Les relations tuniso-françaises retrouvent leur sérénité ; la Tunisie invitée au Sommet du G8
«A mon arrivée, ce matin, le ciel était couvert de nuages, mais très vite, il s’est dégagé pour laisser la place à un temps printanier». S’agissant des relations tuniso-françaises, Alain Juppé préfère parler par paraboles.
Au terme d’une première journée chargée au cours de laquelle il a rencontré successivement le Président de la République par intérim, le premier ministre et son homologue tunisien, le ministre français des AE ne cache pas sa satisfaction.
Une aide de 350 millions d'euros
De toute évidence, les malentendus ont été dissipés. Lors d'une conférence de presse tenu mercredi, il annoncé qu'un effort important sera notamment consenti pour soutenir une économie encore en mal de relance. 350 millions d’euros devront être débloqués « rapidement » par le biais de l’AFD pour financer « des projets correspondant aux priorités du gouvernement tunisien, notamment dans les domaines de la formation, du chômage, et tout ce qui concerne la gouvernance » pour 2011/2012.
Alain Juppé a tenu à saluer « le grand mouvement déclenché à partir de Tunis et qui touche le monde arabe », et à exprimer « l'admiration et le respect » de la France « car il faut du courage pour secouer un régime autoritaire et policier ». Il n'est apparemment jamais trop tard pour soutenir une révolution populaire. Dans son opération de séduction, Alain Juppé a également transmis au Premier ministre tunisien une invitation du président Nicolas Sarkozy pour assister au sommet du G8 les 26 et 27 mai à Deauville.
Le sujet de l’émigration a été abodé au cours de ces entretiens : « une question, a indiqué le ministre français, extrêmement sensible des deux côtés de la Méditerranée, qu'il faut traiter d'une manière dépassionnée en essayant de dialoguer et de se comprendre mutuellement pour réaliser les objectifs établis à court et à long termes, notamment à l'effet de réduire les écarts de développement et les inégalités entre le Nord et le Sud ».
A ce égard, M. Juppé a indiqué que la France n'est pas un pays fermé. Ce n'est pas une citadelle ni une forteresse, a-t-il dit, relevant que son pays accueille, chaque année, 200 mille étrangers et abrite une communauté tunisienne de 500 mille personnes dont 13 mille étudiants.
Le ministre français a, en outre, déclaré qu'il est venu porter une invitation adressée par Nicolas Sarkozy, président de la République française, à la Tunisie pour assister à la réunion du G8 prévue à Deauville, à la fin du mois de mai prochain.
Dans la soirée, Alain Juppé devait rencontrer un groupe de bloggers.
Ci-après des extraits de la conférence de presse
Mesdames et Messieurs, je suis heureux de vous voir aussi nombreux. Ce doit être le troisième point de presse que je fais depuis mon arrivée et bien évidemment, c’est pour moi une grande satisfaction.
Je suis très heureux d’être ici. J’ai été accueilli avec beaucoup de cordialité par le Premier ministre ce matin, le ministre des Affaires étrangères et le président de la République, il y a quelques instants. Nous avons eu des entretiens officiels, un déjeuner sympathique dans la médina de Tunis où j’ai pu faire une petite promenade et où j’ai vu combien les Français étaient bien accueillis. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de croiser pas mal de touristes, ce qui prouve que le tourisme reprend, nous le souhaitons en tous cas.
J’ai eu l’occasion de dire à mes interlocuteurs combien la France était admirative de ce qui s’est passé ici depuis maintenant trois ou quatre mois, depuis le 14 janvier comme vous le rappeliez. C’est-à-dire ce grand mouvement vers la liberté, vers la démocratie, vers les droits de l’homme, qui s’est déroulé sans violences majeures et avec un sens des responsabilités qui fait l’honneur, je crois, du peuple tunisien.
