La France peut-elle contribuer à un printemps économique tunisien ?
Tous les amis de la Tunisie se sont réjouis d’y voir naître ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler le « printemps arabe », qui s’est ensuite, comme le battement d’aile du papillon de Lorentz, transformé en ouragan démocratique au Maghreb et au Machrek.
Mais si la naissance de la démocratie est une merveilleuse surprise, la définition et la construction des voies et moyens de son renforcement, sont tout aussi importantes. Il appartient évidemment au peuple tunisien de les élaborer, particulièrement, dans le domaine constitutionnel et politique. Il a hâte d’exercer ses droits civiques. Mais le renforcement de la démocratie passe aussi par le lancement rapide de projets économiques susceptibles de redonner espoir d’emploi et de développement aux jeunes.
La France et, avec elle, l’Europe, doivent apporter leur écot à cette « nouvelle économie ».Elles y ont un intérêt économique évident. L’Union européenne va avoir des besoins massifs de main d’œuvre à horizon de vingt/trente ans. Les pays du Maghreb sont historiquement, géographiquement et culturellement, la « source » la plus naturelle de ces migrations vers l’Europe. Mais cette migration doit prendre place dans un co-développement, qui réponde à ces besoins de l’Europe, sans ponctionner les compétences nécessaires aux économies du Maghreb en « re-développement ».Surtout, l’ émigration doit cesser immédiatement d’être ce drame récurrent des boat-people de Lampedusa .
Il existe d’abord une complémentarité énergétique, centrée sur l’Algérie pour ce qui est du gaz et du pétrole. Mais elle peut s’étendre à l’énergie photovoltaïque, qui serait si utile à la Tunisie, au Maroc, mais aussi à l’Egypte, la Jordanie, la Syrie. Complémentarité technique ! Les pays d’Europe possédant les technologies et peuvent en faire bénéficier les pays méditerranéens dépourvus de pétrole. L’idée serait de lancer, en Tunisie, un grand plan industriel à double portée. D’une part, avec l’aide de la France et de l’Allemagne, installer une ou plusieurs entités de production des matériels photovoltaïques et /ou éoliens. D’autre part, viser à équiper tout le territoire sous vingt ans.
Si un plan d’aménagement du territoire doit être redéfini, il devrait sans doute l’être selon ce principe : produire l’énergie « le plus près possible » d’où on la consomme. Principe qui vaut aussi pour tous les pays développés, s’ils veulent progressivement « sortir du nucléaire ». Ainsi des panneaux solaires, des éoliennes, alimenteraient électriquement un village ou un quartier et l’appel au réseau existant, relié à un nombre réduit de centrales au fuel ou au gaz, permettrait de lisser les fluctuations cycliques du vent et de l’ensoleillement.
En second lieu, il y a une évidente complémentarité agricole entre Europe et Maghreb. Elle fonctionne déjà assez largement. Il appartient au nouveau gouvernement de définir une nouvelle politique agricole, incluant, bien sûr, une nouvelle politique foncière. Les agronomes tunisiens ont une longue tradition de coopération avec les agronomes français. Les conditions sont donc réunies pour que cette complémentarité agricole s’amplifie.
Compte tenu du développement irréversible de la consommation « bio » en Europe, c’est dans cette direction que la Tunisie pourrait se constituer une ou deux niches bien ciblées sur certaines productions, à la condition que le gouvernement tunisien fixe des règles très strictes de certification des sols et des pratiques, avec des contrôles sérieux.
En troisième lieu, il y avait une forte complémentarité industrielle dans le domaine textile. Malheureusement, les productions asiatiques, après avoir détruit le textile européen, ont porté un coup très dur au textile tunisien. Mais le balancier fait un léger retour, sous trois effets.
D’une part les industries asiatiques vont progressivement se retourner vers leurs marchés intérieurs. Une sorte de « fordisme » est en cours d’installation en Chine.
