Slaheddine Belaïd: Les dessous de la guerre de Bizerte

La bataille de Bizerte qui eut lieu du 19 au 22 juillet 1961, près d’une année avant l’indépendance de l’Algérie, a constitué la plus dure épreuve que la Tunisie ait subi depuis l’instauration du protectorat. Pour bien comprendre la genèse de ce drame, un retour sur le contexte politique de l’époque est nécessaire; le 8 janvier 1961, le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie donnait 75% de voix pour le oui. Le général de Gaulle abattait, ainsi, l’une des cartes maîtresses de sa politique algérienne celle qui va lui permettre d’engager les négociations avec le FLN reconnu enfin comme «interlocuteur valable» faute d’en avoir trouvé un plus accommodant. Le président français ne se faisait pas d’illusion sur l’issue finale de ces négociations qui ne pouvait plus être que l’indépendance totale de l’Algérie mais il était à la recherche d’une formule qui permettrait à la France de garder le contrôle du Sahara devenu un enjeu crucial depuis la découverte, en 1956-1957, des gisements pétrolifères et gaziers d’Edjelé et de Hassi Messaoud et l’installation de la base d’essais nucléaires française dans la région de Reggane. Est-ce pour sonder Bourguiba sur cette question ou sur d’autres aspects des négociations à venir avec le FLN que le général de Gaulle avait pris l’initiative d’inviter le président tunisien à Paris en février 1961 ? On ne le saura jamais; dans son livre «Mémoires d’espoir», le général de Gaulle escamote le sujet en affirmant contre toute vraisemblance que c’est Bourguiba qui avait demandé à le voir(1). Quoiqu’il en soit, l’idée d’un tête-à-tête entre les deux chefs d’Etat à ce moment précis de l’évolution de l’affaire algérienne ne pouvait qu’intéresser le président Bourguiba. Convaincu, lui aussi, que l’indépendance de l’Algérie était imminente, il considérait l’occasion particulièrement propice à l’ouverture de négociations, avec la France, sur la rectification du tracé de la partie saharienne de la frontière entre la Tunisie et l’Algérie(2). Pour le président Bourguiba, le Sahara était, avant 1830, un espace commun à l’ensemble des pays riverains; jusqu’après la première guerre mondiale, les frontières faisant consensus de l’Algérie n’allaient pas au-delà de Figuig du côté marocain et de Bir Romane du côté tunisien.
Pour le président Bourguiba, le tracé de la frontière avec l’Algérie au sud de Bir Romane devrait suivre le méridien de cette localité jusqu’au milieu du Sahara ce qui placerait le champ pétrolier d’Edjelé en territoire tunisien. Cette thèse trouve son illustration dans la carte de Tunisie qui trône, aujourd’hui encore, derrière le bureau présidentiel du palais de Carthage (voir Fig. 1). Une revendication dans ce sens – probablement moins maximaliste – avait été présentée au GPRA à Tunis; pour toute réponse le gouvernement tunisien reçut l’assurance que le problème de rectification des frontières entre les deux pays sera examiné une fois l’indépendance acquise. Le sultan du Maroc avait reçu la même assurance concernant ses revendications territoriales sur les régions de Colomb Béchar et Tindouf.
