News - 18.06.2025

Habib Touhami: L’évolution de la pauvreté en Tunisie entre 2010 et 2021

Habib Touhami: L’évolution de la pauvreté en Tunisie entre 2010 et 2021

La dernière enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages de l’INS (Institut national de la statistique) révèle que le taux de pauvreté en Tunisie aurait atteint 16,6% en 2021 (12,7% en milieu urbain et 24,8% en milieu rural). Quant à la pauvreté extrême, elle aurait atteint 2,9% (1,7% en milieu urbain et 5,3% en milieu rural). Par rapport aux deux enquêtes précédentes, on aurait donc assisté d’abord à une baisse du taux de pauvreté entre 2010 et 2015 (15,2% en 2015 contre 20,5% en 2010) pour assister ensuite à son augmentation (16,6% en 2021 contre 15,2% en 2015). Les autorités officielles n’ont pas donné d’explication plausible à cette inversion des tendances. Elles n’ont pas évoqué non plus les mesures à prendre pour y remédier.

L’augmentation du taux de pauvreté entre 2015 et 2021 a touché toutes les régions sauf la région du Nord-Ouest qui a vu son taux baisser de 28,4% à 22,5% lors de la période et la région du Grand Tunis (de 5,3% à 4,7%). Il y a là matière à débat quant à l’évaluation de l’autoconsommation dans le milieu rural, les effets additifs de la concentration administrative et économique dans l’urbain. Quoi qu’il en soit, le taux de pauvreté de la région du Centre-Ouest (région la plus pauvre) est huit fois supérieur à celui du Grand Tunis. Sur le plan socioprofessionnel, la catégorie des chômeurs arrive «naturellement» en premier sur l’échelle de la pauvreté avec 41,3% de pauvres. Deux catégories socioprofessionnelles (CSP) tirent leur épingle du jeu semble-t-il: les patrons d'industrie, commerce et services  (5,1% de pauvres); les retraités (5,4% de pauvres). Il y a là matière à réflexion quant à la liberté prise par certaines CSP de reporter, sans contrôle, l’inflation qu’elles subissent sur autrui ou la pertinence de mesurer la pauvreté de certaines CSP par le biais classique de la consommation.

Dans le domaine de la pauvreté comme dans d’autres domaines relevant de la sphère socioéconomique, il existe un décalage entre le ressenti et le réel ou le mesuré (exemple: indice des prix, taux de chômage). Mais dans le cas présent, le mesuré ne rend manifestement pas compte du réel, encore moins du ressenti. Ceci est flagrant. Il suffit de scruter ce qui se passe dans la rue pour être frappé par l’aggravation de la pauvreté dans certains milieux et localités.

l suffit d’écouter les gens ordinaires déblatérer entre eux pour ressentir le désarroi qui monte. C’est ce que les résultats de l’Enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages peinent à traduire en termes «parlants». Tant que l’INS continuera à calculer le seuil de pauvreté et par suite le volume de la population pauvre et le taux de pauvreté sur la base des besoins en énergie alimentaire, le décalage entre mesuré et ressenti perdurera.

Toutefois, l’approche de l’INS ne lui est pas propre dans la mesure où l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) la recommandent. Bien sûr la composition du panier censé fournir l’apport calorique indispensable à l’activité des individus et le mode de détermination du groupe de référence dont le panier de consommation sera retenu finalement pour calculer le coût moyen de la calorie sont contestables. Mais la substitution, en raison de l’inflation, d’un produit par un autre dans le panier le serait davantage. Ce n’est pas parce que le prix du poisson (hors élevage) a été multiplié en moyenne par 2,5 au minimum entre 2010 et 2021 qu’il est permis de remplacer le poisson par un produit beaucoup moins cher mais de même rendement calorique. Cette substitution, si elle est effectuée, fausse les résultats des enquêtes et introduit de la discontinuité dans toute analyse sérielle.

Habib Touhami