Ridha Bergaoui: Le blé, un aliment essentiel et un héritage humain (Album photos)

Le blé, le riz et le maïs, sont les trois céréales les plus cultivées et consommées dans le monde. Le blé est consommé par 2,5 à 3 milliards de personnes surtout en Europe, Maghreb, Moyen-Orient, et Asie centrale. En Tunisie, le blé est la base de notre alimentation quotidienne, indispensable pour confectionner notre pain, les pâtes, les gâteaux, le couscous et de nombreux plats traditionnels succulents comme mhammas, nwasser, hlalem, bsissa, etc.
Le Tunisien est incontestablement un gros amateur-consommateur des produits du blé. Il consomme en moyenne 200 kg de blé/an. Toutefois peu nombreux sont ceux qui connaissent l’histoire de cette précieuse petite graine et son incroyable parcours durant des millénaires, depuis sa domestication jusqu’à nos jours, pour devenir un aliment indispensable pour plus du tier des habitants de notre planète.
Des origines du blé
Le blé est l’une des premières plantes domestiquées par l’homme, il y a plus de 10 000 ans, en même temps que l’orge, les lentilles et les pois, et plusieurs millénaires, avant le riz et le maïs. Il a été tout d’abord cultivé dans ce que l’on appelle le croissant fertile (du côté de l’Irak, la Turquie et l’Iran). C’est dans cette zone que des chasseurs-cueilleurs commencèrent à domestiquer et cultiver plusieurs espèces végétales, notamment des graminées sauvages, et s’organiser en des sociétés sédentaires agricoles.
Le blé était fort apprécié pour plusieurs raisons comme sa culture facile, son apport nutritif intéressant et exempt de facteurs antinutritionnels, sa productivité élevée et sa facilité de conservation. La paille et les enveloppes des grains étaient également importants pour faire de la terre à bâtir. La domestication du blé a conduit à une certaine sélection empirique qui a permis des améliorations de la forme de l’épis, la taille des grains, la longueur du cycle de culture...
Petit à petit, la culture du blé s’est répandue en Mésopotamie, Egypte, Anatolie puis en Europe, Asie Centrale et le bassin méditerranéen. Les civilisations antiques (Egypte, Grèce, Carthage, Rome) ont fondé leurs économies sur cette céréale nourricière. Sa culture s’est bien développée depuis avec une amélioration continue des techniques de culture (pratique de l’assolement, irrigation, confection d’outils agricoles de plus en plus perfectionnés, sélection de variétés plus productives…).
Au moyen âge, l’alimentation de base des gens reposait sur le pain. Le type de pain consommé était une marque des différences sociales. Le pain blanc était réservé aux riches, le pain noir (mélange d’orge, seigle et autres céréales) pour les pauvres. Les révoltes populaires liées au prix du pain étaient fréquentes, comme celle à l’origine de la révolution française en 1789.
Le blé des temps modernes
C’est surtout au XIXe siècle que la culture du blé a connu son véritable essor grâce à l’apparition de la motorisation et de la mécanisation, le développement des moyens de transport maritime et les progrès des industries meunières. La farine blanche raffinées devint la norme en milieu citadin.
La révolution verte (1950-70) a donné de l’élan à la culture du blé. Cette révolution s’appuyait sur un paquet technologique comprenant de nouvelles variétés de blé semi-naines à hauts rendements et résistantes aux maladies, l’utilisation massive d’engrais chimiques et de pesticides, la mécanisation de toutes les opérations culturales et l’irrigation en cas de disponibilité de l’eau. La culture du blé s’est organisée en filières intégrées (semenciers, agriculteurs, transformateurs, distributeurs…), les exploitations s’agrandissent et les pratiques se standardisent. Cette intensification a entrainé des bonds quantitatifs énormes. En France, les rendements ont considérablement augmenté au fil des décennies, passant de 14-15 q/ha à plus de 70 q/ha entre 1945 et 1995, Il serait de près de 80 quintaux/ha de nos jours. En 2020, alors que La moyenne des rendements du blé irrigué en Nouvelle Zélande est d’environ 120 q/ha, un record mondial de 173 q/ha de blé a été obtenu par un agriculteur Néo-Zélandais. Cette performance a été réalisée grâce à la maitrise de l’irrigation, de la fertilisation et de la lutte contre les maladies et les mauvaises herbes.
Aujourd’hui, le blé est cultivé dans le monde sur 215 millions d’ha et la production annuelle a atteint 780 millions de tonnes. Les principaux producteurs sont la Chine, l’Inde, la Russie, les Etats-Unis, la France et le Pakistan.
Blé dur vs blé tendre
Le blé est une plante annuelle, monocotylédone (dont l’embryon possède une seule feuille embryonnaire ou cotylédon, par opposition aux dicotylédones comme les légumineuses par exemple), de la famille des graminées (au même titre que le maïs, l’orge, l’avoine, le riz…) et qui appartient au genre Triticum. Les premiers blés domestiqués, les ancêtres des blés actuels, étaient diploïdes (deux paires de chromosomes). Les blés tétraploïdes, issus d’un croisement naturel qui sont les vrais ancêtres du blé dur (BD) sont apparus 8 000-6 000 ans avant J-C. Les blés tendres (BT) sont hexaploïdes et résultent d’un croisement entre le blé et une graminée sauvage. Ils sont apparus 5000-4000 ans av J-C.
Le blé tendre (Triticum aestivum) et le blé dur (Triticum durum) sont deux espèces différentes. Ils présentent de nombreuses ressemblances mais également des différences importantes aussi bien génétiques que morphologiques. Le grain du BT est rond, farineux, blanc, friable, facile à moudre et donne de la farine fine avec un rendement de 70-75%. Le grain du BD est long, vitreux, jaune ambré, il est très dur à casser et difficile à moudre (d’où son nom). Le rendement à la mouture est faible (60-65%). Sa teneur en protéines est plus élevée que celle du BT.
