Economie: insoutenable légèreté de l'Occident et montée en prééminence des émergents
Le XXème siècle a été on ne peut plus mouvementé, avec deux guerres mondiales et une multitude de conflits régionaux, mais aussi l’accession de plusieurs pays à la liberté et la mise en œuvre de nombreux régimes socioéconomiques : le collectivisme avec ses multiples variantes, les régimes à économie planifiée et administrée, les adeptes autarciques de l’échange inégal cher à Raul Prebisch, les socialo-capitalistes, les adeptes du marché de capital, etc.
Le XX siècle a également connu entre 1947 et 1977, trente années de paix relative, de croissance et d’innovation.
Le dernier quart du siècle a surtout été marqué par les décisions de l’Inde et de la Chine de Deng Xiao Ping de s’arrimer au commerce mondial, accélérant l’avènement d’un univers globalisé.
Ces deux puissances démographiques, dont les populations rassemblées représentent plus du tiers de la population mondiale, n’ont eu de cesse d’utiliser leur présence dans le concert des nations, comme un tremplin, pour effacer des décennies de colonisation et d’humiliation en mettant, de manière différente, toutes leurs énergies dans un effort de rattrapage des pays occidentaux.
Pour cela, ils ont employé les grands moyens, que leur permettaient leurs fortes potentialités : de vastes territoires, chargées de matières premières, une population nombreuse, et une ambition forte.
A côté de ces grands pays démographiques, la décolonisation et la mondialisation ont propulsé sur le devant de la scène des Etats plus modestes, mais d’une grande réactivité, comme le Brésil et les "dragons" asiatiques, sans oublier la Russie et ses Etats périphériques, dont l’importance se mesure à leurs vastes territoires, pas encore totalement exploités ni explorés et à la diversité de leurs ressources agricoles et minières qui demeurent considérables.
Ces pays, notamment la Chine, et dans une moindre ampleur l’Inde, ont utilisé leurs ressources humaines, pour entrer de plain pied dans la mondialisation, par la petite porte, au début, celle de l’assemblage, puis en montant en puissance, dans pratiquement tous les secteurs.
Disposant d’une main d’œuvre nombreuse et de faible coût, heureuse de quitter les zones rurales, ils ont entamé leur transition industrielle, qui a donné un coup fouet à la productivité de leurs économies.
Ces pays ont déversé, en peu de temps, sur le monde abasourdi, leur textile bon marché, leurs produits ménagers, leurs automobiles, et bientôt leurs centrales nucléaires.
En une trentaine d’années, la Chine est devenue, le deuxième pays au monde par l’importance de son PIB, devançant le Japon et l’Allemagne, et le premier exportateur devant cette dernière.
Il est clair que la montée en puissance, de ces géants et dragons asiatiques, fait de l’ombre aux Pays occidentaux.
Ces derniers, même s’ils conservent une réelle influence dans les instances internationales, souffrent, tous, fortement, de cette concurrence commerciale impitoyable.
Au premier rang de ces pays, les USA, premier grand marché de consommation, dont la balance commerciale accuse un déficit chronique, financé par les réserves de change chinoises.
Les USA puissance prééminente, dont l’industrie décline, au point de ne plus représenter qu’une part inférieure à 10% de son économie, bénéficient de la force hyperbolique du dollar, dont le statut de monnaie de réserve, souvent titillé, mais pas encore directement menacé, leur permet d’être le plus grand Etat, débiteur du monde, sans trop souffrir des réactions de ses créanciers, riches en dollars : une poule aux œufs d’or qu’ils ne veulent pas encore tuer.
L’endettement des USA, reste tout de même très menaçant à moyen terme, lorsque les Etats créanciers changeront d’attitude, en raison d’une réorientation possible de leurs économies.
Ainsi, il est tout à fait envisagé que la Chine voudra, ou sera contrainte par l’accroissement du pouvoir d’achat de sa population, qui passe irréversiblement, des campagnes vers les villes, de faire porter, dans le futur, sa croissance par un développement de son marché intérieur.
Une telle évolution se fera, forcément, au détriment de ses exportations et influera sur les excédents chinois et, par voie de conséquence, sur les réserves détenues en dollars qui sont de 2 700 Milliards de US$ soit, pour avoir un ordre de grandeur, l’équivalent du PIB de la France, plus du quart du PIB chinois et 16% du PIB américain.
