Mansour Moalla : Même s'il reste, le gouvernement doit bouger pour montrer la sortie de crise
Ancien ministre du Plan et des Finances, limogé par Bourguiba à l’initiative de Mzali, puis obligé par Ben Ali en 1993 de quitter la BIAT en qu’il avait fondée en 1976, après son départ, en 1974, du gouvernement Nouira, Mansour Moalla garde à 81 ans la même ardeur patriotique de ses années de jeunesse à la tête de l’UGET en France, et la même profondeur d’analyse politique et économique. S’imposant un rythme de vie bien équilibré, entre passages bihebdomadaires à son bureau au Lac, escapades à sa petite sénia du côté de Mornag, natation, organisation de ses archives et lectures, il aime à se ressourcer dans le bonheur familial qui l’entoure et la chaleur de l’amitié de ses fidèles camarades, scellée ici et là, tout au long d’un long parcours. Comment a-t-il vécu cette révolution ? Quelles sont les urgences pour le gouvernement d’union nationale et les mesures prioritaires pour l’économie ?
Matinal comme toujours, très élégant dans un costume bleu aux fines rayures, le regard pétillant d’intelligence, derrière des lunettes fines, cet ancien et unique élève tunisien de l’ENA (française), condisciple de Jacques de La Rosière (ancien DG du FMI) et d’Edouard Balladur (ancien Premier ministre français), garde le verbe juste, ciselé, qui exprime une pensée cohérente. Témoin depuis les années 40 des moments forts de la Tunisie en lutte pour son indépendance, puis pour sa construction, le voilà en train de vivre un autre moment historique qui le fait vibrer au diapason du peuple. Un entretien rapide a permis à Leaders de recueillir un aperçu sur les problèmes du jour. Interview.
Comment avez-vous vu arriver ce mouvement ?
On s’y attendait. Peut-être pas de cette manière aussi édifiante quant à la capacité de notre peuple et de notre jeunesse de reprendre en mains ses destinées. La pression était si forte que tout a fini par exploser.
Comme tous les Tunisiens, j’ai accueilli cette révolution avec espoir et crainte. L’espoir que cela débouche sur une véritable démocratie. La crainte, c’est de la voir s’arrêter, dévier, et faire l’objet de récupération. Il est malheureux de voir nombre de personnes qui avaient fait partie des équipes précédentes s’accrocher encore au pouvoir au lieu de reconnaître que leur mission est terminée. Compromis, fragilisés, ils ne sont plus suffisamment crédibles. La peur du vide ne se justifie pas. Le vide risque d’être créé par ceux qui veulent, à tout prix, le remplir.
Le RCD a-t-il des chances de survivre ?
Dans ses dernières versions, certainement pas. Il aurait dû déclarer de lui-même la rupture avec son passé récent, dénoncer ses pratiques, revendiquer un retour aux valeurs fondamentales du Néo-Destour et s’imposer une grande cure de jouvence. Reprendre la voie de l’opposition est vertueux pour lui. Regardez comment le Parti socialiste français, s’était remis en question, après la guerre d’Algérie. Mitterrand déclarait alors, en 1955, que « la seule solution pour l’Algérie, c’est la guerre ! » Le PS, au prix de grandes transformations et intenses luttes, a repris ses élans jusqu’à gagner, avec le même Mitterrand, les élections en 1981.
Quelles sont les urgences pour le gouvernement d’union nationale ?
Même s’il reste en place, il faut qu’il bouge, qu’il ne soit pas immobile. Il doit montrer rapidement au peuple comment il entrevoit la sortie de crise. Le grand problème est posé par la constitution actuelle. Elle a été tellement malmenée qu’elle a verrouillé toutes les issues. Comment peut-on élire un Président de la République, tel que prévu par la constitution actuelle ? N’avons-nous pas subi ce système depuis plus d’un demi-siècle? N’en n’avons-nous pas assez ? Devrions-nous l’élire pour six mois pour qu’il puisse dissoudre l’Assemblée et ouvrir la voie à l’élection d’une assemblée constituante. Il y a là matière à réflexion.
Aussi, faut-il se concentrer sur cette question pour lui trouver une solution acceptable. Il va falloir dessiner rapidement la sortie de la crise, permettant de doter le pays d’institutions démocratiques. C’est qu’attend le peuple.
Et sur le plan économique, quelles sont les urgences ?
Multiples. Elles exigent surtout une réflexion approfondie afin de s’inscrire dans la cohérence. La question économique ne peut être traitée que dans la durée, la solution politique étant préalable. Si on ne dispose pas dans un bref délai d’un gouvernement émanant d’une élection transparente, donc crédible et ayant la confiance des Tunisiens et de nos partenaires investisseurs et gouvernements, on ne peut que gérer les affaires courantes, et encore.
Il faut voir clair, loin et profond pour que cette révolution puisse servir la prospérité de la Tunisie.
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