"ET SI ON OSAIT LA TECHNOLOGIE " 1
Je ne vais pas parler de révolution, ni de démocratie, encore moins de la constituante ou du système de suffrage ou du développement économique et social, on n’a pas fini de parler de tout cela. Mon propos est d'aborder un sujet qui me tiens à cœur et qui mérite un débat au moins aussi important et surtout bien en phase avec les débats menés tambour battant sur les autres sujets. Il va de soi qu’en Tunisie on se trouve aujourd’hui dans une situation post révolutionnaire, ou l'unique perspective est la reconstruction globale du pays et de la société.
Pour aborder le sujet, je voudrais poser la question suivante: « Qu’en est-il de la technologie » ou encore « Si on osait la technologie » ? Je pose cette question comme préambule pour lancer un débat sur le rôle primordial qu’a joué et que pourrait jouer la technologie dans tout projet de construction sociale et présenter ce champ d’activité humaine comme un champ ou peuvent être solutionnés les problèmes inhérents à cette construction nonobstant les retombées économiques du développement technologique. Ce débat est à mon sens non seulement d’actualité [question de timing] mais aussi prioritaire. Cette priorité est dictée par le fait que pendant des siècles, nos sociétés étaient en marge des sciences et des technologies. Notre relation avec ces nobles activités humaines était limitée au mieux à des rapports mercantiles et de consommateurs passifs. Les sciences et technologies ont été pour nous un sujet de vanité historique ou d’une légère curiosité pour quelque chose qui n'est pas faite pour nous. Je ne vais pas [du moins pas dans cet article] répondre à cette question, je vais vous laisser le soin de le faire. Je vais juste me contenter de reprendre une analyse scientifico-économique faite il ya moins de dix ans par deux brillants économistes S.J. Dubner & S.D. Levitt et partager avec vous quelques exemples historiques et contemporains ou la technologie a apporté ou est à même d’apporter des solutions aux problèmes les plus ardus des sociétés humaines. Ce, pourvu que la technologie soit utilisé à bon escient et comme disait si justement Jean Salmon : « La technologie en elle-même n’est ni bonne ni mauvaise, cela dépend de l’usage qu’on en fait », traduisant ainsi la notion la plus noble du concept de l’innovation.
Une des victoires Historiques de la technologie
L’explosion démographique qu’a vécue l’occident à la fin du XIXème siècle a concerné les milieux urbains et des villes comme Londres, New York, Chicago et Paris ont vu leurs populations augmenter par millions surtout au cours des deux dernières décennies de ce siècle.
Ces grandes agglomérations souffraient de problèmes majeurs tels les taux élevés d’accidents liés aux transports, les coups élevés des assurances, la pollution de l’air par les émanations de gaz toxiques et les sérieux problèmes de santé publique qui en découlaient. Cette situation ressemble étrangement aux problèmes que vivent les mégapoles d’aujourd’hui et qu’on attribue à l’automobile. Seulement voilà le moyen de transport de ce temps était le cheval que beaucoup de nos contemporains voient comme un moyen de transport romantico-écologique. Partant du principe de la pensée non conventionnelle qui stipule que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être, Je vais essayer de vous prouver le contraire.
A l’époque dont on parle, le cheval servait à tous les types de transport allant de celui des hommes, à celui de tous les biens, en passant par les pompiers et les ambulances. Dans une ville comme New York on en comptait alors 200,000, soit un cheval pour 17 habitants. Le trafic était lent, les rues étaient toujours encombrées et la nuisance sonore tellement grande qu’on interdisait les chevaux autour des hôpitaux et des zones sensibles. Et il arrivait souvent qu’un cheval se blesse, et qu’on soit obligé de l’euthanasier. L’euthanasie se pratiquait sur place et la régulation des assurances à ce sujet ainsi que les coûts exorbitants de la levée des cadavres compliquaient le procédé à tel point que souvent on attendait que les cadavres soient putréfiés avant de les enlever. De plus, on relevait par année 200 morts d’hommes par accidents de chevaux soit 1 par 17,000 habitants alors qu’en 2007 on relevait 274 morts par accidents de voiture soit 1 par 30,000 habitants. Ce qui revient à dire qu’à New York en 1900, on avait environ deux fois plus de chance de mourir d’un accident de cheval. Ceci, en plus du fait qu'un cheval produit environ 12 kilos de crottin en moyenne par jour ce qui ramené au nombre de chevaux faisait une production de 2.5 millions de kilos par jour. La question qui se pose légitimement est comment on gérait cela? Avant l'explosion du nombre de chevaux, il existait un marché bien rodé ou les fermiers se le faisaient livrer à leurs champs comme fumier; mais avec l'augmentation de la population équine cela devenait ingérable. Ainsi, aux bords des rues et dans chaque terrain vague on voyait s'empiler des montagnes de crottin. En été, l'odeur pestilentielle était insupportable et à la saison des pluies des soupes de mélasse de crottin envahissaient les caniveaux et les sous sols des habitations. Si les maisons Newyorkaises sont bâties en hauteur c'est surtout pour échapper à ce fléau. Ceci avait pour conséquence la prolifération de moustiques, rats et autres vermines d’où une situation sanitaire des plus déplorable.
