Tunisie : le régime parlementaire n'est pas la solution
« La rédaction d’une Constitution implique des choix trop graves pour qu’ils soient faits à la légère ».
Habib Bourguiba, discours du 8 avril 1957.
La faveur dont jouit actuellement le régime parlementaire est aisément compréhensible. Le peuple tunisien a envie de tourner définitivement la page du despotisme, d’ouvrir un nouveau chapitre de son histoire, placé cette fois sous le signe de la démocratie. Tourner le dos au régime présidentiel, n’est-ce pas le meilleur moyen de conjurer le danger d’un retour de l’absolutisme présidentiel ? Evidemment. Mais raisonner de la sorte, c’est aborder le problème à l’envers. C’est passer à côté de la seule question qui vaille : le régime parlementaire, est-il adapté aux conditions politiques actuelles de la Tunisie ? Au risque de choquer, et de prendre de nombreux lecteurs à rebrousse-poil, il faut dire et affirmer avec force que l’instauration immédiate d’un tel système ferait courir de graves dangers à la Tunisie et risquerait de compromettre la Révolution.
Le régime parlementaire, pour fonctionner, a besoin d’un certain nombre de conditions. Qu’une seule vienne à manquer, et ce système devient presque automatiquement source de graves perturbations, synonyme d’instabilité ministérielle et de blocages insurmontables. Or ces conditions, aujourd’hui, ne sont pas réunies. Ajoutons d’emblée, pour couper court à certaines objections faciles, que, n’en déplaise à ses laudateurs, ce système ne constitue pas « une assurance tous risques » contre d’éventuelles usurpations. Loin s’en faut. Tout comme le régime présidentiel peut conduire au pouvoir personnel, le régime parlementaire peut dégénérer en régime d’Assemblée – ou en régime conventionnel.
Il n’existe ni Constitution ni système idéal, mais simplement des constitutions et des systèmes plus ou moins adaptés à des situations concrètes. Et rien n’est jamais figé. Nous essaierons donc, dans cette contribution, qui a aussi une visée pédagogique, de clarifier les termes du débat. Nous nous efforcerons de comprendre ce que l’on entend au juste par régime parlementaire, régime présidentiel, et régime mixte. Nous tenterons d’examiner les avantages et les inconvénients de chacun de ces systèmes. Enfin, nous essaierons d’identifier le régime le plus susceptible de convenir à la réalité tunisienne de 2011. Il ne faudra ni se tromper de diagnostic, ni se tromper de priorités. La fidélité à l’esprit de la Révolution suppose de s’attaquer aux défis sociaux qui ont engendré la Révolution. Le pays a besoin de réformes. Et il a besoin d’un gouvernement efficace et légitime pour les mettre en œuvre…
Le régime parlementaire, théorie et pratique
Historiquement inspiré du modèle britannique, il se caractérise aujourd’hui par le rôle prédominant du Premier ministre, qui exerce la réalité du pouvoir exécutif. Le chef de l’Etat est le symbole de la Nation, mais son rôle est, le plus souvent, purement honorifique. Le gouvernement est responsable devant le Parlement, qui dispose de prérogatives étendues, notamment en matière de contrôle. En théorie, donc, l’exécutif est subordonné au législatif. Le régime parlementaire est celui qui correspond le mieux à l’idéal démocratique du gouvernement par les représentants du peuple. Et aussi celui le plus apte à prévenir les abus et les dérives. Les ministres et le chef du gouvernement rendent régulièrement des comptes au Parlement, peuvent être interpellés et placés dans l’obligation de se justifier. Ou de se démettre. A l’inverse, en régime présidentiel, le chef de l’exécutif, irresponsable, n’a de comptes à rendre qu’à l’opinion, dont on connaît la versatilité et l’inconséquence, et la seule sanction qu’il a à redouter est une sanction électorale qui peut mettre plusieurs années avant d’intervenir. Le régime parlementaire, en vigueur dans la plupart des pays d’Europe et au Japon, est le seul système qui convienne aux monarchies constitutionnelles. Or, faut-il le rappeler, l’Espagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Norvège sont des royaumes, et le Japon un empire. En réalité, l’Italie et l’Allemagne sont - avec l’Inde -, les seuls exemples de grandes « républiques parlementaires ». Cette singularité s’explique essentiellement par le poids de l’histoire : traumatisés par le souvenir du fascisme et le nazisme, Italiens et Allemands ont préféré éviter d’instituer un président fort et choisi de cantonner leurs chefs d’Etat dans des rôles d’autorités morales.
