Slim Amamou 2 : comment je suis devenu Secrétaire d'Etat et ce que je compte faire avant de partir bientôt
Où sera-t-il dans un an ? Certainement pas au gouvernement qu’il compte d’ailleurs quitter, dans moins de six mois. Slim Amamou (Slim 404), Secrétaire d’Etat à la Jeunesse, a un agenda clair et n’aime faire de la politique. Il préfère retourner à son entreprise et surtout poursuivre d’autres combats. Dans cette deuxième partie de l’interview qu’il a accordée à Leaders, il poursuit le récit de ces derniers jours, racontant comment il a été approché pour entrer au gouvernement d’union nationale, son premier conseil de ministres bien twitté en direct, la découverte du fonctionnement de la censure des sites web et son démantèlement, la contribution de la presse électronique et des nouveaux médias à faire repousser les barrières et ses projets d’avenir. Une certitude : il ne se présente pas aux élections. Des révélations inédites et nombre de prises de position.
Où avez-vous vécu la journée du 14 janvier?
Dans la rue, avec mes amis, où j’ai vécu les émotions les plus intenses. Inutile de vous dire que ce j’ai ressenti ce jour-là demeure pour moi inoubliable. En exerçant chaque instant davantage de pression, les Tunisiens ont fini par faire fuir le dictateur et tomber son régime. Je n’arrivais pas à y croire, mais après ce qui s’était passé la veille et les conditions dans lesquelles j’avais quitté la prison, j’ai fini par le réaliser pleinement. Mon bonheur est immense : oui nous avons gagné. Toute la Tunisie a gagné. Jamais je n’ai passé un aussi merveilleux weekend. Et c’est là que j’ai reçu un coup de fil d’un haut responsable du Premier Ministère.
C’était pour vous proposer d’entrer au gouvernement ?
Tout à fait ! Alors que je ne m’y attendais pas le moins du monde, il m’a demandé, une demi-heure seulement avant l’annonce par Si Mohamed Ghannouchi de la composition du gouvernement, si j’acceptais d’en faire partie. Je ne vous cache pas que sans même y réfléchir, j’ai immédiatement dit oui.
Pour quelles raisons ?
Mais, c’était exactement ce que j’espérais le plus et qui commence à se réaliser. Toute la lutte pour la liberté d’expression, pour une Tunisie nouvelle, donne ses premiers fruits et on m’offre de participer à la concrétisation. Je n’ai pas le droit de refuser. Sortir de prison était déjà un premier signal montrant que l’affaire est devenue très sérieuse. Participer au gouvernement relève à mes yeux d’une véritable mission de laquelle je ne se saurais me dérober. Une rare occasion qu’il ne fallait pas laisser passer, si on veut se rendre utile et accompagner cette révolution.
Comment avez-vous pris vos fonctions ?
Une équipe de M6, avec Aida Touihri, m’a proposé de me suivre tout au long de la journée. J’étais invité à la Kasbah pour prêter serment. Evidemment, je n’y comprenais rien. Ce fut la folle journée de toutes les intox. Arrivé, je découvre mes nouveaux coéquipiers, mais aussi les lieux et les usages. Sur mon portable, je reçois pleins d’infos contradictoires dont des rumeurs disant que l’opposition se retire. Voyant que Chebbi et Brahim étaient bien là, je twitte immédiatement pour démentir l’intox. J’apprendrai par la suite que Moufida Tlaltli qui ne voulait prêter serment si l’opposition se retirait, a été alertée grâce à mon tweet par l’un de ses proches et c’est ainsi qu’elle était arrivée en toute dernière minute à la Kasbah. C’est fou ce que twitter, facebook et tous les réseaux sociaux ont été rapides et efficaces.
Je savais d’avance combien le problème de l’information et de la désinformation était de grande acuité en Tunisie. Tu pars de moins de zéro, sans aucune confiance dans aucun gouvernement, aucune crédibilité d’aucun média. D’où un grand problème en puissance 2. Il fallait s’y attaquer par une prise de parole systématique, une présence continue dans les médias et une communication en temps réel.
Comment a été votre premier conseil des ministres ? Vous avez tout twitté. Y avez-vous été autorisé ?
