IACE - Premier rapport national sur l’Entreprise: Pour un nouveau pacte productif
Dans une nouvelle initiative utile, l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) vient de publier le premier Rapport national sur l’entreprise, dressant un diagnostic approfondi du tissu productif tunisien, de ses contributions économiques et de ses déséquilibres structurels. Il met en évidence une économie dominée numériquement par la micro-entreprise, soutenue fiscalement par le secteur privé, mais fragilisée par une faible montée en gamme productive et par le poids budgétaire élevé des entreprises publiques.
Fondé sur les données actualisées de 2023, le rapport montre que « si la Tunisie dispose d’un capital humain et d’une base productive prometteuse, sa compétitivité souffre de la faiblesse de l’investissement, de la lenteur de la modernisation industrielle et de la concentration de la charge fiscale sur un nombre limité d’entreprises. »
Richement documenté et soigneusement élaboré, ce document met en exergue la nécessité d’un nouveau pacte productif articulant trois priorités:
• Renforcer la productivité et la taille critique du secteur privé, en soutenant la montée en gamme des microentreprises vers le statut de PME innovantes.
• Réformer la gouvernance et la performance des entreprises publiques, pour réduire leur charge budgétaire.
• Stimuler l’investissement industriel et technologique, condition indispensable d’une croissance inclusive et durable.
« L’ensemble de ces mesures, indique le rapport, vise à reconstruire un modèle entrepreneurial fondé sur la compétitivité, la transparence et la durabilité, capable de faire de l’entreprise tunisienne le véritable moteur de la relance économique nationale. »
Ces leviers sont jugés essentiels pour assurer une croissance inclusive, durable et soutenable des finances publiques tunisiennes.
Décryptage
À la fin de 2023, la Tunisie compte plus de 824 000 entreprises, dont près de 87,5 % sont sans salariés. Parmi les entreprises employeuses (103 518 unités), les microentreprises représentent 87 %, les PME 12,23 % et les grandes entreprises seulement 0,87 %. Malgré leur faible poids numérique, les entreprises privées jouent un rôle central dans l’économie : elles contribuent à près de 59 % de la valeur ajoutée nationale, assurent plus de 79 % de l’investissement total des entreprises et génèrent environ 43 % de l’emploi formel. À l’inverse, les entreprises publiques ne contribuent qu’à 4 % de l’emploi formel, tout en pesant lourdement sur les finances publiques.
Le tissu productif
| Type d'entreprise | Nombre | Part dans le total | Observations principales |
| Microentreprises | 89 958 | 10,90% | Cœur du tissu, faible progression |
| PME | 12 663 | 1,50% | Poids stratégique dans la valeur ajoutée |
| Grandes entreprises | 897 | 0,10% | Fort impact économique |
| Entreprises privées employeuses | 103 518 | 12,55% | |
| Auto-entreprises | 721 075 | 87,45% | Economie centreée sur le micro-travail |
Sur le plan fiscal, le rapport montre que le secteur privé constitue le principal pilier du financement de l’État. En combinant l’impôt sur les sociétés, la TVA collectée et l’IRPP retenu à la source, les entreprises privées assurent en moyenne plus de 52 % des recettes fiscales. Toutefois, cette contribution repose sur une base étroite : le nombre d’entreprises déclarantes à la Direction Générale des Impôts a reculé de plus de 8 % entre 2023 et 2024, révélant une fragilisation de la formalisation économique, notamment dans le commerce et les services.
L’analyse par taille d’entreprise souligne une forte segmentation. Les microentreprises, bien que socialement importantes et jouant un rôle d’amortisseur du chômage, ne contribuent qu’à environ 3 % des impôts directs et restent concentrées dans des activités à faible productivité. Les PME apparaissent comme le maillon stratégique du développement, concentrant près de 38 % de l’emploi total et jouant un rôle clé dans l’industrie et les services productifs, mais leur progression reste lente. Les grandes entreprises, bien que très peu nombreuses, concentrent 44 % de l’emploi salarié et constituent le noyau de la compétitivité industrielle et exportatrice.
Le rapport met également en évidence de fortes disparités régionales. Le développement économique dépend moins du nombre d’unités que de la présence d’un noyau de PME structurées et, idéalement, d’une ou deux grandes entreprises capables d’ancrer des chaînes de valeur locales. Les territoires dominés par la micro-activité informelle restent durablement en retard.
Concernant les entreprises publiques, le constat est préoccupant. Elles enregistrent des déficits chroniques (près de 3 milliards de dinars en moyenne), reçoivent d’importantes subventions et contribuent en moyenne à plus de 22 % du déficit budgétaire de l’État. Leur faible taux d’investissement et leurs problèmes de gouvernance limitent leur efficacité économique.
Enfin, le rapport insiste sur les enjeux de modernisation de l’industrie manufacturière. Malgré un noyau de grandes entreprises performantes, le secteur souffre d’un désinvestissement relatif, d’une faible intensité technologique et d’une productivité stagnante, notamment dans le textile et les industries à faible valeur ajoutée.