L’instabilité ministérielle (ou gouvernementale) constitue sans doute le défaut le plus visible et le plus évident du parlementarisme. Mais c’est tout sauf une fatalité. Le système parlementaire pratiqué depuis les temps immémoriaux à Westminster s’est traduit, pour le Royaume-Uni, par une remarquable stabilité gouvernementale. Le système allemand installé par la Constitution de 1949, s’est caractérisé lui aussi par une stabilité enviable, qui a permis au chancelier fédéral d’affirmer son leadership. En revanche, la France des IIIème et IVème Républiques, et l’Italie, depuis 1948, ont vu les gouvernements se succéder à des rythmes effrénés.
Les conditions pour qu’un régime parlementaire fonctionne correctement sont au nombre de deux : un système de partis cohérent et un mode de scrutin adéquat. Pour gouverner efficacement, un Premier ministre doit s’appuyer sur une majorité stable et disciplinée. Or plus le nombre de partis représentés au Parlement est important, et plus faibles seront les chances de voir se dégager une majorité cohérente en faveur de l’exécutif. C’est parce que le jeu politique britannique se résume pour l’essentiel à un jeu de bascule entre deux grands partis antagonistes, les travaillistes et les conservateurs, que le système britannique a produit de si bons résultats sur la durée. Le jugement, à quelques nuances près, est également valable pour l’Allemagne, où les partis de gouvernement sont quatre mais fonctionnent traditionnellement par couples de deux (Sociaux-démocrates et Verts, Chrétiens-démocrates et Libéraux). Les antagonismes, moins marqués, rendent en outre possible la constitution de gouvernements de grande coalition CDU-SPD. A l’inverse, l’émiettement de la représentation nationale engendre presque mécaniquement une instabilité récurrente. Faute de pouvoir s’adosser à un bloc cohérent, le leader du parti arrivé en tête aux élections s’épuisera en tractations et en marchandage sordides avec les dirigeants des partis-charnières et des petites formations indépendantes, qui monnaieront leur soutien au prix fort. Même s’il réussit à obtenir son investiture, il vivra en permanence sous la menace de défections qui le priveraient de majorité. Il n’aura pas les coudées franches pour gouverner et sera dans l’impossibilité de procéder aux réformes courageuses qui s’imposent. C’est par exemple le cas en Israël, où les cabinets successifs sont, depuis une quinzaine d’années, otages des ultra-orthodoxes du Shass…
Le choix du mode de scrutin résulte d’un arbitrage entre deux impératifs contradictoires : l’impératif de représentativité et celui de gouvernabilité. Le scrutin proportionnel intégral, en vigueur en Israël, est le plus équitable : l’Assemblée sera « à l’image du pays », chaque parti y sera représenté à la mesure de son poids électoral. Mais il entraîne la fragmentation politique et peut inciter à la dispersion des voix. Il engendre, presque mécaniquement, des gouvernements de coalition, par nature faibles et instables. A l’inverse, le scrutin majoritaire va favoriser le « vote utile ». Il permet de dégager des majorités cohérentes, mais peut provoquer de très fortes distorsions dans la représentation. L’exemple extrême est celui de l’Angleterre : le candidat arrivé en tête le soir de l’élection (un seul tour de scrutin est organisé) est déclaré vainqueur même s’il obtient un score bien en-deçà de la majorité absolue. C’est un vote couperet. Un parti réalisant 40 % des voix dans toutes les circonscriptions du royaume pourra se retrouver avec 80 % des députés si ses adversaires réalisent chacun 30 %. Le scrutin de liste majoritaire à un tour, en vigueur en Tunisie jusqu’à la Révolution, se rapprochait fortement du système britannique. Le scrutin majoritaire à deux tours pratiqué en France, est moins brutal que la variante anglaise. Et il a le mérite de structurer et fluidifier la vie politique. Il incite en effet les états-majors des partis à négocier soit au moment de l’investiture des candidats, soit entre les deux tours de scrutin. La conclusion d’accords de gouvernement s’en trouve grandement facilitée. Ce mode de scrutin présente cependant un handicap : les partis importants mais isolés peuvent être laminés et privés de représentation nationale. L’autre problème, qui se situe en amont, réside dans le découpage électoral, qui peut avoir un impact considérable sur les résultats de l’élection…
