Opinions - 02.03.2011

La relance de l'économie post-révolution : Les quatre leviers issus du peuple tunisien

Au lendemain de la révolution des tunisiens pour la liberté et la démocratie, le constat économique et social est assez édifiant. Le climat de confiance a été ébranlé suite à des décennies de pillage organisé par un clan qui n’a pas su mesurer la profondeur des séquelles qu’il causait au peuple dont il est issu. Un mélange de sentiment collectif d’injustice,d’impuissance et de désespoir à largement dominé dans toutes les couches sociales pendant les dix dernières années. Cette frustration a poussé un jeune de sidi Bouzid à faire l’impensable alors que des nations entière font encore écho de son triste acte héroïque. La lecture de l’histoire nous apprend que même si la liberté s’arrache et qu’elle ne s’offre pas, le prix à pays reste lourd de conséquences pour une nation déjà affaiblie par les requins des affaires sans scrupules qui pensaient régner indéfiniment sans partage et sans être inquiétés.

Aujourd’hui la situation économique, sociale et politique est fragile et le valeureux peuple tunisien ne doit pas se contenter de reconstruire, mais se doit bien de trouver les effets leviers qui lui permettront de bâtir une économie plus forte en réinventant de nouvelles façons de faires, de gérer et d’administrer. Un bon vent de nouveauté souffle visiblement sur pratiquement tous les domaines, alors que le peuple «dégage» fièrement le regard des oeillères imposées par le régime déchu. Ce peuple cherche à exprimer pacifiquement sa volonté d’exister, de s’affirmer et de participer à l’édification d’une économie plus prospère et d’une société plus juste. Cette affirmation se diffuse, avec peut-être, une forme de retour moderne aux valeurs ancestrales dans lesquels le peuple puise la légitimité de sa révolution.

Afin de redresser l’économie tunisienne, il va falloir changer de paradigme. Pour cela, il est possible de dresser le portrait de quatre profils issus du peuple tunisien. Ces profils constituent de véritables sources de développement économique. Ils sont constitués de personnes qui ont des attentent différentes, voir même, complémentaires.

Le premier profil peut être incarné par «le jeune chômeur diplômé». Ce profil, on le retrouve les cafés des banlieues et  surtout  dans les régions de l’intérieur où le chômage atteint et même dépasse aisément les 25% de la population active.

Ces jeunes ont des attentes simples : trouver du travail et se doter d'une expérience professionnelle rémunérée. Ce sont ces jeunes pleins de rêves qui seraient prêts à risquer leurs vies en tentant leurs chances dans l’immigration clandestine. Pourtant cette jeunesse pourrait bien jouer un rôle décisif dans la Tunisie actuelle. Cette catégorie sociale a besoin d’un soutien financier via les microcrédits et d’une formation d’appoint pour être en mesure de créer des micro-entreprises capables d’être viables et rentables à terme. Le succès de tels projets peut générer à terme de centaines de milliers d’emplois dans des secteurs d’activités à plus grande valeur ajoutée comme les petits métiers, le commerce équitable, les produit de terroirs, les produits agricoles bio, la transformation agroalimentaire labellisée, les services de proximités ou l’artisanat de qualité etc.

Le deuxième profil de tunisien peut être incarné par «l’employé (e) désabusé». Cet employé a la chance d’avoir un travail et l’illusion d’un salaire minimal, il remplit les administrations publiques qui sont en manque de ressources et d’initiatives. De guerre lasse, ils ont cessé depuis  longtemps de revendiquer leurs droits pourtant bien légitimes depuis long temps. Ces Tunisiens salariés ont des attentes spécifiques liées à leurs conditions de travail qu’ils veulent revaloriser. Quand aux employés du secteur privé, même s’ils sont mieux rémunérés pour la plupart, ils n’ont guère une meilleure qualité de vie face à l’exigence sans cesse croissante de leurs employeurs acculés par une économie mondiale de plus en plus féroce et compétitive. Comment demander à des employés, déjà mal payés ou surexploités, d’augmenter leur productivité sans que cela ne s’accompagne d’un véritable programme de renforcement des capacités par de meilleurs conditions de travail, par de la formation et de la motivation.

La troisième catégorie d’agents du changement, concerne « les hommes et les femmes d’affaires dupés». Cette catégorie d’agents économiques est probablement celle qui va pouvoir jouer un rôle décisif à court terme pour le redressement rapide de la situation économique du pays. Les entrepreneurs sont également des employeurs et des investisseurs. Si le climat de confiance se rétablit rapidement, ils pourraient sortir de leur réserve et dynamiser l’activité économique à l’intérieur comme à l’exportation. La sécurité et la confiance dans le système de gouvernance seront les éléments précurseurs de leur dynamisation. Ces Tunisiens ont été trop longtemps privés de l’exercice du libre marché où la qualité et le prix des biens sont les principaux régulateurs des marchés. Cette tendance a lourdement pesé sur la croissance économique du pays depuis de nombreuses années, certains économistes avancent que la Tunisie aurait perdu près de 2 % de croissance annuellement à cause de la corruption et de la concurrence déloyale. Ce chiffre est évidemment énorme si nous le comparons à la croissance économique française qui n’a été que de 1,5% en 2010.

La quatrième catégorie d’agents économiques, c’est «le Tunisien vivant à l’étranger». Aujourd'hui, un Tunisien sur dix est installé à l’étranger. Cette catégorie peut jouer un rôle non négligeable sur l’économie tunisienne grâce à des gestes simples comme celui de prendre des vacances en Tunisie ou de développer des affaires entre son pays d’accueil et son pays d’origine. Les Tunisiens à l’étranger peuvent également augmenter les montants de transfert de fonds vers leurs familles restées en Tunisie, ce qui est de nature à équilibrer les balances des réserves de devises étrangères et d'éviter une dévaluation massive du dinar tunisien. Ces gestes peuvent aussi créer des emplois et accroître les profits des entrepreneurs tunisiens grâce à la consommation.

Ainsi, une situation de stabilité politique et sociale pourrait ainsi inciter les mêmes entrepreneurs et les résidents à l’étranger à investir dans de nouveaux projets avec le soutien de l’État et des banques impartiales et prêteuses à des taux raisonnables. Ces investissements permettraient aux employés de pouvoir améliorer leur revenu et d’accroître leur niveau de vie, ils permettront également à ces mêmes entreprises de pouvoir recruter de jeunes chômeurs en quête de travail.

Plusieurs autres défis se posent également à la Tunisie, car si la productivité du travail augmente, se posera alors la question de la nécessité d’élargir significativement le marché tunisien à l’exportation, d’adopter une stratégie plus agressive sur les marché des biens et des services. Ceci ne peut se faire sans une volonté de toutes les parties de voir la Tunisie devenir un véritable acteur de l’économie mondiale basée sur la valorisation de la recherche et de l’innovation, sur le génie tunisien, et surtout, sur la force vive des jeunes diplômés d’où est sortie cette révolution qui continuent à résonner dans le monde des opprimés.

 Chakib ZOUAGHI
Professeur en économie et développement International
École de Développement International de Mondialisation
Université d’Ottawa, Canada

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1 Commentaire
Les Commentaires
B.Louati (économiste chercheur) - 09-03-2011 10:03

Vous avez oublier une catégorie implicite et sous-reconnu par la vielle génération .. n'oublier surtout pas que c'est une révolution de compétences LOCALES assez qualifiées ..

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