Mohamed Taoufik El Falah: Au commencement était la pub…

Par Zoubeida El Falah - Avec la disparition de Mohamed Taoufik El Falah, à près de 96 ans, la Tunisie, et particulièrement l’Ariana, perd l’une de ses figures les plus emblématiques. Doté d'une forte personnalité, bâtisseur infatigable, entrepreneur visionnaire et homme profondément attaché aux valeurs morales, il a su concilier tradition et modernité, foi et ouverture, rigueur et humour. Au-delà d’un parcours exceptionnel, il laisse l’image d’un homme élégant, avenant et généreux, qui a profondément marqué celles et ceux qui ont eu le privilège de le connaître ou simplement de croiser son chemin.
Né en 1929, à une époque de profonds bouleversements en Tunisie, Mohamed Taoufik El Falah s’est très tôt distingué par sa curiosité intellectuelle et son esprit entreprenant. Il poursuit ses études supérieures à l’École de publicité de Paris, une formation rare et prestigieuse à l’époque, qui le mène tout naturellement vers le monde de la communication et des médias. Très jeune, il rejoint Radio Monte Carlo en arabe, mettant sa voix, sa culture et son éloquence au service du dialogue, de la transmission et de l’ouverture sur le monde arabe et méditerranéen. Ces premières expériences ont jeté les bases d’un engagement plus vaste: celui de participer à la libération de la Tunisie, puis à la construction d’un État moderne, aux côtés des grands bâtisseurs de sa génération.
Les téléviseurs Grunding et King
Homme d’action, Mohamed Taoufik El Falah fut un entrepreneur avant l’heure — un véritable “serial entrepreneur”, bien avant que le terme n’existe. Il est à l’origine de l’introduction et du développement en Tunisie des marques de téléviseurs Grundig et King, contribuant activement à l’essor du secteur industriel national.
La passion pour l’Ariana
Vice-président de la municipalité de l’Ariana, il joue un rôle central dans la modernisation de sa ville natale, qu’il voit se transformer, sous ses yeux, de village tranquille en cité dynamique. Il s’engage également dans le domaine sportif en présidant l’Association Sportive de l’Ariana (ASA), succédant à son ami de toujours, le Professeur Moncef Dargouth. Il transmet ainsi à la jeunesse sa passion du sport, de l’effort et de l’engagement citoyen.
L’Utica, l’Alemagne
En tant que président de la Fédération des Industries mécaniques et électriques (Fime) au sein de l’Utica et membre actif de son bureau exécutif, il joue un rôle majeur dans le développement économique du pays. Par ailleurs, membre influent de la Chambre tuniso-allemande, il contribue à tisser des ponts économiques solides entre la Tunisie et l’Allemagne.
La banque et les finances
Cofondateur de la Banque tuniso-sénégalaise à Dakar (ultérieurement cédée à des partenaires marocains), administrateur de la Cnss et de plusieurs institutions financières, il participe activement à la structuration du paysage bancaire et social tunisien. Dans toutes ces responsabilités, il se distingue par son talent de négociateur, reconnu tant sur le plan national qu’international, notamment dans ses échanges avec des géants industriels tels que Philips ou Grundig.
Le fondateur de Bayt El Hadith
Profondément croyant, mais toujours tourné vers l’ouverture et le dialogue, Mohamed Taoufik El Falah incarne une spiritualité éclairée. Il fonde et soutient, pendant plus de trente ans, le «Bayt El Hadith» à l’Ariana, qu’il transforme en un lieu de savoir, de foi, de partage et d’échanges. Sa maison ne désemplit jamais de lectures et de débats: chaînes d'information arabes ou internationales, ouvrages d’histoire, de géopolitique, magazines économiques et de management…
Son esprit vif restait perpétuellement en éveil.
Visionnaire et curieux, il refuse de se laisser distancer par la technologie: à la fin des années 1990, du haut de ses 70 ans, il prend des cours d’informatique pour maîtriser Internet. Et quelques mois avant sa disparition, à l’âge de 96 ans, il propose encore la création d’une plateforme de financement participatif (crowdfunding) destinée à soutenir les jeunes entrepreneurs tunisiens et à lutter contre l’exode des talents.
Un hommé très distingué
Au-delà de ses titres de noblesse, Mohamed Taoufik El Falah était avant tout un homme profondément humain et charismatique.
Élégance et prestance: qu’il soit vêtu d’un costume impeccable, d’une djebba traditionnelle ou d’une tenue plus décontractée, il irradiait toujours une forme de raffinement naturel.
Humour et verve: brillant conteur, il émaillait ses conversations d’anecdotes savoureuses et d’un humour aussi fin que décapant.
Générosité et bonté: d’une gentillesse rare, il savait écouter, conseiller, encourager, sans jamais rien attendre en retour.
Transmission: patron, mentor, figure tutélaire, il a marqué ses collaborateurs, inspiré ses amis et guidé sa famille. Nombre de ses proches reconnaissent en lui celui qui leur a transmis le goût d’entreprendre et le courage de persévérer.
Son dernier vœu
Esprit libre et fidèle à lui-même jusqu’au bout, Mohamed Taoufik El Falah avait exprimé le vœu d’être inhumé dans un cimetière modeste et anonyme, à proximité de son Ariana, loin du carré familial du Jellaz. Un dernier geste empreint de simplicité, de sincérité et d’amour pour sa ville natale, qui résume à lui seul l’homme qu’il fut : un bâtisseur humble, un sage discret et un serviteur inlassable du bien commun.
jusqu'à tout récemment. C'était un grand homme qui bouillonnait d'idées et de projets, un homme affable, sérieux, honnête et très efficace dans le monde des affaires.
Zoubeida El Falah