Elyès Jouini pour des présidentielles à la veille de la Constituante, un débat national et un régime semi-présidentiel
Multitude prévisible des candidats par circonscription, absence de partis politiques à réseau structuré et au discours national sur les valeurs et local sur les spécificités, risque de prime au populisme en faveur ou du conservatisme ou de rupture radicale et montée des extrémismes: Elyès Jouini fait une analyse prospective qui l’amène à formuler des recommandations précises à propos du nouveau code électoral. Dans une interview accordée au journal La Presse, il appelle à l’instauration d’un débat public, préalable, sur les grands choix, l’organisation d’élections présidentielles à la veille du scrutin pour la Constituante et l’élection de tout ou partie des membres de la Constituante sur la base de listes nationales, en attribuant une grande partie des sièges dans le cadre d’un système électoral à une seule circonscription, la Tunisie tout entière.
A son avis pour « présenter une liste, il faut être en mesure d’obtenir un nombre minimal de signatures de soutien de personnes disposant du droit de vote » et « afin d’éviter l’éparpillement des sièges au sein de la constituante, il faudra également et très probablement mettre des seuils en dessous desquels une liste ne peut se voir attribuer de siège. Un seuil de 3 à 5% me semble raisonnable. » Quant au financement public, Elyès Jouini estime que toutes les listes devraient recevoir un soutien équitable de l’Etat mais il faut pour cela que ces listes soient suffisamment représentatives et en nombre raisonnable.
Sur la nature du régime à choisir, entre présidentiel qui a favorisé l’émergence de Ben Ali, et parlementaire qui a enfanté Hitler, il estime qu’il est nécessaire de mettre en place des contre-pouvoirs, et considère que « des régimes de type semi-présidentiels avec des procédures d’impeachment à l’américaine et de vrais contre-pouvoirs pourraient constituer, dans le contexte tunisien, un compromis idéal. »
A l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, Jouini attribue un rôle crucial. « Si l’on souhaite éviter que les débats ne s’enlisent, il faut être en mesure de les polariser autour de quelques options. Quelles sont nos valeurs nationales, quel est le socle constitutionnel, quels sont nos acquis, que notre nouvelle constitution se doit de préserver ? D’autre part, quels sont les grands choix à opérer? Voulons-nous un régime parlementaire, présidentiel, semi-présidentiel ? Quels contre-pouvoirs ? Puisqu’Ennahdha prône le modèle turc, faut-il inscrire la laïcité dans la constitution pour qu’Ennahdha puisse être, comme elle semble le souhaiter, l’AKP tunisien ? Il me semble que l’Instance supérieure devrait préparer les débats de la constituante pour faciliter son travail et rendre le délai de 6 mois réaliste. Elle devrait identifier les points de clivage clés dans l’élaboration d’une constitution. Quelles sont les valeurs de notre République ? Quel régime ? Quels pouvoirs du Président ? Ces points devraient être livrés très rapidement au débat public pour que chaque parti puisse se positionner très vite sur ces questions. Que l’on puisse, en quelque sorte, déterminer l’ADN de chaque parti et demain de chaque liste et que les partis, à leur tour, puissent décider de former plate-forme commune avec ceux qui partagent leur ADN.