Dans une telle hypothèse, les USA devront trouver d’autres usines, pour leur consommation locale, et d’autres créanciers aussi complices que les chinois, à moins que d’ici là le remimbi ou yuan, ou d’autres monnaies, ne supplantent, ce qui reste une possible, mais faible hypothèse, le dollar comme monnaie de réserve.
L’ECONOMIE ENTREPREUNARIALE DE LA CONNAISSANCE DES USA : L’ARME FATALE
Si les USA, en dépit de leur endettement colossal continuent à avoir les faveurs des analystes de la géopolitique, c’est parce qu’il s’agit de la plus grande puissance économique, qui dispose d’une arme décisive, celle d’un gisement sans équivalent de chercheurs et de savants, surtout relayés par des entrepreneurs de la connaissance.
En matière d’innovations, les USA sont les leaders, non pas parce que ils ont des chercheurs et des savants, mais bien parce que, de surcroît, ces derniers sont adossés en permanence et de manière sans équivalent, partout ailleurs dans le monde, à des entrepreneurs de la connaissance, qui prennent le risque de parier sur les travaux de ces derniers et de les transformer en innovations.
Mais les USA ont un autre atout, tout aussi essentiel, c’est leur formidable capacité à absorber des populations nouvelles.
L’EQUATION DEMOGRAPHIQUE : CHANCE POUR CERTAINS, DESESPOIR POUR D’AUTRES
On estime, en effet, que dans les trois à quatre prochaines décennies les USA, grâce à cette capacité, verront leur population s’accroître de 100 millions de personnes, alors que dans le même laps de temps, l’Europe qui n’a pas cette vertu, verra la sienne diminuer de quarante millions de personnes, sans parler de la Russie qui subit une érosion démographique irréversible et particulièrement inquiétante.
Au passage, une information capitale, et qui confirme que le monde est en constante évolution : au cours de la même période des quatre prochaines décennies, la Chine dont on vient de vanter le dynamisme, perdra environ 60 millions d’actifs, résultat de sa politique de l’enfant unique.
L’Europe, justement, quelles espérances a fait naître la Communauté du Charbon et de l’Acier, puis le traité de Rome, et quelles désillusions la guettent si elle n’arrive pas à s’adapter aux exigences et évolutions du nouveau monde !
L’Europe, à l’exception, peut-être, et encore ce n’est pas très évident, de l’Allemagne et des pays nordiques, souffre tel un vieil aristocrate désargenté, d’avoir trop vécu au dessus de ses moyens.
Sa démographie est vieillissante, son agriculture n’est plus compétitive et le statut d’Etat-providence de ses différents pays, obère sa compétitivité, face à des Etats émergents, performants à souhait, du fait de leurs coûts salariaux très largement inférieurs. De plus, institutionnellement l’Europe n’est pas un ensemble économique et surtout monétaire cohérent et soudé.
En l’absence d’institutions capables d’assurer à tous ses pays, surtout ceux de la zone euro, un minimum de cohérence budgétaire, une politique de change commune et une mobilité du travail, l’Europe restera un ensemble fait de "bric et de broc", exposé aux crises comme c’est le cas présentement.
L’Europe, à l’exception notable de l’Allemagne, souffre en effet de la mondialisation, sur son espace géographique, et ailleurs où elle se fait devancer de plus en plus par les pays émergents tels que la Chine évidemment, mais aussi la Corée du Sud, l’Inde, le Brésil, la Thaïlande, etc.
Elle n’a pas accumulé, dans les temps de prospérité des trente glorieuses, et plus récemment dans la dernière décennie du siècle précédent, les réserves qui lui auraient été nécessaires dans ces jours de vaches maigres.
L’Europe se retrouve comme les USA, avec des montagnes de dettes, mais à la différence de ces derniers, elle ne dispose, comme nous venons de le voir, ni d’une monnaie de réserve, ni d’un Etat fédéral, avec un commandement budgétaire commun, ni d’une politique de change, ni d’un espace géographique assurant la mobilité de sa main d’œuvre.
