L'avarie du sel
Pourquoi la rue continue-t-elle à presser le gouvernement et pourquoi celui-ci continue-t-il à concéder en donnant l’impression qu’il est en train de gravir une échelle dont les marches tombent sous ses pieds les unes après les autres jusqu’à peut être une chute finale programmée. C’est que le peuple Tunisien n’a plus aucune confiance dans son sel, c’est-à-dire l’élite politique et intellectuelle qui l’a gouverné depuis plus de deux décennies. Agent de conservation par excellence, le sel peut-il être avarié ? Oui, mais l’idée n’est pas de moi c’est ce qu’écrivit il y a plus de mille ans l’historien maghrébin Ibn Idhari Al Marrakchi à propos des débâcles des musulmans en Andalousie « le malheur des sociétés provient de l’avarie de son sel : les princes et les oulemas, leur cupidité, leur corruption et leur manque de courage sont la cause de leur décadence et de leur déperdition »
Conformément à cette pensée, le bilan est aujourd’hui en Tunisie catastrophique : faillite du système politique, difficultés économiques, crise sociale et morale. Cela suffit pour expliquer l’impopularité de tout ce qui a trait au régime déchu de Ben Ali. Et l’absence de confiance dans ce qui reste comme personnel politique et institutions. Si la situation perdure ainsi, il y a fort à parier qu’il y a risque d’une chute lamentable de tout le pays.
Et pourtant la liberté n’a pas de prix et la démocratie a ses exigences, le peuple Tunisien doit maintenant puiser dans le fin fond de sa sagesse de son intelligence et de sa tolérance pour s’adapter à la situation qu’il vient de créer et à commencer l’œuvre de reconstruction. Par où commencer ? Et dans quel sens ? Il est suggéré à ce niveau de commencer par observer attentivement notre urbanisme, notre manière de circuler et de faire les échanges. Et c’est à ce niveau qu’on va découvrir nos insuffisances matérielles, morales et organisationnelles. Ne dit on pas que l’urbanisme est la projection de la société dans l’espace ?
Commençons par le soft, c'est-à-dire par la culture et le système des valeurs. L’égoïsme, l’individualisme, l’opportunisme et la cupidité doivent être bannis à jamais et notamment chez les hommes politiques qui, en montrant l’exemple, amèneront le peuple à les imiter. En nous enrichissant de ces valeurs nous serons capables de les donner. Les citoyens qui ont retrouvé la liberté doivent être toujours engagés et solidaires pour ce conformer aux lois et résister à l’oppression. L’ordre et la liberté n’avancent que par un tel comportement.
Limiter les pouvoirs du Président de la République
Quant au système politique qui devrait faire fonctionner l’Etat et la société, il faut s’accorder qu’il n’y a pas de système idéal. La démocratie parlementaire tant souhaitée au passé et au présent exige de vrais partis politiques pouvant se relayer sur le gouvernement et l’opposition. Les avons-nous à l’heure actuelle ou dans un avenir proche ? Toute la question est là. Pour être efficace on ne peut être que progressif. La réforme du système présidentiel en limitant les pouvoirs du président de la république et en renforçant les institutions de contrôle et de sanction paraît plus indiquée pour permettre un fonctionnement normal des institutions de l’Etat.
Mais là où la Tunisie a le plus besoin de réformes, c’est au niveau territorial, c’est de son ventre mou qu’est parti la révolution et c’est de là que la réforme des collectivités territoriales et locales s’impose en urgence pour les doter de plus de compétences, de moyens et de ressources humaines permettant d’atteindre une véritable décentralisation impliquant les citoyens et renforçant les complémentarités entre les gouvernorats. Contrairement au découpage régional adopté jusqu’à présent et qui part du nord au sud, il est proposé que l’on adopte un découpage régional plus conforme aux étages bioclimatiques de la Tunisie c'est-à-dire allant de l’est vers l’ouest. De même, les deux grands chantiers à engager, concernent l’administration publique et les systèmes d’éducation, de formation et de culture. Voilà pour ce qui est du soft.
Pour ce qui est du hard c'est-à-dire de l’économie, le bilan des dernières années a montré les limites de l’ouverture à la mondialisation à laquelle nous n’avons apporté que notre demande, notre offre à cette mondialisation est demeurée limitée. C’est à ce niveau que nous devons redoubler d’efforts pour engager nos systèmes de production et améliorer notre compétitivité pour espérer le renforcement de nos équilibres globaux et reconquérir la confiance de nos partenaires et de nos clients.
Vaste programme s’il en est. Notre sel, débarrassé de ses avaries, et retrouvant le brillant de son cristal est à même de relever avec la participation engagée et résolue du peuple Tunisien ces véritables défis.
Adel Kamoun, militant nationaliste