News - 15.07.2025

Femmes diplomates tunisiennes: L’excellence au féminin

Femmes diplomates tunisiennes: L’excellence au féminin

Une photo historique: Arrivée d’Habib Bourguiba à New York, conduisant la délégation tunisienne à l’Assemblée générale de l’ONU. On reconnaît de gauche à droite : Mongi Slim, Radhia Mestiri, Allala Laouiti, probablement le leader algérien Farhat Abbes, comme il pourrait s’agir d'un Tunisien résidant aux Etats-Unis de longue date, Habib Bourguiba, Moufida Bourguiba.

Nous sommes le jeudi 22 novembre 1956, à New York. Il est 15 heures lorsque Habib Bourguiba fait pour la première fois une entrée magistrale à la grande salle de l’Assemblée générale des Nations unies pour occuper le siège désormais réservé à son pays, 10 jours après l’admission de la Tunisie, le 12 novembre 1959, au sein de l’ONU. Debout, les délégués des 60 Etats membres de l’organisation lui réservent une ovation chaleureuse, saluant en lui un illustre leader de la décolonialisation. Leur ovation sera plus nourrie lorsqu’ils remarqueront la présence dans la délégation qui l’accompagne d’une ravissante jeune femme à l’allure moderne. C’était Radhia Mestiri, toute jeune et nouvelle recrue au ministère des Affaires étrangères. Pour la première fois, une femme faisait partie d’une délégation arabe et africaine. Ainsi naquit la diplomatie tunisienne féminine.

Dans son génie de communication, Bourguiba avait bien préparé son «coup». Il voulait donner au monde entier, depuis New York, l’image d’une Tunisie nouvelle, moderne, associant la femme à de hautes fonctions. Et aussi dire aux Tunisiens que la femme aura désormais pleinement sa place dans tous les secteurs. Il y aura doublement réussi.

Radhia Mestiri, première femme tunisienne diplomate, fera d’ailleurs une belle et longue carrière, couronnée par sa nomination en tant qu’ambassadrice de Tunisie à Dakar. Elle sera la pionnière d’une génération de ses consœurs qui se distingueront par leur excellence, partageant le mérite et la compétence avec leurs collègues hommes. Rapidement, Radhia sera rejointe par Najet Hamza, juriste. Encore étudiante à Paris, Azzouz Lasram, alors conseiller à l’ambassade, la repèrera ainsi que Taher Sioud et les incitera fortement à rejoindre les Affaires étrangères. Elle y restera une dizaine d’années avant de repartir pour la France.

Une autre femme remarquable fera partie des pionnières: Faika Farouk. Rejoignant le ministère en 1959, elle sera affectée quelques années plus tard à Londres, puis à la mission permanente de Tunisie auprès de l’ONU à New York, faisant montre d’une grande compétence. En 1978, elle sera la première ambassadrice tunisienne, nommée au Sénégal. Deux ans plus tard, Faika Farouk sera désignée ambassadrice à Londres.

Jaouida Ghileb Tnani

Jaouida Ghileb épouse Tnani, juriste, sera une figure marquante de la diplomatie tunisienne. Elle avait entamé sa carrière en 1959 à la Direction générale du plan comme administrateur du gouvernement. Elle y poursuit sa carrière pendant cinq années dans ce qui deviendra le ministère du Plan et des Finances. En 1964, Habib Bourguiba Jr, nommé ministre des Affaires étrangères, obtiendra que la direction générale de la coopération internationale, alors coiffée par Ismail Khelil, rentré de Washington, soit rattachée à son département. Toute l’équipe comptant Jaouida Ghileb Tnani, Hamed Ammar et Ali Belhadj Ali (Ahmed Ounaïes sera affecté à cette même direction générale, chargé de la coopération culturelle et technique), intègrera le ministère et Mme Ghileb Tnani sera nommée cheffe de division de la coopération multilatérale. Elle assumera plusieurs fonctions, dont celle de cheffe de division des Nations unies, membre du cabinet du ministre des Affaires étrangères entre 1976 et 1980. Pour gravir les échelons, elle a dû se battre face à des hommes qui étaient peu enclins à reconnaître le mérite des femmes et à leur confier des postes de responsabilité. Elle accède à la direction des organisations et conférences internationales, siégeant en cheffe de délégation aux Nations unies et imposant avec éloquence les positions politiques de la Tunisie et terminera sa carrière au grade de directrice générale.


Faika Farouk

Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères

«Bourguiba Jr, Ismail Khelil et Mhammed Saafi, alors secrétaire général du ministère, œuvreront avec conviction à l’intégration et à la promotion des premières femmes diplomates», témoigne Ahmed Ounaïes.