Cette situation d’endettement et d’absence d’institutions fédérales porteuses d’une politique européenne coopérative, n’est pas de nature à rassurer les marchés financiers, notamment quant à la solidité voire à la pérennité de l’euro.
LE DECLIN DE L’OCCIDENT EST IL IRREMEDIABLE ? ET L’ACCESSION, AUX PREMIERES LOGES, DE L’ORIENT ASIATIQUE EST IL INEXORABLE ?
Pour beaucoup de spécialistes en géostratégie, la question mérite d’être posée, tant il est vrai, que depuis l’avènement de l’ère chrétienne, la domination orientale, de la Chine principalement, a été constante dans le temps.
Les occidentaux exercent une maîtrise du monde, depuis le XIIIème siècle, plus nettement encore depuis le XIX siècle, et la victoire de la Grande Bretagne sur la Chine dans la Guerre de l’opium, conclue par les traités dits inégaux de Nankin en 1842 et de Pékin en 1860.
Cette défaite et son cortège aux funestes conséquences, dont la destruction du Palais d’été, dont on vient de célébrer le cent cinquantenaire (octobre 1860) par les troupes franco-britanniques, ont été vécus, par les Chinois, comme une humiliation impardonnable.
Ils nourrissent un fort ressentiment à l’égard de l’Occident, et un esprit de revanche, qui se traduit par un grand dynamisme commercial de la Chine, une politique expansionniste de recherches d’alliés dans les endroits du monde qui participent à son alimentation en ressources et une dotation importante allouée à son budget militaire.
Mais le déclin chinois du XIXème siècle (n’oublions pas que jusqu’au début du XIX siècle, le PIB chinois, selon beaucoup d’historiens et d’économistes dépassait 30% du PIB mondial, excusez du peu !) ne peut faire oublier la domination que ce pays a exercée sur le monde, quasiment jusqu’à la Renaissance dans les domaines de la science et des techniques.
A eux deux, l’Inde et la Chine, ont fait profiter l’humanité de leur avance dans les sciences mathématiques et le système numérique, pour la première, alors que la seconde s’illustrait par son apport au monde de la poudre à canon, du fer, du papier, de la porcelaine, et bien sûr de la soie, ces deux dernières étaient déversées sur tous les continents dans ce qui n’était qu’un avant goût de la mondialisation.
Il y a déjà plus de deux siècles, Napoléon Bonaparte, un expert s’il en est, prophétisait que : “quand la Chine s’éveillera le monde tremblera", et Alain Peyrefitte reprenait à son compte, cette anticipation chargée d’angoisse et de terreur, dans un livre à gros tirage en 1973.
Car la Chine et l’Inde ont exercé de tout temps, une vraie fascination sur l’Occident, en raison de leurs vieilles civilisations, de la force de leurs cultures, qu’elles soient scientifique, artistique ou littéraire, et depuis la Renaissance, de leur développement démographique.
Ayant fait ce bref détour historique, la montée en puissance de l’Inde de la Chine, n’apparaît plus comme un sujet d’étonnement, mais bien comme un retour de balancier.
Certes, de nos jours les occidentaux sont encore très largement dominateurs en termes de produit intérieur brut (PIB), puisque à eux seuls ils constituent plus de 50% de cet indicateur.
Même s'il est difficile de valoriser les actifs patrimoniaux de ces Etats, il est généralement admis, que dans ce domaine également, ils sont prééminents. En termes de niveau de vie par habitant, ils conservent encore une bien large avance sur les pays orientaux.
Néanmoins, Il est anticipé que la Chine, en termes de PIB global, rattrape celui des USA, un peu plus tôt que prévu, soit vers 2025 - 2030.
Au-delà de cette période, la politique de l’enfant unique mise en œuvre depuis plusieurs décennies, fera que la démographie et la population active chinoises commenceront à refluer.
De plus, la Chine est d’ores et déjà confrontée, à l’exode rural, et sa croissance doit répondre à une demande locale en expansion et à des revendications sociales qui ne manqueront pas de voir le jour, en dépit de l’existence d’un pouvoir central fort et d’un parti unique de soixante dix millions d’adhérents.
Sans oublier, que l’histoire de la Chine est parsemée de mouvements centripètes venant des provinces et contestant le pouvoir central.
