Elyes Ghariani - Désinformation et intérêts cachés : comment l’Occident façonne la géopolitique de l’Irak à l’Iran

Par Elyes Ghariani - Imaginez un scénario où des mensonges habilement orchestrés justifient une guerre dévastatrice, laissant un pays en ruines et une communauté internationale trompée. Ce scénario n’est pas de la fiction : c’est le récit douloureux de l’invasion de l’Irak en 2003, lancée sur la base de rapports alarmistes et d’une stratégie de désinformation savamment construite autour des armes de destruction massive. Vingt ans plus tard, l’histoire semble se répéter, cette fois avec l’Iran, confronté à des accusations similaires sur son programme nucléaire.
De l’Irak à l’Iran, des campagnes fondées sur des renseignements douteux, délibérément orientés, ont servi des stratégies de puissance visant à redessiner les équilibres géopolitiques du Moyen-Orient. La manipulation persistante des faits par certaines puissances occidentales alimente un climat de méfiance généralisée, ébranlant la confiance dans les institutions internationales et compromettant toute perspective de solution diplomatique durable.
Des mécanismes de désinformation bien rodés
Le cas irakien : fabrication et manipulation des preuves
En 2003, Colin Powell brandissait à la tribune de l’ONU une fiole censée symboliser les armes de destruction massive détenues par l’Irak. Cette mise en scène spectaculaire, qualifiée plus tard de « mensonge du siècle », visait à convaincre la communauté internationale du bien-fondé d’une intervention militaire.
Le dossier irakien reposait sur des renseignements faussés, notamment ceux de « Curveball », un informateur dont les allégations sur des laboratoires mobiles d’armes biologiques avaient été rejetées dès 2000 par le BND, le renseignement allemand. Malgré cela, les administrations Bush et Blair ont poursuivi leur narration, ignoré les avertissements et contourné les faits établis.
Les inspections menées par l’ONU sous la direction de Hans Blix n’ont révélé aucune trace d’ADM, malgré plus de 700 missions. Seules quelques munitions chimiques anciennes furent retrouvées après l’invasion. La vérité éclata tardivement : en 2013, Colin Powell lui-même reconnaissait que les preuves avancées étaient erronées.
Le cas iranien : soupçons fondés sur des sources contestées
À l’instar du précédent irakien, le dossier iranien repose depuis 2002 sur des accusations fragiles et des interprétations douteuses, malgré l’adhésion de Téhéran au Traité de non-prolifération. Nombre de ces allégations s’appuient sur des sources difficiles à vérifier, souvent issues d’opposants ou d’adversaires régionaux.
En juin 2025, une résolution de l’AIEA, soutenue par les États-Unis et leurs alliés, dénonçait un manque de coopération iranien. Téhéran rejetait ces accusations, qualifiant les preuves de « politiquement motivées ». Plusieurs sites prétendument suspects s’avéraient être des fermes ou des carrières banales, rappelant les erreurs d’appréciation commises en Irak.
Instrumentalisation de l’incertitude technique
Le débat sur l’enrichissement d’uranium illustre la manière dont des données techniques, pourtant nuancées, sont instrumentalisées à des fins politiques. L’Iran enrichit son uranium à 60 %, un seuil élevé mais insuffisant pour produire une arme nucléaire. Selon l’AIEA, Téhéran disposait en mai 2025 de plus de 400 kg d’uranium enrichi à ce niveau, en violation des seuils fixés par l’accord de Vienne.
L’Iran affirme que son programme poursuit des objectifs civils. Les puissances occidentales, elles, voient dans ces données la preuve d’une intention militaire. Cette zone grise est exploitée pour justifier des sanctions économiques, voire des frappes préventives, à l’image des récents bombardements israéliens contre des installations iraniennes. Ce recours à l’incertitude comme levier stratégique évoque un scénario similaire à celui de l’Irak en 2003.
Stratégie politique de fabrication de la menace
La manipulation de l’information ne relève pas de l’improvisation. Elle s’inscrit dans une stratégie de construction d’un climat d’urgence, destiné à faire accepter des mesures coercitives, voire des actions militaires. Ce mécanisme repose sur des ressorts classiques de propagande : diabolisation de l’adversaire, héroïsation de la posture défensive, simplification du réel.
L’objectif est clair : présenter l’Iran, à l’instar de l’Irak autrefois, comme une menace imminente pour la paix mondiale. Des dirigeants comme Benjamin Netanyahu ont affirmé, sans nuance, que le programme nucléaire iranien n’avait rien de pacifique, appelant à une réaction immédiate. Cette rhétorique de l’urgence vise à marginaliser les voies diplomatiques et à imposer une logique de confrontation.