Je sais bien qu’on nous a parfois reproché d’avoir mis un peu de temps à réagir. Nous avons été surpris. Qui ne l’a pas été ? Mes interlocuteurs tunisiens me disaient qu’ils l’avaient été eux-mêmes. Mais après un temps d’examen de la situation, nous n’avons pas hésité trente secondes et nous avons déclaré tout à fait publiquement que nous étions au côté de ceux qui se battaient pour nos valeurs communes.
Nous sommes bien conscients des difficultés qui attendent la Tunisie comme tout pays en phase de transition démocratique : difficultés économiques, difficultés sociales, difficultés politiques aussi. Et nous sommes là pour aider, non pas pour donner des leçons, non pas pour dire ce qu’il faut faire mais pour aider. Aider d’abord dans le cadre bilatéral et j’ai annoncé un effort particulier de l’Agence française de développement (AFD) de 350 millions d’euros qui pourront être décaissés rapidement, en 2011-2012, parce qu’ils seront affectés à des projets prioritaires pour la Tunisie : la formation de la jeunesse, la lutte contre le chômage, ainsi que les questions de circuits financiers, de gouvernance et de réhabilitation urbaine.
Nous agissons aussi à Bruxelles - et je me réjouis du succès des voyages de Mme Ashton et de M. Barroso, ici à Tunis - pour que les fonds européens soient pleinement mobilisés afin d’accompagner la Tunisie.
J’ai également fait part aux autorités tunisiennes de l’invitation du président Sarkozy à la Tunisie, pour qu’elle puisse participer, à Deauville, à la réunion du G8. Je pense que ce sera aussi l’occasion de mobiliser les grandes puissances économiques du monde pour accompagner les efforts de la Tunisie.
Voilà donc l’essentiel de mon message, un message de soutien, de confiance vis-à-vis de la Tunisie, et je crois qu’il a été reçu cinq sur cinq. Ceux qui se sont parfois inquiétés de la relation franco-tunisienne peuvent être rassurés. Il y a entre nous une telle affinité, pour des raisons historiques, pour des raisons économiques, pour des raisons humaines. Nous avons une très grande communauté tunisienne en France, de 500.000 personnes. Il y a aussi beaucoup de Français en Tunisie, j’en rencontrerai quelques uns tout à l’heure. Pour des raisons aussi politiques et économiques, cette relation ne peut pas casser mais, au contraire, elle reste extrêmement solide.
Question : Sur la Libye, vous avez rencontré des responsables libyens. Que peut-on faire pour essayer de dénouer cette situation qui paraît s’enliser ?
Réponse : Écoutez, il faut mesurer le vocabulaire. Nous sommes en Libye depuis un mois. Je trouve que le mot d’enlisement n’est pas approprié. Depuis combien de temps sommes-nous en Afghanistan ? Depuis combien de temps la FINUL est-elle au Liban ? Depuis des années pour ne pas dire toute une décennie.
Il y a un mois que nous sommes intervenus. C’est vrai que la situation au sol reste confuse mais nous sommes tous décidés, les pays de la coalition, les pays de l’OTAN, les pays de l’Union européenne, à accentuer la pression militaire pour déstabiliser un régime qui a perdu sa légitimité en tirant au canon sur ses populations. C’est difficile. Pour moi, la priorité, c’est d’arrêter les massacres à Misrata et nous avons fait passer des messages répétés à l’OTAN pour que des frappes aériennes permettent de neutraliser les armes lourdes qui sont utilisées contre la population de cette ville. Ce n’est pas facile. Il y a d’abord des conditions météorologiques parfois difficiles. Il y a aussi le fait que la tactique des forces pro-Kadhafi a changé. Il s’agit de petits véhicules, des pick up, qui s’infiltrent dans les banlieues de Misrata et qui compliquent les frappes aériennes puisqu’il n’est pas question de prendre de risques pour les populations civiles, bien entendu.
Donc, pression militaire, mise en application des sanctions et, en même temps, recherche d’une solution politique qui passe par un dialogue national réunissant autour de la table tous les acteurs de la société libyenne.
