Ali Belhouane: une grande figure du 9 Avril 1938
La communication sur un événement historique a une importance cruciale sur l’image qu’une population se fait de l’événement ainsi que sur la constitution de sa mémoire collective. Cette communication lorsqu’elle est biaisée surtout au niveau des images diffusées, favorise une mémoire collective biaisée qui écarte certaines informations sur des détails historiques importants ou qui donne plus de poids dans les esprits pour certains personnages secondaires au dépend de personnages clés de l’événement.
C’est le cas des événements d’avril 1938, nous avons grandi avec une image sur ces événements qui a formé notre mémoire sur cet événement, chaque année à l’occasion de ces événements : les deux photos de Bourguiba, vue de face et vue de profil sont mises en avant sur tous les moyens de communication, alors que Bourguiba n’a même pas participé à cet événement historique d’une très grande importance, étant paraît-il malade. Comme nous nous constituons une mémoire et une attitude sur des événements grâce à notre mémoire visuelle, la population a eu tendance à oublier les deux principaux instigateurs des manifestations d’avril 1938 à savoir Mongi Slim et Ali Belhouane.
Les manifestations d’avril 1938 ont soulevé une question cruciale qui revient aujourd’hui après les événements de janvier 2011, c’est celle de la revendication d’un parlement tunisien, donc une remise en cause du régime de gouvernement colonial français qui optait pour un régime concentré au niveau du résident général (qui nous rappelle les deux régimes présidentialistes de Bourguiba ensuite de Ben Ali).
Rappelons ce qui s’est passé en 1938. Ayant eu des informations sur des réunions de propagandes du bureau politique du Néo-Destour, les autorités du Protectorat anticipèrent le mouvement en procédant à l’arrestation de Youssef Rouissi, Hédi Nouira, Salah Ben Youssef et Slimane Ben Slimane, accusés d’incitation à la haine raciale et d’atteinte aux intérêts de la France en Tunisie (accusations qui nous rappellent celles utilisées par les deux régimes d’après l’indépendance lorsque des révoltes éclatent). Le Néo-Destour organisa le 7 avril 1938 une manifestation de protestation groupant 2.500 personnes, devant le palais beylical de Hammam-Lif. Mongi Slim, membre du Conseil National du Parti put rencontrer le Bey et solliciter son intervention en vue d’obtenir la libération des responsables du Parti emprisonnés. Ne voyant rien venir, le Néo-Destour a décidé d’appeler à une grève générale, le 8 avril 1938.
Le même jour, deux grandes manifestations conduite par Mongi Slim et Ali Belhouane s’ébranlèrent de Halfaouine et du centre de la Médina, empruntant les principales artères de la capitale pour se diriger vers la Résidence Générale.
Outre les dirigeants du Parti, les militants, le mouvement scout tunisien, les organisations de jeunesse se joignirent à cette manifestation où l’on voyait partout brandies des pancartes appelant à la création d’un " Parlement tunisien ".
Devant la Résidence Générale où s’était massée une foule estimée à 80000 personnes menée par le leader de la jeunesse Ali Belhouane, (« Le leader Ali Belhouane : il a conduit 80 000 manifestants le 8 avril 1938 », Al Chourouk, 27 mars 2004) comparé au chiffre de janvier 2011 qui est de seulement 30000 personnes (moins de 2% de la population de Tunis) nous arrivons mieux à comprendre l’importance du leadership de Ali Belhouane puisqu’il a réussi à mobiliser plus de 20% de la population de Tunis, et harangua les manifestants en ces termes : " Nous sommes venus aujourd’hui démontrer notre force… Celle de la jeunesse qui ébranlera le colonialisme… Le Parlement tunisien ne sera créé que par le martyre des militants et les sacrifices de la jeunesse…. ". Pour la première fois, la femme tunisienne prit part à cette imposante manifestation .
Avant la dispersion des manifestants, Mongi Slim rappela, dans un discours, les revendications du Parti et annonça l’organisation d’une deuxième manifestation pour le 10 avril 1938. Entre-temps, Ali Belhouane fut convoqué par le juge d’instruction, le 9 avril 1938. Une foule immense se rassembla devant le Palais de justice. Les forces de l’ordre accoururent et sans crier gare, commencèrent à tirer en l’air dans le but de semer la terreur parmi les manifestants. Des heurts sanglants éclatèrent ensuite et se soldèrent par 22 morts et près de 150 blessés.
Le Résident Général se rendit auprès du Bey et promulgua une loi instaurant l’état de siège, à Tunis, Sousse et dans le Cap-Bon. Le lendemain, Habib Bourguiba et Mongi Slim furent arrêtés et traduits avec le reste des dirigeants du Néo-Destour devant le tribunal militaire pour complot contre la sûreté de l’Etat. Le Néo-Destour fut dissout le 12 avril 1938, ses locaux fermés et ses documents confisqués. Toute la presse nationaliste a été suspendue. Les militants du Néo-Destour entrèrent dans la clandestinité.
Chérifa Lakoua (petite-nièce d’Ali BELHOUANE)