Saïda Jebali épouse Ben Haha et Saïda Mahjoub épouse Chtioui viendront renforcer les rangs. Si Mme Ben Haha, mariée à un diplomate qui d’ailleurs sera ambassadeur, sera contrainte de renoncer à sa propre carrière pour accompagner son conjoint dans ses affectations à l’étranger et se spécialisera dans le tourisme, Mme Chtioui persévèrera dans son ascension diplomatique et sera nommée ambassadrice à Londres avant de devenir la première femme secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères.

Un chemin très rude pour les diplomates de carrière

La réussite des candidates aux concours successifs ouverts par le ministère dans les années 1980 sera confirmée et croissante. Mais elles commençaient au début de la carrière et devaient attendre longtemps pour occuper des postes fonctionnels, partir en poste à l’étranger, monter en grade et accéder à des fonctions d’ambassadeur. Leur détermination et leur compétence finiront par payer, même si Ben Ali, à son arrivée au pouvoir, introduira un nouvel élément. Il puisera dans la société civile, les organisations nationales, principalement l’Unft et parmi des membres du gouvernement, des femmes qu’il nommera ambassadrices de Tunisie. Elles exerceront alors à Genève, Paris, Berne, Berlin, Buenos Aires, La Haye, Londres, Belgrade, Oslo, Beyrouth, et d’autres capitales.

De nouvelles générations brillantes

Des femmes diplomates de carrière attendront leur heure et finiront par obtenir gain de cause. Après 2011, elles seront beaucoup plus nombreuses à diriger des postes à l’étranger. «On compte aujourd’hui 11 femmes cheffes de missions diplomatiques et consulaires dans les différentes régions du monde», indiquera le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, Mohamed Ali Nafti, lors de la célébration pour la première fois, le 24 juin dernier, de la journée mondiale des femmes diplomates. «La Tunisie est diplomatiquement représentée par des femmes à Washington, Madrid, New Delhi, Pretoria, Amman, Prague, Oslo et Helsinki», ajoutera-t-il.Toutes catégories confondues, 30 pour cent des postes sont occupés par des femmes diplomates. Quant au corps diplomatique, il compte actuellement 36 pour cent de femmes. Partout, elles ont pris place, fait racine et se déploient activement.

Un autre indicateur significatif : le nombre de femmes nouvellement recrues lors des concours de secrétaires des Affaires étrangères (premier grade dans la carrière): il n’a cessé de dépasser la moyenne depuis la première vague en 2018. La promotion 2025-2027 va plus loin comptant 37 femmes et 13 hommes. L’avenir leur appartient.  

Entre fierté et sacrifices

Comme leurs consœurs dans les corps diplomatiques étrangers, les femmes diplomates tunisiennes sont partagées au cours de leur carrière entre la grande satisfaction doublée de fierté de servir leur pays et le poids des sacrifices à consentir. L’éloignement parfois du conjoint et des enfants est mentionné en premier lieu. Elles se retrouvent alors seules ou accompagnées d’une partie seulement des membres de la famille et doivent tout gérer, conciliant vie privée et vie professionnelle. Dans les deux, elles doivent réussir, sans le droit à l’erreur.

Vent debout sur le pont

Écouter des femmes diplomates, consules, consules générales et ambassadrices parler de leur métier, évoquer leurs activités, souligner les rôles qu’elles accomplissent aux quatre coins du monde est un motif de fierté. On les retrouve attentives dans des séances de nuit, y compris le weekend, au siège réservé à la Tunisie dans des instances régionales et internationales, lors de négociations bien redoutables, au fin fond de contrées lointaines, pour prêter assistance à un concitoyen en difficulté, mener des entretiens de haut niveau sur des questions sensibles, faire prévaloir des droits et défendre des intérêts de la nation et dans bien d’autres situations. On les croirait dans des réceptions ou des salons dorés, alors qu’elles sont vent debout sur le pont.

Combien de fois doivent-elles affronter des situations difficiles, braver des obstacles infranchissables, ou s’ingénier à trouver des solutions à des problèmes insolubles ? Elles en font, comme leurs collègues hommes, sinon plus, un véritable devoir. Elles savent qu’elles incarnent l’image de la Tunisie et celle de la femme tunisienne et elles en sont très fières.Comment leur donner plus de visibilité? Leur permettre de susciter des vocations et  d’inspirer les jeunes ? Aujourd’hui, la diplomatie tunisienne féminine est à écrire. Chacune a un récit à consigner, des enseignements à partager, une passion à faire vivre. Toutes méritent reconnaissance et hommage.

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