Mohamed Ennaceur : pourquoi continuer à aligner les rémunérations sur celles des moins productifs
«Les grèves se sont multipliées par 250% et le taux de participation moyen s’y élève à 85%, voire plus. J’y vois la récusation de tout un système, l’interpellation sur le rôle régulateur de l’Etat et, surtout, la nécessité d’une nouvelle forme de relations professionnelles et de dialogue social, à la base, au sein même de l’entreprise. » Pour le ministre des Affaires Sociales, M. Mohamed Ennaceur, le diagnostic est clair : « il est inadmissible que des chômeurs, n’appartenant pas à l’entreprise, viennent entraver le travail des salariés et arrêter la production. Il est impensable, aussi, de voir certains travailleurs revendiquer, en surenchère, une prime de la révolution. Personne ne gagne à voir les débrayages se poursuivre et s’éterniser. La première demande, légitime, des chefs d’entreprises est de renforcer la sécurité et de recourir aux forces de l’ordre, mais cela, à lui seul, ne suffirait pas. Il faut trouver d’autres moyens et le meilleur n’est autre que cette forte cohésion des salariés autour de leur entreprise, cohésion fruit d’une parfaite entente avec la direction et d’une réelle implication, mutuellement partagée. »
Fort de sa longue expérience des relations professionnelles, M. Ennaceur a exhorté vendredi à l’IACE, les chefs d’entreprises à repenser leurs pratiques, associer les salariés à la réalité des comptes et enjeux de l’entreprise et s’assurer de leur mobilisation autour des objectifs assignés. « Productivité, compétitivité et rémunération sont trois maîtres-mots, a-t-il répété. Les salaires continuent à être administrés et tous les salariés sont alignés sur les mêmes grilles, souvent celles des moins productifs, sans motivation pour ceux qui fournissent le plus d’effort et se distinguent par le plus de productivité. Il est temps que les entreprises se conduisent en socialement responsables, avec plus de transparence de leurs états financiers et mieux d’information de leurs salariés. Le dialogue social ne se limite pas à l’UTICA et l’UGTT, mais doit s’instaurer au sein-même de l’entreprise. Il ne s’agit pas de co-gestion, mais d’implication, de motivation. »
La fibre sociale bien affirmée et la recommandation sage, le ministre Ennaceur poursuit son adresse aux employeurs : « les augmentations salariales ne doivent pas résulter d’un rapport de forces, mais de la productivité, indexée sur le coût de la vie, et en tenant compte de la compétitivité de l’entreprise pour garantir sa pérennité. » Et la, une révélation significative : « reprenant le ministère des Affaires Sociales, après 25 ans, j’ai été surpris par la disparition de l'organigramme du service normes de productivité et salaires. Avec des jeunes compétences tunisiennes devenus référence en la matière, on l’avait créé dans les années 70 et développé sans cesse pour nourrir la réflexion et surtout aider les entreprises et les salariés à bien convenir des normes de production et, partant, des rémunérations. Aujourd’hui, avec la disparition de ce service et l’éparpillement de ses équipes, nous ne disposons plus de cet outil fondamental et encore moins d’études fiables. C’est pourquoi, je viens de donner instruction au Centre d’Etudes sur la Sécurité Sociale de mettre en place rapidement une unité spécialisée et j’espère qu’avec le soutien de mon collègue le ministre du Développement régional, l’Institut National de la Statistique puisse inclure le recueil des données sur les salaires dans sa toute prochaine enquête. »