Opinions - 11.08.2025

Une transition énergétique imposée pour un lendemain opportuniste

Une transition énergétique imposée pour un lendemain opportuniste

Par Dr. Ing. Hiba Zouaghi- Le 24 juillet 2025, une date à ne pas oublier ! à partir de laquelle l’humanité a officiellement franchi le seuil du jour de dépassement. Qu’est-ce que cela veut dire exactement ?

Il est important de savoir qu’à partir de cette date, nous vivons à crédit écologique utilisant les ressources de demain, afin de satisfaire l’excès d’aujourd’hui. C’est incroyable ! mais malheureusement vrai…

Nulle ne peut imaginer que cela puisse arriver puisqu’à uniquement sept mois de l’année 2025, nous avons déjà épuisé les ressources de la terre, tout ce qu’elle pouvait nous offrir en une année. Au-delà de cette limite, c’est une dette que nous exploitons dans les entrailles de notre planète.

Malgré le développement technologique et l’amélioration du niveau de vie des individus, notre mode de vie ressemble de plus en plus à un suicide collectif déguisé en progrès. Des forêts disparaissent tous les jours, des espèces marines en voie d’extinction, des sols épuisés à cause de la surexploitation et l’utilisation des produits chimiques…

Ce record est un retentissement d’alarme, pour que le monde puisse se réveiller et agir face à ces défis devenant de plus en plus difficiles à surmonter.

(Source : Global Footprint Network)

Le monde a pris conscience de l’épuisement des ressources naturelles depuis les années 1970. Cette prise de conscience s’est progressivement imposée dans les débats et sommets environnementaux mondiaux. Ce n’est qu’en 1988, que l’Organisation des Nations Unies ONU a créé un Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat GIEC. Le but principal de ce groupe est de fournir des évolutions détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur le changement climatique ainsi que leurs causes, leurs répercussions ainsi que les stratégies de parade.

Caricature sur le rôle du GIEC

Placé sous l’égide de l’Organisation Météorologique Mondiale OMM et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement PNUE, le GIEC est divisé en trois groupes:

• Groupe 1: impacts physiques du changement climatique; 
• Groupe 2: impacts, vulnérabilité et adaptation au changement climatique;
• Groupe 3: moyens d’atténuation.

Regroupant 195 Etats membres, il fonctionne par cycles d’évaluation d’environ 7 ans et publie des rapports rédigés par des centaines de scientifiques puis validés par les représentants des Etats phase par phase, permettant une garantie vis-à-vis leur légitimité politique et scientifique.

Le CIEC a reçu le Prix Nobel de la paix en 2007, une reconnaissance pour ses efforts dans la sensibilisation sur les effets de changement climatiques.

Les rapports d’évaluation de ce groupe ont permis de faire appel à une transformation urgente vers une consommation durable, soulignant que l’extraction des ressources peut augmenter de 60% d’ici 2060 sans action concertée.

De ce fait, lors de la Conférence Of Parties COP3 à KYOTO en décembre 1997, un accord international complémentaire à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques CCNUCC, a été signé. Entré en vigueur en février 2005 après la ratification de 55 pays représentant 55% des émissions mondiales de CO2 en 1990, cet accord a été nommé protocole de KYOTO.Ce protocole vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 5% entre 2008 et 2012 par rapport aux niveaux de 1990. Ainsi, seuls les pays industrialisés sont juridiquement tenus à ces engagements, reflétant le principe de responsabilité commune mais différenciée.

Une seconde période d’engagement de 2013 à 2020 a été adoptée à la COP18 de Doha avec une participation réduite. Il a également permis de créer de trois mécanismes flexibles et qui sont:

• Mécanisme de Développement Propre MDP : qui présente un outil de compensation carbone permettant aux pays industrialisés (AANEXXE 1 du protocole), ayant pour objectif de réduire leurs émissions, de financer dans des projets de réduction de gaz à effet de serre dans les pays en développement, en échange de crédits carbones appelés Unités de Réduction Certifiée des Emissions URCE ou CER.

• Mise en Œuvre Conjointe MOC: ce mécanisme de flexibilité permet à un pays industrialisé (ANNEXE 1) de financer un projet de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans un autre pays également de l’ANNEXE 1, souvent une économie en transition (Europe de l’Est, ex URSS). Les types de projets à financer consistent à l’amélioration de l’efficacité énergétique, la réduction des émissions industrielles, la valorisation du biogaz ainsi que la réhabilitation des infrastructures polluantes.

• Echange de quotas d’émission: il s’agit d’un commerce de droits d’émission entre Etats reposant sur un plafond global d’émissions fixé pour un ensemble d’installations ou de secteurs, des quotas d’émission que les entreprises peuvent échanger sur un marché selon leurs besoins et performances environnementales.