Dans cette guerre de l’information, les techniques sont variées : désinformation ciblée, manipulation des médias, instrumentalisation des réseaux sociaux. Il s’agit de construire un consensus artificiel autour de l’idée qu’une action coercitive est non seulement légitime, mais nécessaire.
Le rôle ambivalent des médias
Les médias occidentaux jouent un rôle déterminant dans la légitimation des narratifs sécuritaires. Lors de la crise irakienne, ils ont largement relayé, sans recul suffisant, les allégations américaines. Une dynamique similaire se répète aujourd’hui avec l’Iran, où des accusations non vérifiées sont souvent présentées comme des faits.
Cette tendance s’explique par le phénomène des « bulles cognitives » : des environnements informationnels où se renforcent mutuellement des points de vue convergents. Cela favorise la polarisation des opinions et la fragilisation du débat critique. L’Iran, de son côté, n’est pas en reste et mobilise ses propres outils de propagande pour se présenter comme victime de conspirations étrangères.
Le journalisme se trouve ainsi happé par des logiques de puissance. Il devient parfois, malgré lui, un vecteur d’influence étatique, au détriment de sa fonction d’investigation indépendante.
L’ambiguïté des positions européennes
La France: entre tradition gaulliste et réalignement
La France a longtemps défendu une posture d’équilibre fondée sur la tradition gaulliste. Pourtant, ces dernières années, un glissement s’opère. Le discours reste officiellement en faveur du dialogue, mais les actes — soutien aux sanctions, durcissement du ton — traduisent un rapprochement avec les positions américaines et israéliennes. Cette dissonance nuit à son rôle de médiateur.
L’Allemagne: alignement assumé sur Washington
L’Allemagne adopte une ligne plus tranchée. Elle soutient les sanctions et condamne fermement le programme nucléaire iranien, dans une posture cohérente avec son ancrage transatlantique et ses liens historiques avec Israël. Mais cette fermeté s’accompagne d’une absence de questionnement sur la fiabilité des accusations formulées. En optant pour une approche strictement sécuritaire, Berlin limite sa capacité à jouer un rôle de médiateur impartial dans les conflits régionaux.
Impact sur la crédibilité européenne
L’alignement des grandes capitales européennes sur l’agenda américain fragilise l’image d’une Europe indépendante. Dans la région, l’Union européenne est de plus en plus perçue comme un relais des puissances occidentales, et non comme un acteur impartial. Cette perception affecte sa capacité à jouer un rôle de médiateur et affaiblit son influence géopolitique.
Une défiance régionale renforcée
La répétition des accusations infondées ou politisées nourrit une défiance profonde au sein des opinions publiques du Moyen-Orient. Les interventions justifiées par des preuves contestées rappellent les mensonges d’hier et alimentent les discours anti-occidentaux. En Iran, ce sentiment est utilisé par le pouvoir pour renforcer une posture de résistance.
Les institutions internationales, comme l’AIEA ou l’ONU, en sortent également affaiblies. Suspectées de partialité, elles perdent en légitimité et peinent à faire respecter leurs mandats. La polarisation actuelle entrave les efforts de désescalade, augmente les risques de conflit et compromet toute perspective de stabilité régionale.
Pour une diplomatie lucide et équilibrée
Les parallèles entre le mensonge irakien et les soupçons portés sur l’Iran sont trop nombreux pour être ignorés. Il ne s’agit pas d’erreurs ponctuelles, mais d’un schéma récurrent : instrumentaliser l’information à des fins géopolitiques, souvent au profit d’intérêts stratégiques, notamment israéliens. La sécurité d’Israël est souvent invoquée pour légitimer les pressions exercées sur ses voisins, au risque d’alimenter un engrenage conflictuel.
Dans ce contexte, il est urgent que l’Europe assume une politique étrangère réellement indépendante, fidèle à ses principes fondateurs : primauté du droit, multilatéralisme, respect des souverainetés. Une diplomatie fondée sur la vérité, la transparence et la justice est la seule voie crédible pour reconstruire la confiance et œuvrer à la paix.
Au-delà des peurs instrumentalisées et des récits simplificateurs, c’est par une approche exigeante, lucide et impartiale que pourra émerger une vision nouvelle de la sécurité au Moyen-Orient, au service de la stabilité régionale et de l’intérêt collectif international.
Elyes Ghariani
- Ecrire un commentaire
- Commenter