Pour moi, tweetter est le premier comportement. Je tweette tout, c’est ma vie. Je n’ai demandé l’autorisation de personne, car je n’ai pas l’habitude de le faire, pour la simple raison que souvent, dès que vous demandez la permission on ne vous l’accorde pas, vous trouvant mille et un prétextes pour vous en dissuader. Alors j’ai appris à prendre l’initiative, quitte à rectifier et corriger par la suite, si nécessaire. D’ailleurs, c’es ma philosophie. Même pour les médias, il faut les laisser exercer leur liberté en toute responsabilité, quitte à en répondre par la suite. Je n’aime pas la censure a priori. C’est ce qui nous a tués. Donc, du coup, j’ai tweetté en direct la première réunion, ce qui a produit l’effet qu’on connaît.
Et quelle a été la réaction du au sein du gouvernement ?
J’ai compris après que certains membres du gouvernement n’étaient pas à l’aise par ce direct, qui était fragmentaire, et n’exprimait pas la totalité des points de vue et des décisions. Il fallait donc mieux prendre note, puis, à la fin du conseil, balancer mes tweets. C’est que j’ai fait, d’ailleurs, lors de la deuxième réunion du conseil. Mais, mon vrai combat, le premier que j’ai engagé, c’est celui contre la censure, contre l’abus de pouvoir, de tous les pouvoirs.
Comment vous êtes-vous attaqué à la levée de la censure ?
On devait agir à la source même. Avec Sami Zaoui (Secrétaire d’Etat aux Technologies de la Communication), nous étions allés, dès le premier jour, rencontrer le ministre de l’Intérieur (alors Ahmed Friaa) qui nous avait immédiatement mis en contact avec deux responsables au sein du ministère Nous avions alors tenu rapidement une première réunion avec eux ainsi qu’avec les dirigeants de l’ATI et de l’ANSI. Nos cherchions à comprendre le fonctionnement du système pour pouvoir l’éradiquer. Ce que nous avons découvert, c’était que l’infrastructure technique était chez l’ATI et Tunisie Telecom, mais l’accès pour bloquer les sites était en fait aux mains du ministère de l’Intérieur et même de certains services de la Présidence de la République et de la garde présidentielle. Les décisions se prenaient à ce niveau et la censure s’exerçait en dehors de l’ATI.
Evidemment, Sami et moi avons indiqué clairement que cela devait cesser immédiatement. Mais, ce n’était pas totalement possible.
Il y avait de la résistance pour faire lever la censure ?
Non, mais pour des questions juridiques à régler. Nous avons posé comme principe que tous les sites conformes à la loi tunisienne devaient être libres d’accès. Cela excluait les sites illégaux : porno, incitant à la haine raciale, etc. Pour eux, c’était à la justice de se prononcer pour dé-censurer tel ou tel site. Principe convenu, la quasi-totalité de la censure a été levée, mais nous devons avoir un autre round pour l’éradiquer définitivement. Je devais revenir vers le ministre de l’Intérieur, Si Farhat qui m’avait paru ouvert, strict sur le respect de la légalité et attaché à l’éthique.
Vous avez eu l’occasion de rencontrer vos censeurs et ceux qui vous avaient interrogé ?
Oui, certains d’entre eux et sans rancune. Pour la censure, ce sont de hauts fonctionnaires qui faisaient le boulot qu’on leur avait demandé de faire, obéissant à des instructions. Mais, pour que cela ne recommence plus jamais, nous devons trouver des solutions. C’est ainsi que je réfléchi à la création d’un syndicat des travailleurs de l’Internet, afin de leur donner du pouvoir et leur permettre de s’opposer aux instructions inadmissibles. On doit s’y mettre.
Quant à ceux rencontrés lors de mon arrestation et les interrogatoires, eux aussi commis à ces besognes, j’en ai revu deux par hasard dans un café. J’en ai reconnu l’un et c’est le second qui m’a reconnu. Ce fut sans la moindre rancune. Je n’étais pas dans la confrontation, ils n’étaient pas mes ennemis, ils faisaient leur boulot. On s’est bien salué et promis de prendre un jour le café ensemble.
Comment appréciez-vous le rôle de la presse électronique tunisienne?