Fig.1
La carte de Tunisie selon le Président Bourguiba
Le président Bourguiba ne se faisait pas d’illusions sur les prédispositions des algériens à céder le moindre pouce du territoire qu’ils allaient récupérer de la France; il pensait avoir plus de chance d’aboutir à un accord avec le général de Gaulle auprès duquel il pouvait faire valoir, d’une part, que le tracé de 1928 fixé arbitrairement par l’autorité coloniale avantageait l’Algérie considérée comme faisant partie intégrante de la France au détriment de la Tunisie, simple protectorat, et que, d’autre part, il contrevenait aux accords internationaux de 1910 et 1911 en faisant la jonction avec la frontière tuniso-libyenne à la borne 220 de Fort Saint et non à la borne 233 de Garaat El-Hamel, située 16 Km plus au sud (voir Fig. 2). Y a-t-il eu une demande explicite de rattachement de la zone de In-Amenas - Edjelé à la Tunisie au cours du sommet de Rambouillet ? Bourguiba ne communique pas du tout sur ce sujet de crainte de provoquer, avec le FLN, une crise encore plus grave que celle qui avait suivi l’accord franco-tunisien de 1958 sur l’implantation du pipeline reliant Edjelé au port de La Skhira(3). Par contre, le général de Gaulle, laisse entendre, dans ses mémoires, qu’il en a bien été question. Il écrit, notamment: «Ce dont il (Bourguiba) est anxieux surtout, c’est de procurer à son pays certains agrandissements du côté de ses confins sahariens,… Bien entendu, c’est le pétrole qui soulève cette convoitise. … Ne pourrait-on modifier la frontière de telle sorte que la Tunisie soit mise en possession de terrains pétrolifères?» Pour atténuer l’effet de son refus d’un tel arrangement, le général de Gaulle insiste sur les avantages indirects que la Tunisie peut tirer de l’exploitation, par la France, du pétrole saharien citant le projet d’oléoduc en cours d’achèvement entre Edjelé et le port de la Skhira mais aussi la possible construction d’une raffinerie sur ce port.
Fig. 2
Tracé de la frontière tuniso-algérienne entre Bir Romane et Fort Saint
Le deuxième point que le président Bourguiba n’allait manquer d’évoquer avec le général de Gaulle concerne l’évacuation de la base militaire de Bizerte. Les requêtes faites par la voie diplomatique se heurtaient toujours au même argumentaire: «Bizerte est un maillon essentiel de la chaîne de défense de la France mais aussi du monde occidental, la Tunisie n’étant pas couverte par l’OTAN. Dans le climat de tensions dues à la guerre froide, son évacuation ne peut être envisagée pour le moment.». Ce n’était, en réalité, qu’un subterfuge pour masquer le rôle que jouait la base de Bizerte comme soutien à l’Armée d’Algérie dans sa lutte contre l’ALN. Cet argumentaire était, d’ailleurs, devenu caduc après l’annonce, le 22 décembre 1959, du retrait de toutes les bases américaines du Maroc (dont la très importante base de Nouacer siège du Strategic Air Command (près de Casablanca)) avant la fin de 1963, suivie, le 1er septembre 1960, par la signature d’un accord entre le Maroc et la France sur l’évacuation des forces et installations françaises du Maroc avant le 2 mai 1961(4).
Le sommet de Rambouillet, le 27 février 1961, entre les deux chefs d’Etat français et tunisien était conçu comme un échange informel de points de vue sur l’évolution de la situation en Afrique du Nord et sur les perspectives de dénouement de l’affaire algérienne. Les questions bilatérales, bien qu’évoquées très largement durant le très long tête-à-tête entre de Gaulle et Bourguiba, ne semblent pas avoir été reprises dans le communiqué commun final. S’il y eut des malentendus sur ces questions, comme la crise de Bizerte allait le prouver quelques mois plus tard, ils ne furent connus qu’à travers les interprétations contradictoires qui en furent données, à postériori, par les deux protagonistes principaux. Dans son livre «Mémoires d’espoir» le général de Gaulle affirme avoir dit au président Bourguiba: «Nous sommes, comme vous le savez, en train de nous doter d’un armement atomique. Dès que nous aurons des bombes, les conditions de notre sécurité changeront du tout au tout. En particulier, nous aurons de quoi nous garantir de ce qui pourrait éventuellement se passer à Bizerte quand nous en serons partis. Vous pouvez donc être assuré que nous nous en retirerons dans un délai de l’ordre d’une année.» Si l’assertion contenue dans la dernière phrase était véridique, la bataille de Bizerte n’aurait jamais dû avoir lieu. Tout ce que Bourguiba cherchait à obtenir, en arrivant à Rambouillet, c’était la fixation d’une date pour l’évacuation de la base de Bizerte. De retour à Tunis, il n’aurait pas manqué d’en faire état dans ses discours à la nation et de la présenter comme un acquis majeur car pour lui les négociations sur les modalités pratiques de l’évacuation sont une affaire de techniciens qui ne sauraient remettre en cause un accord de principe convenu à si haut niveau. D’un autre côté, comment justifier l’extension de la piste d’aviation de Sidi Ahmed entamée en avril 1961, si la base de Bizerte allait être évacuée dans un avenir aussi proche ? Sur la question de rectification de la frontière au sud de Bir Romane, la position dont fait état le général de Gaulle dans ses mémoires est mieux argumentée et plus nette. L’ouverture de négociations sur ce sujet avec la Tunisie, ne manquerait pas de relancer les revendications marocaines sur des territoires beaucoup plus vastes à l’ouest du Sahara algérien sans compter celles que les pays nouvellement indépendants d’Afrique du Centre et d’Afrique de l’Ouest, riverains du Sahara, pourraient présenter à leur tour.
