News - 02.02.2011

Slim Amamou raconte tout pour Leaders : son combat, son arrestation, la torture psychologique subie, la prison...

Récit époustouflant que celui que fait pour Leaders, Slim Amamou (Slim 404), l’icône cybernétique de la révolution tunisienne. Comment il est venu à ce combat ? Quelles souffrances a-t-il endurées pendant son arrestation, les cinq jours et nuits passés au ministère de l’Intérieur, sa mise sous écrous à la prison de la Mornaguia, le coup de fil reçu en prison de la présidence de la République pour lui annoncer sa remise imminente en liberté, comment il a regardé à la télé, avec le directeur de la prison, le dernier discours de Ben Ali… Mais aussi comment, une fois libéré, ahuri par l’insécurité régnante ce soir-là, il a voulu retourner passer la nuit en prison, ce qui ne pouvait lui être accordé…

Il révèle également, comment il a été appelé pour faire partie du premier gouvernement d’union nationale, pourquoi il a accepté de le faire. Dans les coulisses du nouveau pouvoir, le Secrétaire d’Etat à la Jeunesse, nous raconte ses premiers pas et gestes, son action immédiate pour faire lever la censure sur le web, ses rencontres avec les censeurs, mais aussi ceux qui l’avaient interrogé et surtout, ce qu’il compte faire : « un vrai complot pour la nouvelle Tunisie ! »

Quelles sont ses priorités ? Quel est son agenda d’ici six mois ? Compte-t-il continuer à faire de la politique et se présenter aux prochaines élections législatives ? Que pense-t-il du rôle de la communauté cybernétique, de la presse électronique, des médias ? Et comment estime-t-il immuniser cette révolution et la rendre irréversible ? Une longue interview dont nous publions la première partie jusqu’à sa remise en liberté. A lire. Et à suivre !
 

Au deuxième étage du ministère de la Jeunesse et des Sports, il occupe le bureau qui servait de salle de travail, juste en face de celui du ministre, le Dr Aloulou. Un bureau simple qui donne sur la cité sportive. Slim arbore son uniforme désormais rendu célèbre : jean, veste côtelée, chemise à col ouvert, sans cravate, la barbe de deux jours et des chaussures sportives. Ses outils de travail son là : un ordinateur et un téléphone mobile « surtout pour twitter ». Le reste est dans la tête. Il venait juste de raccompagner un visiteur, demandeur d’emploi, et devait en recevoir d’autres venus sans rendez-vous. « C’est mon job, ici au ministère ! Recevoir ces gens, les écouter et tout faire pour les aider. L’interview commence.

Comment faudrait-il vous appeler : M. le Secrétaire d’Etat ? Si Slim ? Slim 404 ?

Slim, tout simplement !

Vous venez de passer des journées exceptionnelles ?

Effectivement. Passionnantes, longues, très mouvementées et, nécessairement, épuisantes. Je ne trouve pas le temps de me reposer un seul instant. Je rêve de prendre un peu de répit, mais surtout pas en ce moment.
Comment êtes-vous venus à tout-cela ? A l’informatique, pour commencer. Vos parents sont médecins, vous bifurquez vers l’ordinateur, puis le gsm pour twitter ?

Ce sont précisément mes parents qui m’ont mis à l’ordinateur. Dès ma prime enfance, j’étais déjà féru d’informatique et commencé à apprendre la programmation à 10 ans. Puis, j’y ai fais mes études et créé ma petite entreprise. La première que j’ai cédée, puis la deuxième que je viens de confier à mon associé. En cherchant à recruter des collaborateurs, je me suis mis à aller sur le net pour voir si les candidats qui se sont présentés tenaient un blog, histoire de mieux les connaitre. J’étais surpris qu’ils n’en avaient pas. D’ailleurs, je me suis rendu compte que moi-même aussi. Du coup je me suis mis à blogger. Dès 2007, avec l’arrivée de Twitter, je m’y suis plongé à fond. C’est devenu ma vie.

Et Sidi Bouzid ?

Avant Sidi Bouzid, j’ai découvert le poids de la censure qui nous bâillonnait tous ; Avec des amis, notamment Aziz Amamy,  Yassine Ayari et d’autres, nous nous sommes lancés dans le combat pour la libre expression, à travers notamment la campagne « Sayeb Salah », les tee-shirts blancs, puis la manifestation avortée du 22 mai 2010.

L’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi nous a profondément interpellés. J’ai vu une vidéo postée par un jeune de Sidi Bouzid, qui avait été témoin de cet acte fondateur, participé à une manifestation devant le siège du gouvernement, puis, ahuri de voir tout cela ne bénéficier d’aucune reprise par aucun média. J’ai immédiatement saisi la double urgence, celle de combler ce grand silence et celui de libérer le journalisme citoyen. Rien ne remontait des régions. Rares étaient ceux qui pouvaient s’exprimer.

Du coup, nous avions décidé de prendre en charge ensemble ce grand combat. La communauté du net a été superbe. Très vite, tout s’est emballé à une telle vitesse que la censure ne pouvait plus suivre. Je l’ai su par la suite, en rencontrant des spécialistes qui m’ont dit qu’ils en ont été totalement submergés. Du coup, tout le pays a commencé à relayer l’info, et toute la toile commençait à y prêter attention, aux quatre coins du monde. Chacun filmait, postait, commentait, faisait suivre.

La censure s’acharnait contre nous tous, sans y parvenir totalement. Le soutien d’Anonymous a été déterminant. En s’attaquant aux sites officiels, il brandissait la menace et détournait leur capacité de nuisance. C’est alors que je fus arrêté et inculpé d’attaques aux sites officiels.