Elle a enregistré ces dernières années une excellente avancée et contribué à faire repousser les barrières. Le ton était autre que celui de la presse écrite et des médias officiels. En contact avec les internautes, les journaux en ligne essayaient d’avoir un ton plus libre, plus interactif. Ce qui est merveilleux, c’est que tous les nouveaux médias, stations radio et chaînes TV ont contribué, avec la presse électronique, autant que possible, à élargir les espaces de liberté d’expression, multiplier les débats et rendre compte d’autres news. Je citerai l'article sur la censure publié par Tunivision et censuré, l'émission de Nesma, interdite de rediffusion, etc.Tout cela a attisé la pression exercée pour hâter la chute du régime. Maintenant, l’adaptation doit être encore plus rapide pour accompagner et soutenir la révolution en marche.
Faudrait-il prévoir une législation spécifique pour la presse électronique, à l’internet ?
Je ne le pense pas. Je n’aime pas les législations spécifiques. Nous devons refondre le code de la presse et l’élargir, autour des principes de liberté et de responsabilité, à tous les médias.
Vous vous lancez dans la politique, aimeriez-vous y faire carrière?
Pas du tout. Je compte partir le plus tôt possible. En deux semaines, j’ai compris que la politique, ce n’était pas mon truc. Je vais essayer, dans ce laps de transition, faire le maximum possible. Je serai là pour faire aboutir cet élan vers l’organisation d’élections libres et transparentes et de contribuer d’ici là à des changements radicaux. Je vois tout à travers les réseaux sociaux. L’essentiel pour moi est de démanteler l’ancien système, de l’éradiquer pour qu’il ne repousse plus à jamais. C’est fondamental. Regardez ce qui commence à se faire au ministère de l’Intérieur, c’est impressionnant ! On doit le faire aussi partout.
Quelles sont vos priorités actuelles ?
Au sein du ministère de la Jeunesse et des sports, je m’attaque avec le Dr Aloulou à la question de l’emploi, recevant les jeunes, les écoutant et cherchant à leur trouver solution. J’essaye aussi de voir la question des maisons de jeunes qui sont dans un état souvent très délabré et de créer le maximum d’espace d’expression et d’épanouissement.
Avec Sami Zaoui, on doit étendre la couverture de l’internet à l’ensemble du pays, renforcer la connectivité, faire rouvrir les publinets. Il faut permettre à chaque tunisien d’accéder à l’internet de pouvoir s’y informer et s’y exprimer.
Je continue aussi à travailler sur la censure pour la faire disparaitre définitivement. J’aimerais aussi accompagner le travail des différentes commissions formées, surtout celle devant favoriser le nouveau processus électoral.
Seriez-vous candidats aux législatives ?
Je ne me porterai candidat à aucune élection. Ce qui m’importe le plus, c’est d’ancrer la réforme contre les malversations, la corruption, le détournement des deniers publics, la confiscation de l’Etat. Je milite pour plus de transparence, partout, j’œuvrerai pour l’instauration d’une open data pour faire sortir toutes les données, les mettre sur internet, même ceux du ministère de l’Intérieur (pour les statistiques et autres). Il va falloir permettre à tout un chacun d’accéder aux données personnelles qui le concernent, actuellement stockées sur des fichiers. Mes données personnelles, sont ma propriété, je dois avoir le droit de les consulter, de les vérifier et de les corriger, si besoin est. Si j’arrive à en convaincre le gouvernement, ce serait merveilleux.
Cette transparence et ce partage des données sont essentiels pour solder le passé. Je suis pour une grande réconciliation nationale. On ne peut pas juger tout le pays. Nous devons savoir aller de l’avant, cimenter la cohésion nationale, ouvrir une nouvelle page. Pour cela, nous devons nous expliquer, discuter et préparer l’avenir.
Où seriez-vous dans un an ?
Dans mon entreprise. Je reprends ma vie, mes projets, je participerai à des conférences dans mon secteur et je travaillerai sur les grands thèmes qui m’intéressent : l’avenir de l’internet, les nouveaux protocoles, le projet politico-social d’une nouvelle société internet, un nouveau système qui se bâtit autour de l’e-citoyen.
Que devient votre compagnon de lutte et de prison, Aziz Amami ?
Il reste dans la contestation. C’est son choix. Je le respecte, comme celui de Yassine Ayari. La nouvelle Tunisie nous unit.