Portrait de Bourguiba par le Général De Gaulle
Nous passons ensemble à Rambouillet la journée du 27 février (1961). J’ai devant moi un lutteur, un politique, un chef d’Etat, dont l’envergure et l’ambition dépassent la dimension de son pays. Depuis toujours, il est le champion de l’indépendance tunisienne, ce qui l’oblige à surmonter en lui-même maintes contradictions. Il s’est sans cesse opposé à la France, à laquelle, cependant, l’attachent sa culture et son sentiment. A Tunis, il a renversé le régime beylical et épousé la révolution, bien qu’il croie à la vertu de ce qui est permanent et traditionnel. Il s’incorpore à la grande querelle arabe et islamique, tout libre-penseur qu’il soit et imbu de l’esprit et des manières de l’Occident. Présentement, il soutient l’insurrection en Algérie, non sans redouter pour demain le voisinage malaisé d’une république bouillonnante.
Bourguiba n’ignorait rien de cette problématique; il n’empêche qu’il s’était persuadé que, moyennant une position conciliante sur le dossier de l’évacuation de Bizerte, il pourrait obtenir quelques concessions sur celui de la rectification du tracé frontalier dans sa partie saharienne. Rompu aux négociations les plus ardues, notamment avec les Anglo-saxons lors de la deuxième guerre mondiale, le général de Gaulle avait très vite compris le «deal» que lui proposait Bourguiba et s’était senti en position de force puisqu’il dépendait de son bon vouloir de dire oui ou non aux requêtes de son vis-à-vis. Dans le récit qu’il a fait, à postériori, de cette rencontre de Rambouillet, le général de Gaulle dresse, en quelques phrases, un portrait très ressemblant de la personnalité du président Bourguiba et de ses motivations (voir Encadré). Par contre, ce dernier ne donne pas l’impression d’avoir saisi la différence de caractère et de comportement qu’il peut y avoir entre un chef militaire de la stature et de l’expérience du général de Gaulle et les hommes politiques de la quatrième république auxquels il avait eu affaire jusque-là. Cette méprise a fait en sorte que le président Bourguiba n’a pas anticipé la riposte militaire particulièrement brutale du général de Gaulle au blocage de la base de Bizerte. De plus, en jetant dans la bataille à la fois des foules de civils désarmés et des unités de l’Armée et de la Garde Nationale, Bourguiba fournissait à l’ennemi une justification facile de l’usage intensif des armes comme s’il s’agissait d’une confrontation, à la régulière, entre deux armées. Le bilan de cette bataille inégale et asymétrique sera catastrophique pour la Tunisie. Les chiffres officiels font état de 639 tués (439 entre militaires et gardes nationaux et 230 civils) et 1000 blessés du côté tunisien contre 27 tués du côté français mais la plupart des analystes et des historiens estiment les pertes tunisiennes à plus de 2000 tués et plus 1500 blessés. Le recensement des pertes militaires étant généralement assez précis, on peut estimer à près de 1600 le nombre de civils tunisiens, jeunes pour la plupart, qui ont laissé leur vie dans cette absurde et inutile confrontation. Dans le même temps, à la pointe extrême du sud tunisien, une colonne militaire sous les ordres du commandant Abdallah Abaab franchissait la frontière en direction de la borne 233.Sur le déroulement de cette action, il existe deux versions différentes : selon la première, les militaires tunisiens auraient pris d’assaut le poste français de la borne 233 et s’y seraient maintenus durant trois jours, du 20 au 23 juillet 1961 tandis que selon la deuxième version, militaires tunisiens et français se seraient affrontés pour le contrôle du point d’eau qui approvisionnait le poste français. Ce baroud d’honneur du commandant Abaab laissera son lot de martyrs (200 tués selon l’historien Patrick-Charles Renaud) sans faire avancer d’un pouce le problème de la borne 233 qui restera en territoire algérien.