La situation dans toutes les cités à travers le monde était similaire et si préoccupante que l'agenda de la première conférence pour la planification urbaine qui s'est tenu à New York en 1898, était consacré sans succès, au dilemme que les villes ne pouvaient ni se passer de chevaux ni vivre avec.
C'est alors que le problème fut résolu non par une opération divine ni par le changement du mode de vie ou des mentalités comme préconisé de nos jours par le mouvement écologique de l'ancien vice président Américain, Al Gore. Le problème dans son intégralité a été résolu par l'innovation technologique. C'est en effet l'arrivée de la micheline électrique et de l'automobile qui a mis le cheval à la retraite. Ces deux moyens de transport étant nettement plus propres, plus silencieux et surtout beaucoup plus efficace. On est bien loin de penser que l'automobile a été un jour le sauveur de l'environnement. Je vous laisse juger des mutations économiques et sociales qui s'en ensuivies, tels les développements de l'industrie automobile et aéronautique et l'impact que cela a eu sur la notion de distance et les mouvements des personnes.
L'effet de Serre et le réchauffement global: Entre perception, faits scientifiques et solutions technologiques
Mais l'histoire se complique, voilà que la technologie qui a sauvé le XXème siècle est celle-là même qui mettrait en péril le XXème siècle. En effet, le carbone émis par environ un milliard de voitures et des milliers de centrales à charbon, pendant un siècle, est mis en cause dans le réchauffement global de la planète et les changements climatiques qui s'ensuivent. Le péril serait-il à nos portes ? Examinons scientifiquement quelques faits avant de conclure : D'abord au milieu des années 70 on s'alarmait non pas du réchauffement mais du refroidissement de la planète. En effet entre 1945 et 1968, il a été enregistré dans l'hémisphère nord une diminution moyenne de la température de 0,28 degré Celsius et l'ensoleillement d'un pays comme les Etats-Unis, avait diminué de 1,3%. La terre semblait prendre la direction d'un retour à l'ère de glace. La technologie qui était alors proposé consistait à couvrir les calottes glacière avec de la suie noire pour les faire fondre. Aujourd'hui la menace est à l' opposé. Même si la moyenne de l'augmentation de la température sur les cent dernières années n'est que de 0.7 degré Celsius [1.3 degré Fahrenheit], les climatologues s'accordent pour dire qu'on vit un réchauffement global du aux activités humaines sans vraiment préciser comment. Il est vrai aussi que les sciences relatives à la prédiction du climat sont très complexes. Ce ne sont pas des sciences expérimentales mais plutôt des sciences d'observations et d'analyses. Les variables sont nombreuses et même les modèles les plus sophistiqués n'arrivent pas à des niveaux de précision satisfaisants. C'est pourquoi, Il est communément admis de nos jours que ce sont les voitures, avions et autres moyens de transport moderne qui sont à l' origine de l'effet de serre par leurs émissions de dioxyde de carbone [CO2]. Cependant sachant que le méthane émis par les ruminants de tout genre [vaches, moutons etc…] si important dans la chaîne alimentaire humaine, est un gaz qui est 25 fois plus efficace pour créer l'effet de serre que le CO2, on peut facilement admettre que les ruminants du monde sont plus polluants que l'homme puisque responsable de plus de 50% environ de l'effet de serre que la totalité du secteur des transports. La solution technologique actuelle pour résoudre le problème des transports consiste à développer des voitures utilisant des formes d'énergie nouvelles ou alternatives telles les voitures électriques ou a gaz ou les voitures hybrides. Pour ce qui est du problème des animaux pollueurs, la solution pourrait venir des biotechnologies. En effet, le méthane étant un gaz généré par le métabolisme des ruminants à l'exception des kangourous; des biotechnologues australiens travaillent à répliquer la flore bactérienne digestive des Kangourous dans l'appareil digestif des autre ruminants de la chaîne alimentaire humaine. Il reste cependant deux faits indéniables, le premier est que les activités humaines ne sont à l' origine que de 2% de l'émission totale de CO2, le reste étant d'origine naturelle comme la décomposition des plantes. Le deuxième étant que le gaz majeur impliqué dans la formation de l'effet de serre est assurément la vapeur d'eau.