Comment s’est faite votre arrestation ?

J’étais au bureau lorsque trois agents de police, en civil sont venus me cueillir. Première instruction qu’ils avaient reçue : « il faut lui arracher son téléphone portable ! »  Comme s’il s’agissait de l’arme du crime, à saisir immédiatement, les ordinateurs aussi. Bien escorté, j’ai été emmené au ministère de l’Intérieur. Le calvaire commençait !

Menotté, maintenu sur une chaise cinq jours d’affilée, sans le droit de dormir, d’interminables interrogatoires et une forte torture psychologique, très pénible à supporter.

Comment se sont déroulées ces séances ?

D’une manière très pro ! Avec tous les ingrédients de l’alternance des bons et des méchants, toutes les formes de pression. One me faisait croire que les miens étaient arrêtés et torturés, juste à quelques mètres de la pièce où j’étais, que d’autres étaient violés. Qu’un médecin avait été appelé d’urgence pour d’ultimes secours et d’ailleurs je voyais passer par la porte entrouverte à dessein, quelqu’un en blouse blanche, trousse médicale en main. Je n’arrivais pas à tenir. J’ai failli craquer, n’était-ce ma forte conviction en mon droit et en la noblesse de la cause que je défendais avec tout le peuple. Par rapport à d’autres amis, j’ai l’impression qu’Aziz et moi n’avions pas été trop malmenés. Peut-être grâce au mouvement de solidarité en notre faveur qui s’amplifiait. Mais, j’ai appris par la suite deux choses : d’abord que nombre des miens qu’on me donnait torturés, voire violés, ne l’étaient pas en fait. Ca c’est la bonne nouvelle. La mauvaise, elle m’a beaucoup bouleversé, c’est que d’autres amis n’ont pas échappé à la torture.

Au bout de cinq jours qui me paraissaient interminables, je fus traduit devant le juge d’instruction. J’ai pu alors relire mes déclarations et les corriger. Placé sous mandat de dépôt, on m’a conduit avec Aziz à la prison de la Mornaguia, pour la mise sous écrous.

Quel accueil vous a-t-on réservé en prison ?

Je sentais que nous bénéficions tout de même d’une certaine attention. Tous deux avions été relativement traités correctement et placés ensemble dans une grande cellule, réservée aux nouveaux détenus. La procédure veut, paraît-il qu’on aille d’abord, pendant les deux premiers jours, dans des cellules moins encombrées. Puis on s’enfonce graduellement dans l’univers carcéral. On était parmi 30 à 40 codétenus dans une cellule prévue pour 100 personnes, alors que d’autres étaient occupées par 120 à 150 prisonniers. Nous étions avec ce qu’on appelle les Ta’hil, c'est-à-dire ceux qui sont sur le point de purger la totalité de leurs peine, s’adonnaient à des travaux et s’apprêtaient à sortir dans deux à trois mois. Des gens plus calmes, moins agressifs.

Aziz et moi découvrons ce monde. On savait que le maximum de peine qu’on encourait était de quelques mois, mais n’avions pas de visibilité quant à notre procès, au verdict qui sera prononcé contre-nous et notre remise en liberté. On suivait l’info à la télé, mais c’était Canal 7, la chaîne gouvernementale qui ne disait pas tout.

Et alors ?

Tout s’est accéléré, jeudi 13 janvier. Vers 16h30, le directeur de la prison nous convoque dans son bureau et nous dit : « Ecoutez, le président va prononcer un discours historique et il se peut qu’il contiendra des propos qui seront en votre faveur. Restez-ici auprès de moi et nous allons regarder ce discours ensemble. »

Vers 7 heures du soir, il reçoit un appel et me passe le combiné. Au bout du fil, c’est « un responsable de la présidence qui veut me parler. Je n’ai pas bien retenu son nom. Tout de go, il m’annonce vous allez être libérés ! Je n’en croyais pas mes oreilles. Mais, j’avais toute raison de le croire.

Et vous avez suivi le discours de Ben Ali, avec le directeur de la prison ?

Tout-à-fait ! Ce fut inoubliable. A l’écouter et dès qu’on nous a demandé de partir, j’ai compris que nous avons gagné ! Comme si le discours s’adressait à nous ! Comme si tout ce qu’il a dit était destiné pour nous tous ! J’ai compris par la suite que le peuple avait raison de demander plus et il l’a obtenu, moins de 24 heures après.
Comment a été votre sortie de prison ?

L’ordre reçu et la levée d’écrou effectuée, une voiture devait nous déposer chez-nous. Mais dès que nous avions franchi la porte de la prison, nous avons vu des barrages et découvert une autre Tunisie. Je ne vous cache pas que j’en étais fortement surpris, et eu beaucoup d’appréhension. Nous étions rentrés en prison sous une Tunisie et nous en sortions sous une autre. Ahuris par l’insécurité régnante, et craignant le pire surtout avec la nuit enveloppante, nos avions demandé à retourner passer la nuit en prison.

« Vous plaisantez ou quoi, nous dira gentiment le directeur de prison. Je ne peux pas vous garder. J’ai ordre de vous libérer e non de vous emprisonner. » Que faire alors ? Je me suis rappelé que nous avons justement un ami qui habite à la Mornaguia. Je l’ai appelé et nous nous sommes agréablement réfugié chez-lui pour passer la nuit, en attendant la levée du jour afin de rejoindre nos familles et surtout nos amis.

A suivre…

Lire la suite