Au plan intérieur, l’opinion publique n’est pas informée de l’ampleur de la catastrophe. Dans ses discours à la nation, le président Bourguiba se garde bien de citer le nombre de victimes de cette effroyable hécatombe ; il se contente de glorifier le sacrifice de nos martyrs civils et militaires tombés sur le champ d’honneur pour libérer la patrie des derniers occupants étrangers. Comme après le bombardement de Sakiet Sidi Youssef, il déploie toute son énergie pour internationaliser la crise et s’assurer le maximum de soutiens à la cause tunisienne. Dès le 20 juillet, il rompt les relations diplomatiques avec la France et dépose une plainte auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU ; sauf que, cette fois-ci, l’ami de toujours – les Etats Unis – désapprouvent le déclenchement de la bataille de Bizerte (dont ils rendent Bourguiba responsable) à un moment où la tension avec l’URSS sur le statut de Berlin est à son paroxysme(5). Le président Kennedy le signifiera sans ambages à Bahi Ladgham dépêché d’urgence à Washington. Par contre, Bourguiba va trouver en la personne du Secrétaire Général des Nations Unies Dag Hammarskjöld un allié de poids ; lié d’amitié au père de la diplomatie tunisienne, Mongi Slim, à l’époque représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations Unies, Dag Hammarskjöld poussera le Conseil de Sécurité à adopter dès le 22 juillet une résolution ordonnant le cessez-le-feu et le repli des forces en présence aux positions d’avant le 19 juillet. Si le cessez-le-feu est appliqué le jour même à minuit, la France maintient la présence de ses troupes dans toutes les zones occupées durant la bataille. Ceci amènera le Secrétaire Général des Nations Unies à tenter une médiation directe entre les autorités tunisiennes et le commandant de la base militaire de Bizerte, l’Amiral Maurice Amman. S’il est reçu longuement par le président Bourguiba, il essuiera un refus catégorique de la part de l’Amiral Amman dont les soldats postés à l’entrée de la base iront jusqu’à faire ouvrir le coffre de la voiture officielle portant fanion des Nations unies où se trouvait le Secrétaire Général et son adjoint Spinelli. Cette bavure sera exploitée par la propagande tunisienne pour dénoncer l’arrogance de la France et son mépris des institutions internationales.
A New York, Mongi Slim s’active, de son côté, pour obtenir du Conseil de Sécurité l’adoption d’une deuxième résolution qui devrait stipuler, d’une part, l’application intégrale de la résolution du 22 juillet c’est-à-dire y compris le repli des forces en présence à leur position d’avant la crise et, d’autre part, l’ouverture de négociations en vue d’un règlement définitif du problème de Bizerte dans le respect de la souveraineté tunisienne. Malgré l’appui que lui apportent une quarantaine de pays afroasiatiques, et plusieurs réunions du Conseil de Sécurité Mongi Slim n’arrive pas à obtenir gain de cause. Il restait à la Tunisie la possibilité de porter l’affaire devant une Assemblée Générale Extraordinaire de l’ONU qui ne peut être convoquée que si une majorité de 50 pays membres en font la demande auprès du Secrétaire Général, Dag Hammarskjöld. Pour y arriver, le président Bourguiba envoie des émissaires spéciaux aux quatre coins du globe : auprès des pays asiatiques, d’Amérique latine, des pays africains nouvellement indépendants et même, ce qui est une première, auprès des pays de l’Est. L’Assemblée Générale est finalement convoquée en session extraordinaire le 21 août 1961; au cours des cinq jours qu’ont duré les débats, Mongi Slim défendra la position tunisienne avec une maestria et un brio remarquable; son dernier discours avant le passage au vote restera un morceau d’anthologie dans les annales des Nations Unies(6). Résultat: la motion favorable à la Tunisie est adoptée par 66 voix pour et 30 abstentions; la France ayant boycotté cette session extraordinaire, il n’y eu aucune voix contre. Cette victoire éclatante vaudra à Mongi Slim d’être élu, à l’unanimité, président de la XVIème session de l’Assemblée Générale de l’ONU en septembre de la même année.
