Elyes Jouini: Pourquoi ai-je démissionné ?
Mon départ n’est en aucune manière une marque de défiance, il est la marque de l’entrée dans une nouvelle phase au cours de laquelle les technocrates, dont je fais partie, se sont retrouvés de facto exclus de la négociation politique.
J’ai estimé, ainsi, de mon devoir de contribuer à redonner au Président de la République, les pouvoirs que la constitution refuse au Président par intérim. Puisque ce dernier n’a pas le droit de démettre le gouvernement, seule la démission des ministres peut lui redonner la main pour composer un nouveau gouvernement à l’image de la politique qu’il entend désormais mener.
Lorsque j’ai accepté de rejoindre le gouvernement c’était à la demande du Premier Ministre afin de contribuer à la nécessaire coordination entre les ministères concernés par les mesures économiques et sociales urgentes. Un gouvernement nouveau, hétérogène en parcours, en générations, en projets et qui devait avancer vite dans la réalisation de ses objectifs : assurer la transition démocratique dans un cadre économique et social apaisé.
Ce gouvernement a certainement échoué en matière de communication quant aux mesures qu’il a prises. Et pourtant, ce gouvernement a probablement pris en un mois plus de mesures, plus de décisions marquantes que nombre de gouvernements en plusieurs mois, voire en plusieurs années. Ratification des conventions internationales garantissant les droits de la personne et garantissant que si justice ne nous est pas rendue dans notre pays, il est désormais possible de faire appel à des juridictions internationales, aides aux familles les plus nécessiteuses, mise en place d’un programme d’aide à l’insertion des chômeurs diplômés, confiscation des biens acquis abusivement, protection de notre patrimoine inscrit au patrimoine universel,… tous les secteurs, emploi, justice, affaires sociales, culture,… ont été touchés.
Ce que nous n’avons pas pris en revanche, c’est la mesure de l’urgence en matière d’attentes politiques. Bien sûr la commission présidée par Si Yadh Ben Achour avait pour mission de proposer des solutions et de les discuter avec toutes les parties. Mais nous n’avons pas suffisamment communiqué sur l’agenda, les échéances, les options, les modalités de choix… A tel point que l’ensemble des mesures prises a été totalement brouillé par l’impatience politique. Une impatience à l'image de la fougue de cette jeunesse qui a porté la révolution, une impatience que nous n'avons pas su voir.
Cette situation de crise a conduit au départ de Si Mohamed Ghannouchi. La nomination de Si Beji Caïd Essebsi marque le retour du politique au premier plan.
Pour ma part, mon départ n’est en aucune manière, une défection. Je reste au service de mon pays, entièrement et totalement au service de mon pays et, en toute humilité, je continuerai, comme je l’ai toujours fait par le passé, à mettre au service de la Tunisie, mes compétences, mes réseaux et ma légitimité internationale acquise dans les champs scientifiques, économiques et financiers.
Elyes Jouini