Le régime semi-présidentiel, ou « mixte » : un compromis efficace
C’est l’Amérique de George Washington et de Thomas Jefferson qui a donné ses lettres de noblesses au régime présidentiel. Il s’est d’abord diffusé aux pays d’Amérique Latine, au sortir des guerres d’indépendance contre l’Espagne, avant de gagner l’Europe, puis de s’universaliser, après 1945, dans le sillage de la décolonisation. Il constitue aujourd’hui le modèle dominant, mais présente une infinité de variantes. Dans ce système, qui, pour être démocratique, doit reposer sur une stricte séparation des pouvoirs, le président, chef de l’Etat, est le chef de l’exécutif. Il dispose de larges prérogatives et tire sa légitimité de son élection au suffrage universel. Il n’a pas la faculté de dissoudre l’Assemblée et doit composer avec une justice indépendance. Une cour suprême, appelée aussi parfois tribunal constitutionnel, est instituée pour arbitrer les conflits qui peuvent surgir entre l’exécutif et le législatif sur l’étendue de leurs pouvoirs respectifs. La justice constitutionnelle, organe de régulation fondamental du système, a progressivement élargi le champ de ses attributions en s’arrogeant le droit de contrôler la conformité des lois à la Constitution, et s’est érigée en bouclier des droits des justiciables et des citoyens.
En pratique, le modèle présidentiel américain est aussi difficile à exporter que le modèle britannique du parlementarisme. Car l’équilibre qu’il instaure entre les différents pouvoirs est d’une extrême subtilité. Le risque de conflits, aggravé par la fréquence des cohabitations entre le Congrès et la Présidence, est récurrent, et le fonctionnement de la démocratie américaine constitue un « miracle permanent », miracle qui trouve son origine dans l’adéquation presque parfaite entre un esprit civique et les principes constitutionnels imaginés par les « Pères fondateurs ».
Le système en vigueur en France depuis 1958, qui, sur le plan conceptuel, s’apparente à un régime semi-présidentiel (ou « mixte »), est celui qui se rapproche le plus de la Constitution tunisienne de juin 1959. Il se caractérise par une dyarchie à la tête de l’exécutif, qui comporte un président et un Premier ministre, nommé par ce dernier, mais responsable devant le Parlement. Le président, qui dispose des prérogatives régaliennes et bénéficie d’un pouvoir de nomination étendu, est indépendant des partis et ne leur doit rien, car il tire sa légitimité directement du peuple, qui l’élit au suffrage universel. C’est un arbitre, mais un arbitre capable de faire prévaloir ce qu’il estime être l’intérêt supérieur du pays. Il est, pour reprendre les mots célèbres de Michel Debré, un des pères de la Constitution de 1958, « la clef de voûte des institutions et le juge supérieur de l’intérêt national. » Les pouvoirs que lui confère le système sont importants, et incluent le droit de dissolution. Leur étendue fluctue cependant dans des proportions considérables, selon qu’il existe ou pas une coïncidence entre majorité présidentielle et majorité législative.
Le risque d’usurpation et de dérive présidentialiste monarchique constitue, aux yeux de ses détracteurs, la principale faiblesse et le talon d’Achille de ce système. Il peut cependant être contrebalancé par une série de mécanismes institutionnels et politiques fondamentaux, connus, aux Etats-Unis, sous le nom de check and balances, « poids et contrepoids ». Ils ont fait la preuve de leur efficacité, puisque jamais depuis l’entrée en vigueur de la Constitution américaine, en 1787, aucun président n’a réussi à abuser de ses pouvoirs. Un jugement similaire peut être formulé au sujet de l’expérience française. Et, a contrario, l’honnêteté oblige à reconnaître que les mécanismes de la démocratie parlementaire n’ont pas réussi à empêcher l’avènement de Mussolini et Hitler…
La vertu, qui est aussi la qualité première du régime présidentiel à la française réside dans le fait qu’il prend en compte le critère de l’efficacité. Le président dispose des moyens d’assurer la continuité de l’Etat. Et il peut gouverner même en cas de blocage à l’Assemblée. Elaborées au sortir d’une crise de régime, les institutions de la Vème République ont permis à la France du général de Gaulle de mener à bien la décolonisation de l’Algérie et de l’Afrique francophone et de retrouver une place éminente dans le concert des Nations.