Principes des mécanismes du protocole de KYOTO
(source: Livre la transition énergétique, H. Zouaghi)

Le protocole de KYOTO a été progressivement remplacé par l’Accord de PARIS de 2015 lors de la COP21, ce qui a permis d’impliquer tous les pays dans un effort global de réduction des émissions des gaz à effet de serre.

 Caricature sur l’accord de Paris lors de la COP21

Entré en vigueur en novembre 2016 et signé par 196 parties, incluant pays développés et en développement, sans distinction juridique comme dans le protocole de KYOTO, cet accord vise à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation aux effets de changement climatique ainsi que la mobilisation des financements. De ce fait, il appuie sur le fait de limiter le réchauffement climatique à celle en dessous de 2°C avec un effort pour ce pas dépasser 1.5°C par rapport aux niveaux préindustriels, sans oublier que si nous continuons à exploiter nos ressources à la même fréquence, l’augmentation de la température de la terre pourrait atteindre les 4°C.

Atteindre une neutralité carbone compte également parmi les objectifs majeurs de cet accord et dans ce cadre, chaque pays est dans l’obligation de soumettre une Contribution Déterminée au Niveau National CDN, tous les 5 ans. Ces plans doivent inclure des objectifs de réduction des émissions, des mesures d’adaptation ainsi que des engagements financiers et technologiques.

La Tunisie compte parmi les pays ayant signé l’accord de PARIS et travaillant sur une stratégie ambitieuse de transition énergétique. De ce fait, l’Agence Nationale de Maîtrise de l’Energie ANME a mis en place plusieurs programmes visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La politique nationale vise principalement à l’utilisation rationnelle de l’énergie poussant à la réduction de la consommation de l’énergie conventionnelle de 30% d’ici 2030 ainsi que la mise en place d’une politique de diversification du mix énergétique à travers l’utilisation des énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse) et garantir une certaine indépendance énergétique.

Schéma récapitulatif de la stratégie Nationale de transition énergétique
(Source: Site officiel de l’Agence Nationale de Maîtrise de l’énergie)

Dans le but de réduire la demande en énergie primaire, l’ANME a mis au point plusieurs campagnes de sensibilisation afin d’inciter les individus à l’utilisation rationnelle de l’énergie. Dans ce même cadre, une plateforme nommée WAFFIR a vu le jour il y a quelques années. Dans le but de promouvoir l’efficacité énergétique dans les foyers à travers un outil simple accessible à tous, chacun peut comparer la performance énergétique de tous les équipements électroménagers disponibles dans le marché tunisien et garantir un choix économe en énergie.

De plus, plusieurs initiatives dans le but de pousser les grands consommateurs d’énergie à réduire l’empreinte carbone de leurs produits / services. Avec son expertise dans le domaine de l’environnement, le Centre International des Technologies de l’Environnement CITET accompagne les entreprises dans le calcul de leur empreinte selon les exigences de la norme ISO14067 V2018, en utilisant des outils de calcul spécifiques. Le processus vise à la sensibilisation sur la réduction des émissions carbone, travailler sur un diagnostic des émissions et préparer un plan d’action détaillé sur une stratégie de réduction.

C’est alors qu’une approche multisectorielle a été mise en place:

• Domaine de l’énergie: développement des énergies renouvelables (solaire, éolien) pour l’amélioration de l’efficacité énergétique (voir article : https://www.leaders.com.tn/article/36275-vers-un-avenir-durable-le-projet-teep-et-la-transition-energetique-tunisienne)
• Domaine industriel: incitation des secteurs à fortes intensité carbone (comme le ciment 14% des émissions nationale) à mettre en place un plan de réduction de leurs émissions en plus de la mise en place d’un système de management de l’énergie selon la norme ISO 50001, et garantir une meilleure utilisation de l’énergie.
• Domaine de l’agriculture: promotion des pratiques durables et réduction des émissions liées à l’usage des engrais et à la déforestation.
• Domaine du transport: Soutien à l’utilisation des véhicules électriques et réductions des taxes reliés au transport (tarifs douaniers, TVA, taxe de circulation: vignette et droit d’immatriculation), voir article (https://www.leaders.com.tn/article/36808-les-voitures-electriques-en-tunisie-est-ce-un-avenir-prometteur).
• Domaine de gestion des déchets: pousser les grands générateurs de déchets à utiliser des méthodes de valorisation énergétique comme le biogaz ainsi que la sensibilisation à l’utilisation du tri sélectif et la réduction des décharges non contrôlées.

La stratégie mondiale de transition énergétique est une initiative ambitieuse face aux défis reliés à l’augmentation de la dépendance aux énergies fossiles, déficit énergétique ainsi qu’aux impacts de changement climatique. La Tunisie rencontre plusieurs challenges, tels que la réponse aux financements et la dépendance au gaz algérien.

Dr. Ing. Hiba Zouaghi 
Consultante en ER, IBSOL ENERGY