Les grains de blé en général sont principalement constitués d’amidon (environ 70%), de protéines (10 à 15% selon les variétés et les conditions de culture) et de glucides (12 à15%). Ils contiennent également, en des quantités beaucoup plus faibles, des lipides, des minéraux (dont notamment le magnésium) et les vitamines du groupe B et E. Le blé est déficitaire en acides aminés essentiels notamment la lysine. Le gluten du BT est jaune et plus élastique et plus panifiable. L'index glycémique (IG) chez le BD est plus faible que chez le BT (surtout avec les farines blanches).
Quoiqu’il soit possible d’utiliser indifféremment l’un ou l’autre des blés pour faire du pain ou des pâtes, au niveau industriel, chaque type de blé apporte des caractéristiques uniques qui l’habilitent à un usage particulier. Le blé dur se prête essentiellement à la fabrication des pâtes et de la semoule utilisée pour la confection du couscous et autres préparations culinaires. On peut faire du pain à partir de la semoule de BD mais la pâte lève moins bien qu’avec de la farine de BT. Celui-ci est plutôt polyvalent et sert à la confection de la farine destinée à la fabrication du pain et des pâtisseries (viennoiseries, biscuiterie, gâteaux…). Il permet une bonne levée de la pâte et donne au pain sa structure particulière avec à l’intérieur une mie moelleuse, bien aérée et à l’extérieur, une croute bien ferme et croustillante. La farine de blé tendre absorbe facilement la matière grasse et le sucre nécessaires pour obtenir des gâteaux croquants et délicats. Par contre, le BT n’est pas adapté à la fabrication de pâtes sèches. La semoule du blé dur donne une pâte, plus ferme et plus facile à travailler que la farine de blé tendre, qui a tendance à être plus collante. Le blé tendre, souvent mélangé avec des œufs pour lier la pâte, peut cependant être utilisé pour faire des pâtes fraiches comme les raviolis ou les nouilles asiatiques.
Quelques informations complémentaires
1/ Le gluten est une protéine présente naturellement dans certaines céréales, principalement le blé, l’orge et le seigle. Chez certaines personnes, notamment celles atteintes de la maladie cœliaque, la consommation de gluten provoque une réaction immunitaire qui endommage la muqueuse de l’intestin grêle, entraînant des troubles digestifs, de la fatigue, des carences et d’autres complications. D'autres personnes non cœliaques peuvent également éprouver une sensibilité au gluten ou au blé en général, avec des symptômes digestifs (ballonnements, douleurs, diarrhée) ou extra-digestifs (fatigue, brouillard mental), sans réponse immunitaire claire. Ces personnes doivent exclure tous les aliments contenant du gluten de leur alimentation quotidienne.
2/ On appelle « céréales à paille » les céréales susceptibles de fournir, en plus du grain, de la paille comme le blé, l'orge, le seigle, l'avoine et le riz, alors que le maïs est une céréale qui ne donne pas de paille. La paille est massivement utilisée en élevage soit comme litière soit comme aliment de lest.
3/ Le triticale est la première graminée créée par l’homme. C’est un croisement entre du blé (dur ou tendre) et du seigle. Il présente les avantages de productivité du blé et de la résistance du seigle. Il est utilisé souvent en alimentation animale. Pour la panification, il est nécessaire de le compléter avec du blé tendre en raison de sa faible teneur en gluten. Il peut être cultivé comme fourrage pour la confection d’ensilage. Sa culture à grande échelle a démarré en 1980. Malgré l’existence de variétés sélectionnées par l’Inrat, sa culture en Tunisie reste très limitée.
4/ Le tritordeum est le croisement entre le blé dur et l’orge sauvage et créé par l’homme en 2012. Riche en fibres, en lutéine et en acide oléique, il contient moins de gluten que le blé et donc plus digeste. Bien qu’encore marginal, il représente une alternative aux céréales classiques. Bien adapté aux défis climatiques et aux attentes des consommateurs qui demandent des produits sains et respectueux de l’environnement.
5/ Un blé de force est un blé tendre riche en protéines qui permet de produire une farine de haute qualité pour la panification.
Conclusion
Le blé est un aliment essentiel pour de nombreuses populations. La croissance démographique et l’amélioration du niveau de vie ont entrainé une augmentation conséquente de la consommation du blé. La demande est de plus en plus importante et l’intensification de la culture est inévitable.
Le blé a fait l’objet depuis sa domestication d’une attention particulière de la part des agriculteurs qui ont opéré une sélection empirique in situ. Cette sélection a abouti à l’obtention de variétés-populations locales anciennes abandonnés depuis 1960. Ces variétés reviennent sur le devant de la scène pour leur rusticité, leur adaptation aux conditions difficiles et au stress hydrique.
De nos jours, les variétés modernes de blé, très productives, sont issues d’une sélection scientifique rigoureuse pour améliorer les performances quantitatives et qualitatives et la résistance aux maladies. La connaissance des besoins physiologiques de la plante et la maitrise des conditions de culture ont permis l’obtention de rendements élevés. Cependant, ces variétés présentent aussi des inconvénients. Elles consomment beaucoup de nutriments et de matières organiques du sol, sont sensibles au sel et à d’autres maladies non fongiques, et rendent les agriculteurs dépendants pour se procurer les intrants nécessaires. L’intensification de la culture du blé s’est accompagnée ainsi de l’épuisement des ressources (sol et eau), la pollution par les produits chimiques, la perte de la biodiversité et la dépendance aux intrants. Il est désormais nécessaire de revoir nos modèles de production et de consommation pour une agriculture durable et une consommation responsable.
Ridha Bergaoui