News - 11.09.2025

Frida Dahmani - Yadh Ammar: Une voix qui restera vivace

Frida Dahmani - Yadh Ammar: Une voix qui restera vivace

Bien souvent, l’attention est attirée par les figures du barreau qui multiplient les effets de manches et construisent une carrière à coups de déclarations qui séduisent les médias. D’autres s’effacent devant les affaires qu’ils défendent et préfèrent la discrétion de leurs cabinets pour préserver la confidentialité de leurs clients. Le regretté Yadh Ammar était de ceux-là.

Cet originaire de Sfax, qui avait mené de brillantes études de sciences économiques et de droit à la Sorbonne, a peaufiné son art de convaincre et sa maestria dans la conduite de débats en prenant fait et cause de manière apaisée pour le mouvement estudiantin au sein de l’Union générale des étudiants de Tunisie (Uget) durant notamment le bouillonnant Mai 68. Une épopée qui a forgé les convictions sur la justice et l’Etat de droit de celui qui se destinait au barreau.

Les bouleversements d’une fin de siècle puis ceux de la révolution tunisienne ont enrichi le contenu que ce pédagogue et fin lettré dispensait à ses étudiants de la faculté des Sciences économiques et de Gestion de l’Université de Tunis. Il exprimait toute sa maestria de la nuance et sa maîtrise des textes à travers les nombreuses publications qui ont jalonné son parcours de juriste.

Il y a acquis un tel respect de ses pairs et n’hésitait pas à mettre à contribution son carnet d’adresses pour donner un coup de pouce à ses étudiants. Il a permis l’accès à des cycles d’études, notamment en France, à plus d’un avocat tunisien d’autant qu’il assurait lui-même une liaison entre les barreaux tunisiens et ceux de l’Hexagone.

Mais celui qui a été avocat de grandes entreprises publiques et celui de l’ambassade de l’Union soviétique qui deviendra celle de Russie, est surtout reconnu pour ses qualités d’arbitrage. Une action qu’il menait à l’international avec beaucoup de doigté et de sensibilité qui ont participé à son succès.

S’il fallait retenir une qualité de cet homme qui témoigne des grandes heures de la Tunisie, ce serait son élégance et ses manières de gentleman qui accompagnaient une culture immense et sans faille. C’est justement ce talent intarissable qui a séduit la maison Guerlain dont il sera le conseil en Tunisie où le parfumeur de Grasse s’approvisionne en néroli.

Dans son cabinet, avec une extrême courtoisie, il ne s’installait jamais derrière le meuble prévu à cet effet mais prenait place autour de la magnifique table de bois d’olivier qui était à la fois une oeuvre d’art singulière et le point d’ancrage de son cabinet. C’est là qu’il se réunissait avec les jeunes confrères qu’il formait ainsi qu’avec ses clients. Toujours attentif, de temps à autre il soulevait la tête et son regard se perdait dans la ramure de l’arbre immense prêt à déborder de l’embrasure de la fenêtre.

Pour certains, Yadh Ammar aurait pu paraître taiseux, appréciant un certain quant-à-soi, il n’en était rien. L’homme était certes discret par nature mais était extrêmement affable et surtout un fin observateur d’une société en mutation et avait une certaine tendresse pour ses semblables. Avec sa courtoisie de tous les instants et son humour délicat, il faisait d’une discussion banale un instant privilégié. La voix de ce ténor du barreau de Tunis, qui pour beaucoup était un ami, s’est éteinte mais celle de l’homme rare qu’il a été demeure  vivace dans le souvenir.

Frida Dahmani
Journaliste

Lire aussi

Le bâtonnier Christian Charrière Bournazel - Yadh Ammar: Un avocat exemplaire 

Décès de Me Yadh Ammar, une illustre figure du barreau, de l’université et de la société civile

Le bâtonnier Mohamed Fadhel Mahfoudh - Yadh Ammar: Il inspirera les générations à venir