Boris Johnson, un vrai hérétique des paradigmes communs sur les problèmes de l'environnement, une fois maire de Londres, disait " La peur des changements climatiques c'est comme la religion dans son sens vital [peut importe quelle religion], elle est voilée dans le mystère. Elle sert notre besoin de culpabilité et auto mécontentement ainsi que le sentiment éternel de l'homme que les progrès technologiques seront punis par les dieux".
Il est certes difficile d'imaginer comment nous aurions évolué si on avait ignoré des technologies comme l'électricité, le téléphone, les antibiotiques ou la pilule contraceptive.
Pour poursuivre sur le problème du réchauffement global, continuons notre approche de l'observation et de l'analyse des faits et des solutions que les technologies peuvent apporter.
En 1991, le mont Pinatubo aux Philippines connaîssait une des deux éruptions volcanique les plus cataclysmiques du XXème siècle avec un index volcanique d'explosivité de 6 [VEI ou Volcanic explosivity index pour une échelle logarithmique de 0 à 8]. L'explosion a été si fulgurante que le sommet de la montagne s'est effondré formant une caldera et réduisant d'environ 300 mètres la hauteur du mont. Au cours des deux premières heures d'éruption 20 millions de tonnes de cendres de dioxyde de soufre furent projetés dans l'atmosphère et particulièrement la stratosphère à plus de 25 kilomètres d'altitude. Les pertes humaines se sont montés à 250, ce qui est relativement limité par rapport à l'éruption de 1912 étant donné l'ampleur de la catastrophe et ce grâce aux progrès technologiques de la volcanologie. L'institut Philippin de volcanologie et de sismologie ainsi que le centre américain d'études géologiques avaient en effet prédit l'éruption. Mais ce qui a attiré l'attention et qui a été rapporté dans la fameuse revue américaine Science, c'est que cette brume stratosphérique de dioxyde de souffre avait formé un écran solaire qui a réduit de 10% le niveau des radiations solaires qui atteignent la terre, ce qui a eu pour conséquence une chute de température de 0.6 degré Celsius dans l'hémisphère nord et de 0.4 degré Celsius globalement. La conclusion était qu'une seule éruption volcanique similaire à celle du Pinatubo en 1991, pourrait compenser le réchauffement anthropogénique global pour le siècle à venir. Les scientifiques savent qu'on ne peut pas compter sur des éruptions volcaniques à intervalle régulier pour traiter le problème du réchauffement. C'est pour cette raison que les observations et analyse des conséquences de l'éruption du Pinatubo ont servi de modèle [une sorte de blueprint] au développement technologique. Il existe aujourd'hui au moins une technologie éprouvée pour pouvoir envoyer dans la stratosphère des quantités contrôlées de dioxyde de soufre. On peut se demander pourquoi cette technologie n'est pas appliquée? La réponse à cette question réside dans la problématique du transfert de technologie qui est certainement la phase la plus complexe et la plus difficile dans la mise en œuvre des technologies. On aura surement à traiter du sujet si on devait oser relever le défi technologique.
Pour terminer temporairement avec le problème du réchauffement climatique, il faut noter que si la quantité de CO2 a significativement augmenté au cours des cent dernières années, en passant de 280 a 380 parties sur mille, elle reste bien en deçà du niveau d'au moins 1,000 parties sur mille d'il y a 80,000 ans, au moment de l'évolution vers les mammifères. Plus incroyable encore, c'est ce même niveau élevé de CO2 présent dans l'air qu'on respire si on vit ou on travaille dans un de ces buildings modernes où la consommation d'énergie est optimisée. Ce niveau élevé est établi par les ingénieurs de chauffage et de ventilation. Disculper en quelque sorte le CO2 du crime de pollueur universel permet de se concentrer sur les vrais coupables au lieu des complices.