Le désaveu de l’ONU n’affecte pas le général de Gaulle qui n’a que du dédain pour ce qu’il appelle «ce Machin»; il estime avoir donné à Bourguiba la leçon qu’il mérite et veut s’en tenir là. Dès le mois de septembre, il prend une première mesure pour amorcer la détente entre les deux pays en déclarant que la coopération culturelle n’était pas concernée par la rupture des relations diplomatiques. Des centaines de coopérants français - des enseignants en majorité - ont pu, ainsi, rejoindre leurs postes en Tunisie avant la rentrée d’octobre pendant que des milliers d’étudiants tunisiens reprenaient le chemin des universités et des écoles supérieures en France. J’avoue que j’avais été, personnellement, soulagé par l’annonce de cette mesure. Je me trouvais en Tunisie quand la bataille de Bizerte avait été déclenchée. J’ai été immédiatement réquisitionné par le ministère des Travaux Publics et affecté à la surveillance de travaux routiers à Monastir sous l’autorité d’un coopérant belge récemment débarqué en Tunisie pour remplacer l’ingénieur français rappelé dans son pays. Il me restait encore une année à passer à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées pour obtenir mon diplôme d’ingénieur ; la perspective de rentrer dans la vie professionnelle avec une formation tronquée ne me plaisait guère.
Dans une conférence de presse tenue le 5 septembre à Paris, le général de Gaulle, tout en réaffirmant la position de la France concernant le problème de Bizerte, a ménagé, une légère ouverture en direction du président Bourguiba. Rappelant les entretiens de Rambouillet, il a dit : «…Nous pouvions penser que tout en proclamant la souveraineté de la Tunisie sur Bizerte, souveraineté qui n’a jamais été contestée, en principe, du côté français et qui ne l’est pas, et tout en déclarant qu’un jour serait négocié le retrait des troupes françaises… on comprenait que la situation générale ne comportait pas actuellement cette issue.» On remarquera toute la subtilité que confère à son propos le recours au conditionnel pour le retrait des troupes françaises et à l’article impersonnel pour désigner Bourguiba. Il a conclu en ajoutant: «Puisse Tunis trouver avec Paris un arrangement qui soit conforme au bon sens. C’est le souhait de la France.» Bourguiba, qui n’est pas homme à laisser passer ce genre d’opportunité, réagit depuis Belgrade où il participait à la conférence des pays Non Alignés, en déclarant aux représentants de la presse internationale qu’il était satisfait de la reconnaissance de la souveraineté tunisienne et du désir français de quitter Bizerte. En interprétant de façon plus qu’optimiste les propos du général de Gaulle, Bourguiba voulait amorcer le retour au dialogue avec la France maintenant que l’épreuve de force est terminée tant au plan militaire que diplomatique. Les premières négociations relatives au retour de tous les soldats français à l’intérieur de la base de Bizerte furent bouclées courant septembre 1961 ; elles seront suivies par le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays en juillet 1962. Par contre, l’évacuation de la base elle-même n’interviendra que le 15 octobre 1963 soit plus d’une année après l’indépendance de l’Algérie. Bourguiba fêtera l’évènement en grandes pompes le 15 décembre en présence des présidents Nasser et Ben Bella, du prince héritier de Libye et de l’Emir du Kuweit, le Maroc étant représenté par un envoyé spécial du roi Hassan II. Il parachèvera son œuvre de décolonisation de la Tunisie en nationalisant, le 12 mai 1964, les terres agricoles appartenant aux étrangers ; juste retour des choses lorsqu’on sait que les autorités du protectorat avaient confisqué des centaines de milliers d’hectares de terres collectives et de terres Beylik (appartenant au Beys) pour les distribuer aux colons européens.