C’est ce à quoi nous travaillons dans le cadre du groupe de contact, avec, tout particulièrement, le Conseil national de transition. Vous savez que son président a été reçu ce matin par le président de la République française. Je viens de lire une dépêche qui indique que le Conseil de coopération du Golfe et l’Union européenne avaient reconnu le caractère d’interlocuteur privilégié du conseil national de transition. Nous allons donc les aider, parce que c’est finalement à eux d’être sur le terrain, pas à nous.
Nous n’enverrons pas de troupes de combat en Libye, d’abord parce que c’est en contradiction avec la résolution 1973 du Conseil de sécurité, ensuite parce que nous ne le voulons pas. Alors, il y a des conseillers militaires, britanniques, français, qui sont là pour conseiller, comme leur nom l’indique, en termes d’organisation et de formation, les autorités du Conseil national de transition, mais il n’y a pas de troupes de combat au sol.
Pardon d’avoir été un petit peu long sur cette question mais elle est évidemment fondamentale.
Question : Monsieur le ministre, que répondez-vous à ceux qui disent que la France n’était pas du côté de la révolution tunisienne à cause de ses relations avec l’ancien régime ?
Réponse : J’ai déjà répondu mille fois à cette question. Qui n’a pas eu de relations avec l’ancien régime ? Qui n’a pas eu de relations avec l’ancien régime libyen ? Qui n’a pas eu de relations avec l’ancien régime égyptien ? Les relations internationales sont ce qu’elles sont. Il y a des gouvernements en exercice et on travaille avec ces gouvernements, voilà ! C’est vrai, nous n’avons peut-être pas su suffisamment anticiper ce qui se passait en profondeur dans le peuple tunisien : le rejet de ce régime, l’aspiration à des libertés. Peut-être avons-nous manqué de perspicacité mais simplement, pour plaider la cause de la France, nous n’avons pas été les seuls.
Maintenant, ça c’est le passé, ne ressassons pas ces événements. Je crois qu’aujourd’hui, il n’y a pas la moindre ambiguïté, nous sommes au côté de la Tunisie et je peux vous dire que l’accueil que j’ai reçu a été sans aucune espèce de critique ou de réticence. Cela a été un accueil vraiment chaleureux, enthousiaste et désireux de coopérer plus que jamais.
Question : Monsieur le ministre, après un grand flou diplomatique et des relations franco tunisiennes assez tendues depuis le 14 janvier, comment réagissez-vous lorsqu’on vous dit que vous portez un peu l’étiquette de monsieur "calmer le jeu" ? Pourquoi votre visite en Tunisie a-t-elle pris du retard puisqu’elle était prévue avant le 9 avril ?
Réponse : Vous avez-vous-même répondu sur ces prétendues tensions. Vous savez, j’ai des collègues très efficaces qui sont venus sur des sujets techniques. J’ai choisi, je pense le bon moment pour venir, en fonction du calendrier des autorités tunisiennes et de mon propre calendrier, et je crois que c’est une visite qui est tout à fait bien reçue. Elle est en retard par rapport à votre propre calendrier, pardonnez-moi, mais pas par rapport au mien.
Question : À propos du dialogue sur la démocratie avec les islamistes.
Réponse : Le colloque auquel vous faites allusion a été un moment très fort parce qu’il nous a permis de réfléchir, tout au long d’une journée, à la signification de ce printemps arabe. Nous avons entendu des acteurs qui venaient du Sud, des Libyens, des Syriens, des Égyptiens, des Tunisiens, des Libanais, et j’en oublie sans doute. L’échange a été très fructueux.
Sur cette question de l’islamisme, je crois être clair. Qu’est-ce que c’est que l’islamisme ? S’il s’agit de mouvements politiques qui se réfèrent à l’islam, il n’y a rien de choquant à cela. Il y a eu en Europe des mouvements politiques qui se sont référés à la religion chrétienne, tous les mouvements démocrates chrétiens.