Enfin si on revient sur le refroidissement observé dans les années 70, certains esprits éclairés avancent l'argument selon lequel la pollution de l'air par des particules lourdes issues des activités industrielles pendant les décennies qui ont précédé serait à l' origine de ce refroidissement selon le principe du nuage de dioxyde de souffre relâché par le Pinatubo. Partant de ce prototype de pensée non conventionnelle, Nathan Myhrvold, père du la Géoingénierie et certainement un des génies actuel de la race humaine, affirme, je cite " le réchauffement global qu'on observe actuellement serait le résultat d'une surintendance écologique " i.e. on aurait trop purifié notre air. Aussi surprenant que cela puisse paraitre le raisonnement scientifique est confort é par les expériences de la nature et l'argument est solide. C'est ce même Nathan Myhrvold qui a développé la technologie qui utiliserait des ballons d'hélium pour envoyer du dioxyde de souffre dans l'espace ainsi qu'une technologie tout aussi ingénieuse pour refroidir les océans en pompant les eaux glaces situées juste au dessous (30 mètres) de la surface surchauffée des océans et ce pour prévenir la formation des cyclones, tornades ou typhons.
La startup "IV" clinique technologique des maux des sociétés modernes
Dans un tout autre registre et pour faire face à des problèmes de santé publique, des solutions technologiques surprenantes voient le jour. Ainsi pour la malaria, une redoutable maladie infectieuse qui affectent environ 250 millions de personnes à travers le monde et provoquent la mort d'un millions de malades chaque année, il n'existe pas de remède ou vaccin efficace. La solution semble venir d'une technologie inspirée de la guerre des étoiles et qui a consisté à développer un laser qui dépiste les moustiques femelles qui sont responsables de l'inoculation du plasmodium, agent causal de la malaria. Le Laser distingue les femelles d'après la fréquence de battement de leurs ailes qui est plus faible que celle des males parce qu'elles sont plus lourdes, et les élimine sélectivement. La technologie a été essayée à échelle réelle avec le laser monté sur un drone, ce qui a permis l'élimination de millions de moustiques en une seule nuit. L'inventeur de cette technologie n'est autre que Nathan Myhrvold en association avec le biophysicien Laurell Wood. Tous les deux font partie d'un consortium d'inventeurs fédérés dans l'étonnante compagnie californienne privé " IV" dont Bill Gates est un investisseur et un membre actif.
On doit aussi à cette compagnie la technologie des imprimantes en trois dimensions qui a révolutionné la neurochirurgie et permis de sauver plusieurs vies. Pour le traitement chirurgical des anévrismes, cette technologie consiste à utiliser le scanner du cerveau pour produire par le biais de l'imprimante 3D, une maquette en plastique de l'anévrisme, ce qui permet au chirurgien de bien concevoir l'intervention et augmenter significativement les chances de succès. On dispose à ce jour de plus de 20,000 brevets d'inventions couvrants tous les domaines technologiques.
On pourrait continuer à énumérer les exemples où les technologies ont créé une différence positive ou portent un grand potentiel pour résoudre les problèmes inhérents au développement humain. Les exemples que nous avons passés en revue illustrent bien la grande capacité de la technologie à résoudre des problèmes qui semblent insolubles. D'ailleurs, si on s'accorde un flash back historique on peut aisément s'apercevoir que le progrès de l'homo sapiens [Homme sage ou homme savant] a été toujours concomitant aux progrès technologiques.
Maintenant pour recadrer la question posée initialement "Et si on osait la technologie", Il faut rappeler qu'il existe des problèmes communs à toutes les sociétés humaines alors que d'autre sont spécifiques à certaines, il conviendrait donc de rappeler que dans le cadre de la reconstruction post révolutionnaire d'un pays qui déciderait de relever le défi technologique, qu'il est fortement recommandé de focaliser l'effort technologique sur les problèmes spécifiques. Là et seulement là, on peut aborder la logistique et les stratégies et tracer le chemin de la mise en place. Et quand il y a la volonté, on peut toujours trouver les moyens : "Where there is a will there is a way". Dans sa tentative de conquête de Rome et sur le chemin des Alpes Hannibal [247-182 BC] disait " Aut Viam inveniam aut faciam" traduisez " S'il y a un chemin on le trouvera sinon on s'en créera un".
Prof. Med Dahmani Fathallah