Quelles institutions pour la Tunisie démocratique ?
Que faut-il conclure ? Existe-t-il un type de régime intrinsèquement supérieur à l’autre ? Non. Chaque système présente des avantages et des inconvénients. Mais alors, comment choisir ? Tout simplement en partant de la réalité. En essayant d’imaginer la solution la moins mauvaise compte tenu de l’équation politique tunisienne. Et en gardant à l’esprit les objectifs de la Révolution. Certes, le parlementarisme a aujourd’hui le vent en poupe. Mais est-ce pour autant le système le plus adapté aux données fondamentales de la politique tunisienne ? Nous ne le croyons pas. Nous pensons au contraire qu’il s’agit d’une fausse bonne idée et même, disons-le tout net, d’une idée dangereuse.
Nous avons vu que pour fonctionner, le régime parlementaire suppose la réunion de deux conditions : un système de partis cohérent et un mode de scrutin adéquat. Nous n’avons, à ce stade, aucune information précise sur le mode de scrutin envisagé pour d’éventuelles élections législatives, ni sur le découpage électoral qui sera retenu. Or ces deux questions sont de la plus haute importance, surtout si nous orientons vers le parlementarisme et si toute la légitimité doit émaner de la chambre. Ces questions sont des questions préalables, et ne seront pas simples à résoudre. Elles donneront lieu à des affrontements vigoureux, à des polémiques passionnées. Supposons malgré tout que l’on parvienne à trouver des réponses satisfaisantes. Reste un second problème, plus aigu encore : l’état de notre système de partis.
La Tunisie sort de 23 années de dictature. C’est un désert politique. Elle compte heureusement, parmi ses fils et filles, des personnalités capables d’incarner la relève. Il faut leur faire confiance. Ces hommes et ces femmes sont mûrs, du moins faut-il l’espérer. Mais les partis tunisiens, le sont-ils ? Inutile de se voiler la face : la réponse est non. Qu’est-ce qu’un parti politique ? Une organisation possédant une identité, des orientations bien arrêtées, un corps de doctrine, des militants et des cadres, et des ramifications dans l’ensemble de la société et sur l’ensemble du territoire. Ennahda est la seule formation tunisienne présentant un vague air de ressemblance avec un mouvement de masse. Ce n’est pas un hasard si c’est aussi la seule à avoir exprimé franchement sa préférence pour le régime parlementaire. Car elle aurait tout à y gagner. Et cependant, ses dirigeants sont lucides : ils ont bien conscience que leur organisation, disloquée par la prison et l’exil, doit d’abord panser ses plaies et se restructurer de fond en comble avant d’espérer jouer un rôle de premier plan dans la Tunisie d’après la Révolution. Sa reconstruction prendra des mois, peut-être des années. Mais que dire alors des autres formations tunisiennes ? La plupart n’existent que sur le papier ou sont restées à l’état de groupuscules. Les partis de l’ancienne dissidence démocratique comptent quelques dizaines de membres, agrégés autour de leaders plus ou moins charismatiques. Le tableau n’est guère plus encourageant du côté des deux « partis de gouvernement » : le PDP compte entre 1000 et 2000 militants, et Ettajdid sans doute deux fois moins. Il y aurait encore les destouriens rénovés d’Al Watan regroupés derrière Mohamed Jegham et Ahmed Friaa. Qui sont-ils exactement, combien sont-ils, quels sont leurs moyens, sont-ils déjà opérationnels, quelle est leur ligne politique, quel rôle entendent-ils jouer, vont-ils tirer les marrons du feu, sont-ils du côté de la Révolution, ou aspirent-ils à une restauration qui ne dirait pas son nom ? A la vérité : nous n’en savons absolument rien.
