes (ONG, communautés, institutions publiques et privées) pour assurer une continuité et un ancrage territorial des actions entreprises.

3. Utiliser les plateformes digitales et communautaires: Exploiter les outils numériques et les réseaux sociaux pour amplifier le message, toucher un public plus large et favoriser l'engagement civique citoyen.

4. Mesurer l'impact à long terme: Développer des indicateurs de suivi basés sur le changement systémique, afin d'orienter stratégiquement les futures interventions et d'assurer une efficacité durable.

Vers une approche plus pragmatique et durable

Investir dans la formation sans garantir au final un impact réel revient à détourner et gaspiller des ressources précieuses. Il est essentiel de remettre en question les approches traditionnelles du renforcement des capacités et d'adopter des méthodologies qui intègrent à la fois un changement individuel, collectif et systémique.

L'exemple cité nous confirme que la transformation est possible lorsque l'on combine leadership conscient, engagement communautaire et volonté politique.

Il est temps de faire de la formation un véritable levier de changement sociétal et de développement durable.

Khadija Taoufik Moalla