Le parti communiste chinois le sait, tout comme il connaît parfaitement les limites de l’euphorie actuelle : le fameux horizon 2025, quand sa démographie déclinera et que la demande sociale s’accroîtra, érodant du coup, le formidable avantage compétitif du pays.
Les chinois savent donc qu’ils doivent à tout prix assurer leurs arrières, dés à présent, en multipliant les alliances, en diversifiant leurs sources d’approvisionnements en matières premières, et en se portant acquéreurs d’actifs pérennes, dans différents endroits du monde, que ce soit en Afrique, leur Eldorado, mais aussi en Europe et aux USA.
CONCLUSION
Faut-il pour autant conclure que nous assistons au balancement de la suprématie mondiale de l’Occident vers l’Orient ?
S’il n’est pas interdit de se poser la question en raison surtout de l’extrême vitesse, avec laquelle les pays orientaux sont passés en moins de trente années, d’une économie isolée et fermée sur elle-même, au statut de puissances commerciales ouvertes à la mondialisation, il n’en demeure pas moins que rien n’est encore joué.
L’Occident a encore de nombreux atouts à faire valoir, et en premier lieu, les USA, qui restent une puissance avec laquelle il faudra encore compter et qui ne pourront en dépit des difficultés, divergences, égoïsmes de toutes sortes, que tirer vers le haut, leurs alliés européens.
Une formidable puissance qui grâce à ses universités, son Pentagone pourvoyeur de commandes en R&D, et ses capacités "entrepreneuriales" sans égales, domine à la fois la recherche et le développement planétaires, l’économie de l’immatériel, et le cybermonde.
Qu’on le veuille ou pas, si les pays émergents jouent de nos jours un rôle essentiel dans la production des richesses, les USA, restent surpuissants dans celle des biens immatériels.
La recherche et le développement restent leur domaine de prédilection, qui leur permet d’être toujours en avance sur leurs poursuivants.
La mondialisation n’a fait qu’accélérer ce mouvement, en leur offrant, en plus de leur marché intérieur, non négligeable, un espace et un théâtre planétaires, de consommateurs, de l’I Phone, de Google, de Microsoft, des systèmes d’information, des normes de gouvernance, et des films tout droit sortis des studios californiens.
Dans le nouveau paradigme associé à l’économie monde, les USA, plus que toutes les autres puissances, ont intégré le duo majeur de la chaîne de valeurs : conception et prescription avec une prime à l’entrée pour le concepteur du premier modèle, de la première molécule, de la première invention, qui relayés par leur diffusion médiatique et leurs prescripteurs, assureront à leurs géniteurs un succès planétaire.
L’Europe, n’offre pas des espérances comparables, sa recherche est trop morcelée, et ses institutions incomplètes et fragiles, ne lui permettront pas de rivaliser, à l’instar de leur partenaire américain, avec les pays concurrents de l’Orient asiatique.
Ajoutons à ces faiblesses une démographie, particulièrement faible et le cocktail du déclin est garanti.
A moins que l’Europe se ressaisisse et qu’elle intègre, dans la "maison commune", d’autres pays, comme la Russie, potentiellement prospère, et les nations de la rive sud de la méditerranée, si proches et dont la démographie conserve une certaine vitalité.
C’est à ce prix, que l’Europe peut se sauver du spectre du recul, face à des puissances ascendantes, moins liées à des modèles sociaux de type de l’Etat providence et qui "frétillent" à l’idée de se frayer une place dans le concert des nations dominantes.
Occident versus émergents, quel sera le vainqueur ?
La réponse à cette question d’importance, restera accessoire par rapport à l’acuité de la réalité planétaire, qui nous fait vivre dans une bulle de réseaux : électriques, informatiques, financiers et même sociaux.
Leur enchevêtrement, induit le risque systémique, qui peut à tout moment faire basculer tout ou partie du monde vers le précipice, que les partisans de l’économie durable ne cessent d’annoncer.
La pérennité de la planète et de ses différentes composantes, se mesurera à l’aune de la volonté commune de transcender le tragique de la compétition hégémonique et d’abandonner les discours lénifiants, toujours répétés, jamais suivis d’effet, sur le désir de paix universelle.
Et que loin des promesses émollientes, se lève une volonté partagée d’équité et de vivre ensemble.
MOURAD GUELLATY