La Tunisie, et c’est tout à fait compréhensible au regard de la situation, ne possède pas encore un système de partis digne de ce nom. Dans ces conditions, si, demain, des élections législatives étaient organisées, que sortirait-il des urnes ? A quoi pourrait ressembler la nouvelle chambre des députés ? Certainement à un magma extrêmement fragmenté, avec une multitude de partis représentés, beaucoup d’indépendants, difficiles à contrôler, et de phénomènes incessants de transhumance politique. Peut-on s’attendre, dès lors, à voir se dégager une majorité parlementaire solide et surtout pérenne ? Très probablement, non. Serait-il raisonnable, dans ces conditions, d’opter pour un régime de type parlementaire ? Non, en tous cas dans un premier temps, car ce système aurait toutes les chances de s’avérer impraticable. Le risque serait grand que le pays s’englue dans une crise politique interminable. Le blocage, qui ne manquera pas survenir, entraînera une paralysie des institutions. Partant de là, tous les scénarios deviendront envisageables, y compris celui d’un coup de force. La Tunisie n’est pas la Belgique, et notre pays ne peut vivre indéfiniment sans gouvernement. De profondes réformes économiques et sociales doivent être mises en œuvre, de toute urgence, pour répondre aux aspirations du peuple et de tous ceux qui ont offert leur vie en sacrifice et sont morts pour les idéaux de dignité et de justice. Nous n’avons pas le droit de trahir leurs espérances. Il faut un exécutif solide et cohérent qui soit en mesure d’impulser ces réformes, car qu’adviendra-t-il sinon ? La désespérance, qui fera le jeu des extrêmes.
Le choix d’un type de régime ne doit pas être affaire de dogme ou de religion. On ne transige pas sur les libertés et les droits fondamentaux. Mais on peut transiger sur les procédures. La solution la meilleure, la plus facile à mettre en œuvre et la plus efficace doit l’emporter. Au regard des données fondamentales de notre vie politique, le régime présidentiel, ou, plus exactement, le régime semi-présidentiel, mixte, dont le professeur Yadh Ben Achour parlait dans ses premières interviews, doit s’imposer. Une instabilité politique prolongée ruinerait les acquis de la Révolution. Or le régime mixte présente l’avantage de concilier les exigences d’efficacité et de démocratie. Bien entendu, nos institutions ne pourront être conservées en l’état. La séparation des pouvoirs devra être renforcée, tout comme les modalités de contrôle du Parlement sur le travail de l’exécutif. Si le poste de chef du gouvernement est maintenu, son titulaire doit pouvoir rendre des comptes sur son action. Et le cas échéant, être renversé par une motion de censure. Chacun serait dans son rôle : le Parlement, dans celui d’une instance délibérante et législatrice, et le Gouvernement dans celui d’organe d’exécution. Le président élu, véritable chef de l’exécutif, aurait, même en cas de crise ou de blocage, les moyens constitutionnels d’assurer la continuité de l’Etat. Et politiquement, même s’il ne possède pas la majorité à la chambre, il aurait toute la légitimité pour lancer les réformes économiques et sociales que le pays attend. Car ne nous y trompons pas : l’urgence, c’est les défis sociaux !
La solution que nous préconisons – le régime semi-présidentiel – est donc une solution pratique, réaliste et démocratique. Elle ne doit pas être mal interprétée ou caricaturée. Il ne s’agit pas de fixer une fois pour toutes la nature du régime tunisien. La Constitution, disait Habib Bourguiba, est une œuvre humaine, et, comme telle, susceptible d’évolutions. Rien ne nous empêchera, une fois que la fièvre sera retombée, une fois que les urgences de l’heure auront été traitées, et une fois, surtout, que la situation politique aura décanté et que les partis auront gagné en consistance et en cohérence, d’envisager sereinement un infléchissement parlementaire du régime. Mais procédons par étapes. Ne nous trompons pas de séquence et ne mettons pas la charrue avant les bœufs, car nous risquerions de le payer très cher.
Samy Ghorbal,
journaliste
A suivre – la semaine prochaine : « Une feuille de route pour la Constituante ».