News - 05.04.2011

Nos leaders et la communication en temps de crise

Comment les leaders doivent gérer et communiquer en temps de crise était le sujet d’une Conférence donnée par M. Lotfi Saïbi à l’Institut de Développement des Compétences des Hauts Fonctionnaires de l’ENA de Tunis le Vendredi 1er Avril 2011.

S’il est vrai que la fonction communication est l’une des fonctions principales d’un leader d’un gouvernement en démocratie qui se doit de communiquer, au peuple, les actions qu’il réalise à son profit lui permettant, ainsi, de suivre la réalisation du programme pour lequel il a été élu, M. Saibi a souligné qu’en temps de crise, cette communication publique n’est plus un luxe ni même une nécessité, elle devient une priorité. En effet, au cours d’une période de crise, les citoyens sont inquiets et ont tendance à rechercher l’information auprès de toutes les sources qui sont à leur portée, qu’elles soient formelles ou informelles, crédibles ou pas, ouvrant ainsi la porte aux rumeurs, désinformations, intox, etc. et s’engouffrant dans la spirale de la peur, de la panique et du sentiment d’insécurité, autant de situations que l’on a vu proliférer durant les jours et les semaines qui ont suivi le 14 janvier en Tunisie, et qui continuent, encore aujourd’hui, de polluer notre quotidien, d’une manière intermittente.

Autour de ces hauts cadres de l'administration publique tunisienne à l'ENA, tous leaders de leur organisation, M. Saibi a rappelé que communiquer en temps de crise ne s’improvise pas. Il faut tout d’abord réfléchir sur le contenu du message à véhiculer (quoi), sur le meilleur timing (quand), sur les moyens de communication à utiliser (comment), sur le lieu où sera effectuée la communication (où), sur la personne qui véhiculera le message (qui) et sur les raisons de cette communication (pourquoi).  Ainsi, lorsque Gueddafi choisit de prononcer son discours à l’endroit même qui a été visé par des bombardements américains en 1986, il transmet toute une symbolique de la résistance de la nation arabe contre l’impérialisme occidental et américain. Et lorsque le Président Syrien, Bachar Al Assad, met en avant sa conseillère, Bouthaina Chaabane, il montre que son régime favorise la parité et encourage la participation active des femmes dans la société, un message crucial devant les menaces extrémistes que certains craignent pour le nouveau monde arabe qui se dessine.

L’importance de cette communication publique en temps de crise, illustrée dans notre actualité par la nomination d’un professionnel  de la communication débauché du privé dès la prise de fonction de M. Béji Caïd Sebsi, a amené le conférencier à s’intéresser aux erreurs à éviter et aux facteurs clés de son succès . Les erreurs tout d’abord. On peut les synthétiser en cinq erreurs principales :

1.    Messages mixtes venant d’experts différents : En période de crise, les gens ne veulent pas choisir parmi des messages différents et contradictoires venant de plusieurs avis d’experts différents, ils veulent avoir le meilleur avis et des conseils quant à l’attitude et le comportement à suivre.

2.    Information communiquée en retard : Si vous ne donnez pas aux gens l’information dont ils ont besoin à temps, ils chercheront cette information ailleurs et d’autres personnes s’empresseront de leur donner des informations qui ne sont pas toujours dans l’intérêt général.  Le risque de manipulation par des opportunistes et des gens sans scrupules est ici bien réel.

3.    Attitude paternaliste : « Ne vous inquiétez pas, on s’occupe de vous » n’est pas la bonne stratégie à l’ère de l’information. Les gens attendent une information qui leur permette de tirer leurs propres conclusions. En tant que leader, il ne suffit pas de dire par exemple que la situation est dangereuse mais partager avec le public les informations qui vont ont permis, à vous,  de conclure que la situation est dangereuse. Traitez le public comme des adultes intelligents et ils se comporteront en adultes intelligents. Ne dites pas aux autres « Ne vous inquiétez-pas » mais donnez leur l’information qui leur permette de ne pas se sentir inquiets.

4.    Ne pas combattre les rumeurs et les mythes à temps : S’il y a une épidémie de grippe et qu’il y a une rumeur  qui dit qu’il n’y a pas assez de médicaments : Quel est votre système de veille qui vous permet de connaître les rumeurs qui circulent, par exemple à travers Facebook, et ce qui se transmet dans les médias. Avez-vous prévu quelle réponse apporter, à travers quels moyens et qui va répondre (ministre, directeur général, etc.) ?

5.    Lutte de pouvoirs et confusion : cette erreur peut être illustrée par l’exemple suivant : alors que le gouverneur d’une région tient une conférence de presse sur un problème de sécurité, le directeur général du ministère de l’Intérieur tient au même moment une conférence de presse sur le même sujet. Et ils font des annonces différentes. Les rôles et les responsabilités dans le cas de chaque type de crise doivent être ainsi délimités : un seul doit être responsable de la communication et les autres doivent s’aligner sur son discours.
 Une fois que les autorités publiques se seraient assurées, d’une manière continue et régulière, d’éviter ces erreurs, elles peuvent rechercher les facteurs qui font le succès d’une communication publique réussie. On peut également synthétiser ces facteurs en cinq points :

1.    Réaliser un plan de communication solide. Travailler à partir d’un plan de communication est très important car le public jugera le succès de votre opération à partir de votre manière de la communiquer au public. La rapidité et la consistance du plan de communication fait la différence.

2.    Etre la première source d’information : Il ne suffit pas que votre plan d’action face à la crise soit efficace. Il faut communiquer sur toutes les étapes qui ont été réalisées et très vite. Si la réalisation de ces étapes est longue, il faut intervenir au milieu de l’action pour dire ce qui a été fait, pourquoi cela a été fait, ce qui reste à faire dans le plan d’action, combien de temps cela prendra et quels sont les risques que cela comporte. Ainsi, il ne suffit pas de sauver des vies, il faut en même temps dire que vous êtes en train de sauver des vies.

3.    Exprimer de l’empathie dès le début de la communication : C’est le facteur le plus important car si les autres ne sentent pas que vous êtes empathique, ils n’auront pas confiance en vous et n’écouteront pas votre message. Mais l’empathie ne veut pas dire que vous sentez ce que l’autre sent ou que vous êtes d’accord avec ce qu’il dit. L’empathie veut dire que vous comprenez ce que l’autre ressent. Ce n’est pas de la pitié. C’est traiter l’autre avec justice et équité.

4.    Montrer sa compétence et son expertise. Communiquer votre grade et votre fonction lorsque vous vous adressez au public, sans pour autant réciter son CV, est important pour légitimer votre intervention dans une communication de crise.

5.    Demeurer honnête et ouvert. Traiter les gens comme vous aurez voulu l’être. N’essayez pas de leur dissimuler des informations même si c’est pour des causes nobles (les protéger). A l’époque d’Internet, cela ne sert à rien. Tout finit par être su, alors il vaut mieux que vous soyez la source . Ainsi, vous contrôlez la manière dont c’est dit et vous gagnez la confiance des autres.

Différents exemples illustrant ces différents facteurs de réussite ont été présentés tout au long de la conférence, des exemples puisés aussi bien dans le secteur public que privé, dans le contexte spécifique de la Tunisie ou dans les autres pays en plus bien sûr de l’actualité brûlante du nouveau monde qui se dessine où la guerre de communication occupe une place centrale.

                                                                                                                                                                                                     ABH