Au-delà, je constate que ces mouvements islamiques sont eux aussi traversés par des courants très différents. Il y a chez eux des extrémistes, comme partout, et je pense qu’il n’y a pas grand-chose à faire avec des extrémistes. Et puis, il y a au contraire des courants plus modérés, plus ouverts et qui, surtout, sont clairs sur le refus absolu de la violence et du terrorisme et sur l’acceptation des principes démocratiques et républicains. Eh bien avec ceux-là, il faut parler, bien entendu. Ce sont des interlocuteurs tout à fait légitimes et c’est ce que j’ai eu l’occasion de dire, samedi dernier à Paris.
Question : Est-ce que vous avez parlé avec vos interlocuteurs de la question des migrants tunisiens ?
Réponse : Oui, nous avons longuement parlé de cette question, à la fois avec le Premier ministre et le président de la République. Je crois qu’il faut la dépassionner. Il faut que chacun soit attentif aux préoccupations de l’autre. Nous comprenons les problèmes de la Tunisie et de beaucoup d’autres pays du Sud : cette immense jeunesse qui, parfois, n’a pas de travail et qui a envie d’aller travailler au nord de la Méditerranée. Il faut que vous compreniez nos propres difficultés : nous avons un taux de chômage élevé et nous n’avons pas toujours la capacité d’accueil de cette jeunesse du Sud.
Alors qu’est-ce que nous nous sommes dits ? Nous nous sommes dits que sur l’objectif à long terme, nous sommes d’accord. Quel est-il ? C’est de réduire les inégalités de développement entre le nord et le sud de la Méditerranée. C’est de permettre à la jeunesse tunisienne, comme aux autres jeunesses, de faire ce qu’elle a vraisemblablement envie de faire, c’est-à-dire de travailler au pays, de trouver du boulot ici, dans un cadre de liberté démocratique et de qualité de vie. C’est pour cela qu’il faut relancer l’Union pour la Méditerranée, donner à la Tunisie un statut avancé vis-à-vis de l’Union européenne, utiliser l’instrument de partenariat et de voisinage de l’UE. Bref, avoir une stratégie de développement à long terme.
Et puis, il y a le court terme. Le court terme, c’est la crise humanitaire qui est due en grande partie à ce qui se passe en Libye. Il y a eu 450.000 à 500.000 personnes qui ont franchi la frontière. Vous savez que la France, avec d’autres, a organisé un véritable pont aérien et maritime pour ramener une grande partie de ces populations en Égypte, dont elles étaient originaires. Il y en a certaines qui sont parties en Italie et là, il y a un problème que nous sommes en train de gérer avec nos amis italiens et aussi avec les autorités tunisiennes.
Deuxième point d’accord : l’immigration illégale. L’immigration illégale est une calamité. Calamité pour le pays d’accueil, calamité pour le pays de départ, calamité pour les personnes concernées parce qu’il s’agit d’une traite, d’une forme d’esclavagisme. Donc, il faut lutter contre l’immigration illégale. Nous sommes d’accord là-dessus et nous sommes prêts à aider nos amis tunisiens à renforcer les contrôles aux frontières, comme ceci a été décidé il y a quelques jours.
Et puis il y a l’immigration légale et je crois qu’il faut qu’on en discute. Pour ce qui me concerne, je pense qu’il y a des formes d’immigration légale qui ne doivent pas être réduites. La circulation des étudiants, en particulier, me semble une opération gagnant/gagnant, pour reprendre un vocabulaire à la mode. Accueillir des étudiants tunisiens en France, c’est bon pour leur formation, et donc pour la Tunisie, et c’est bon pour la France aussi parce que les Tunisiens qui passent un an en France, sauf cas exceptionnel, reviennent amis de la France.
Alors on va essayer de développer tout cela. Je le répète, en parlant pour trouver des solutions et non pas en s’invectivant. Je suis persuadé qu’on peut y arriver et M. Guéant est tout à fait disponible pour en parler aussi.