Pas d'égalité pour les femmes sans une autre Révolution
Dans l’histoire du monde, les révolutions les plus réussies ont vu la participation active de femmes militantes. Mais les révolutions n’ont pas toujours été tendres avec ces femmes. En 1789, les femmes françaises ont battu le pavé pour protester contre l’élévation du prix du pain et dénoncer les excès de la cour royale de Versailles, contribuant à renverser la monarchie. Mais malgré la puissance du symbole des tricoteuses, le conseil de la révolution a très rapidement banni les partis politiques et les associations tenues par des femmes. Le même phénomène s’est reproduit durant la révolution iranienne de 1979 après la prise de pouvoir de Khomeiny. L’idée a toujours été la même. Afin d’apparaître comme un mouvement ouvert et moderne, les leaders politiques ont toujours été favorables à la cause des femmes. Seulement, dès qu’ils prennent les rènes du pouvoir, ils réduisent les marges de liberté des femmes afin de satisfaire les conservateurs.
Mon propos ici est de démontrer que c’est seulement si les femmes accomplissent les trois étapes suivantes qu’elles pourront commencer un nouveau type de révolution dans le monde arabe et musulman :
1. organiser une campagne paritaire adressée à toutes les régions du pays et pour tous les niveaux d’éducation.
2. engager une campagne éducationnelle et informative afin de mettre en valeur la contribution des femmes dans la société.
3. définir la responsabilité des femmes dans un pays en cours de transition démocratique.
Dans le monde arabo-musulman, la situation des femmes tunisiennes peut difficilement être comparée à celle de leurs homologues, particulièrement dans les pays arabes. Elles ont bousculé depuis longtemps la rigidité de leurs traditions et gagné un statut qui fait d’elles, du moins sur le papier, les égales des hommes dans la plupart des domaines de la vie politique, économique et sociale. Ainsi, plusieurs d’entre elles sont instruites, ont un travail et sont financièrement autonomes et actives dans la société. Seulement, la situation favorable de ces privilégiées cache mal la situation désastreuse dans laquelle vivent encore une large frange des femmes tunisiennes, particulièrement dans le milieu rural. Et la libération de la femme tunisienne ne sera effective que si elle englobe toutes les femmes, quels que soient leur région d’origine, leur milieu social et leur statut familial.
Après la révolution de la dignité engagée par les jeunes tunisiens et les personnes défavorisées, une autre révolution doit voir le jour. Seulement, celle-ci ne nécessite pas de manifestations violentes. Il s’agit plutôt d’une révolution pacifique qui doit se faire dans les esprits et les cœurs de toutes les femmes. Elle doit commencer immédiatement et par celles qui ont activement participé au renversement de l’ancien régime de Ben Ali. Pour cela, ces femmes devront vaincre la peur qu’elles sont de plus en plus nombreuses à ressentir dans les rues de Tunis lorsqu’elles se promènent tête nue et habillées comme elles l’ont toujours été. Ce sentiment est le plus grand obstacle à leur liberté car il est ancré au plus profond d’elles-mêmes. Il ne s’agit pas ici d'expulser un despote et sa famille d’un quelconque palais mais de déloger l’héritage de siècles d’obscurantisme de l’esprit de leurs concitoyens. En effet, dans notre pays, des filles sont encore forcées de se marier contre leur gré, de travailler dans les maisons bourgeoises comme servantes à un âge où elles devraient jouer et étudier, de subir toutes sortes de harcèlements dont des abus sexuels de la part de leurs proches et des hommes du voisinage, des sujets qui demeurent tabous.
Il est de la responsabilité des femmes tunisiennes instruites et actives dans le milieu professionnel ou dans la société civile de se regrouper en communautés pour engager ce nouveau combat. Elles ne doivent pas se satisfaire du niveau intellectuel et financier auquel elles sont parvenues car leurs connaissances ne valent que si elles sont partagées par le plus grand nombre de femmes et non par une minorité d’entre elles. Malheureusement, je constate que les débats engagés par plusieurs de ces femmes sur Internet, dans les milieux favorisés et sur les campus universitaires sont bien éloignés des préoccupations de la femme tunisienne issue d’un milieu modeste. Ces débats me semblent concerner davantage un souci de préserver leurs privilèges qu’une réflexion sur l’extension des avantages dont elles ont bénéficié à l’ensemble des femmes tunisiennes.
Un bon endroit pour commencer les programmes éducatifs pour les femmes par les femmes est leur maison. Il ne faut pas, en effet, sous-estimer le fait que les maisons dans lesquelles se pratique la répression donnent des sociétés où se pratique la répression. Pensez un instant à un enfant qui grandit avec une mère opprimée et asservie, qui a renoncé à son droit d’être éduquée et de choisir entre travailler et rester à la maison, entre gagner son autonomie économique ou rester dépendante de son mari. C’est une préparation à une vie de despotisme et d’asservissement pour les générations futures, à une société totalitaire.
Afin de changer les mentalités d’hier, ces femmes doivent tout d’abord changer l’esprit des hommes et des femmes qui les entourent et ceci se fait à travers la culture et l’éducation. Non pas le système éducatif car nous savons tous qu’il a failli et qu’il a besoin d’être réformé. L’éducation dont il est question ici est l’auto-éducation et l’éducation one to one. C’est à chaque femme militante de parler et d’éduquer ceux et celles qui l’entourent sur ce que signifie l’égalité entre les hommes et les femmes dans une société.
Les femmes militantes doivent savoir que de pareils programmes éducatifs ne sont pas un luxe mais une nécessité qu’elles doivent commencer immédiatement si elles veulent capitaliser sur les anciens gains qu’elles ont obtenu. Ces femmes devraient peut-être tenir quelques sit-in et organiser plus de visites sur le terrain car il y a déjà plusieurs signes qui indiquent que le gouvernement actuel n’accorde pas aux femmes toute la place qu’elles méritent en tant que partie intégrante de la société et au vu du rôle qu’elle ont joué lors de la révolution. Il y a ainsi peu de femmes dans toutes les nominations qui ont eu lieu après le 14 janvier que ce soit dans le gouvernement, dans les régions ou dans les commissions mises en place. Les femmes militantes, si elles sont réellement leaders, devraient s’inquiéter pour tous les acquis qui sont les leurs durant les 50 dernières années, qui ont fait d’elles les femmes les plus éduquées, les plus progressistes et les plus indépendantes du monde arabe. Pour renforcer ces acquis, la mise en œuvre d’un solide plan de campagne est leur seule option. Et plus elles demeurent dans l’expectative, plus elles donneront la chance à leurs adversaires d’alimenter une vision qui est diamétralement opposée à la leur.
Lotfi Saibi