Slaheddine Belaïd
Ancien ministre
1. Dans son livre «Les trois décennies de Bourguiba», Tahar Belkhodja, à l’époque, chargé d’affaires à l’ambassade de Tunisie à Paris, affirme que, au cours de la cérémonie diplomatique de présentation des vœux du jour de l’an le 1er février 1961, le général de Gaulle l’avait pris à part pour lui dire: «Comment va le Président Bourguiba? Je serais heureux de le recevoir, nous aurions des entretiens utiles.». En langage diplomatique, il s’agit-là d’une invitation formelle. Tahar Belkhodja donne, par la suite des détails précis sur tous les contacts qu’il avait eus tant à Paris qu’à Tunis pour la préparation de cette rencontre au sommet.
2. Le tracé de la frontière entre l’Algérie et la Tunisie posait, en 1956, un double problème: le premier est celui du point le plus méridional de cette frontière qui constitue, en même temps, point triple entre la Libye, la Tunisie et l’Algérie. Deux accords conclus par la France respectivement avec l’Empire Ottoman en 1910 et avec l’Italie en 1911 avaient permis de fixer le tracé définitif de la frontière tuniso-libyenne entre la côte méditerranéenne et le lieu- dit Garaat El-Hamel à 16 Km environ au sud de Ghadamès. C’est à cet endroit que fut scellée la dernière borne frontalière entre les deux pays, la fameuse borne 233. Le deuxième problème portait sur le tracé de la frontière tuniso-algérienne dans sa partie saharienne entre Bir Romane au sud de Chatt El Jérid et le point triple de Garaat El-Hamel. Laissé en suspens durant des décennies, ce tronçon donna lieu, en 1928, à un tracé provisoire formé de deux segments de droite ; le premier, d’une longueur de 80 Km environ part de Bir Romane en direction du Sud-Est et aboutit au point nommé Puits Mort. Le deuxième segment long de 220 Km relie ce dernier point non pas à la borne 233 de Garaat El-Hamel mais à la borne 220 de la frontière entre la Libye et la Tunisie située à Fort Saint (voir Annexe 2). C’est là l’origine du contentieux de la borne 233 qui va surgir entre la Tunisie post indépendance et la France.
3. L’accord signé par le gouvernement tunisien et la société française TRAPSA (compagnie de Transport par pipelines au Sahara), portant sur la construction et l’exploitation de l’oléoduc Edjelé – Skhira dans sa partie tunisienne est fortement contesté par le FLN qui va jusqu’à accuser la Tunisie de trahison et de complicité de vol des ressources des algériens. Après l’indépendance, le champ pétrolier d’Edjelé sera raccordé par oléoduc à celui de Hassi Messaoud en 1982 et la quasi- totalité de sa production sera acheminée, à partir de cette date, vers les ports de Skikda et Béjaia.
4. Dans son livre déjà cité «Les trois décennies Bourguiba», Tahar Belkhodja note à propos de cet accord: «Bourguiba se sentit trahi, il ne pouvait accepter de rester à la traîne. Déjà en mars 1956, la proclamation de l’indépendance du Maroc, quelques jours avant la nôtre, l’avait vivement affecté. Et voilà que la France, à nouveau, donnait au roi du Maroc ce qu’elle refusait à Bourguiba.»
5. La construction du Mur de Berlin sera ordonnée par Khrouchtchev le 20 août 1961
6. Un extrait de ce discours figure dans le livre de Beji Caïd Essebsi «Habib Bourguiba: le bon grain et l’ivraie» pages 121 et 122.
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