Surtout, les réassortiments, comme les changements de collections de plus en plus fréquents, s’accordent mal avec la distance Europe-Asie. Enfin le « très bas prix » a ses propres limites. Même si l’effet Giffen, comme disent les économistes, ne joue qu’en faveur des biens de luxe, on se rend compte que la multiplication des magasins d’habillement « chinois » dans les centres-villes européens, nuit à tous les commerces. Peu à peu le consommateur européen, et notamment français, se rend compte que la robe ou le « jean » à10€, ne peuvent être tout à fait « normaux ». Il y a place pour une renaissance – limitée, mais certaine- du textile tunisien, sans doute autour des entreprises qui ont survécu, si elles peuvent accueillir les machines modernes. Ce n’est pas là un axe « porteur d’avenir », mais au moins un relais temporaire pour l’emploi, avant qu’une nouvelle industrialisation ne crée les siens.
En quatrième lieu, une complémentarité « scientifique » naturelle peut aussi s’établir entre France et Tunisie. De nombreux jeunes scientifiques tunisiens ont été formés en France. Souvent, d’ailleurs, ils ont dû ensuite, comme les marocains, aller chercher des postes « post-doc » aux Etats-Unis ou au Canada. Si le nouveau gouvernement tunisien parvient à « rapatrier » un certain nombre d’entre eux, les Universités françaises – enfin rénovées !- , comme les centres de recherche, pourraient fort bien installer en Tunisie quelques laboratoires incluant leurs recherches dans des programmes français, en accord avec le gouvernement tunisien qui se réserverait une partie des retombées.
En cinquième lieu, le développement de la Tunisie passe certainement par la promotion de la place financière de Tunis. Par sa position géographique, par les liens qu’ont déjà tissés les banques tunisiennes avec les banques européennes, notamment françaises et italiennes, par sa bourse, où opèrent de jeunes financiers de talents, Tunis a certainement vocation à se développer comme foyer financier de la méditerranée. Notamment comme foyer de banque et d’assurance respectueuses des principes religieux de l’Islam ! L’Université de Tunis devrait d’ailleurs développer un ou plusieurs mastères dans ce domaine, et devenir ainsi, elle-même créatrice de valeur ajoutée économique.
Enfin, bien sûr, il est prioritaire de relancer le tourisme. Certains estiment que ce n’est pas une activité d’avenir. Trop tournée, jusqu’à présent, vers le bas de gamme, sa rentabilité, dit-on, est restée très insuffisante, l’Etat, par les banques qu’ils contrôle ou avait mises sous tutelle, couvrant les pertes, durant les « mauvaises années » . Ces mauvais résultats étaient d’ailleurs souvent amplifiés par une gestion qui frôlait l’abus de biens sociaux, les propriétaires faisant assumer par l’exploitation de certains hôtels des dépenses personnelles souvent somptuaires.
Il reste que, dans la « dotation en facteurs » naturels, le littoral tunisien, le climat, les vestiges romains, les paysages du sud, sont des atouts qu’on ne peut évidemment pas négliger.
Après avoir décidé rapidement de la réappropriation par l’Etat de certains hôtels, le Gouvernement doit donc relancer rapidement l’activité touristique à destination des français et des autres européens. L’Etat tunisien pourrait d’ailleurs lancer une grande campagne de promotion en Europe.
Mais ensuite, il conviendrait que dans le cadre d’un plan audacieux soient programmés deux « mouvements ». En premier lieu une élévation en gamme, car la concurrence est vive dans ce secteur autour de la méditerranée. En second lieu, un élargissement des zones et activités touristiques vers d’autres sites que la côte, avec mixage des séjours détente- culture. De tels « produits » ne s’adressent pas tout à fait au même public qu’auparavant. Ce changement accompagnerait judicieusement la montée en gamme.
Ce sont là quelques pistes pour relancer une économie tunisienne déjà assez développée, mais au profit de bénéficiaires trop peu nombreux. Contrairement à l’opinion trop fréquente, le régime politique dictatorial qui vient d’être renversé, qui avait pu, à ses débuts, rassurer des investisseurs craintifs, avait fini, depuis une décennie, par être un frein. En cas de succès l’obligation de « partager » avec un petit groupe de « cleptokrates » était devenu un obstacle. Il est aujourd’hui levé. La Tunisie démocratique doit trouver aisément un appui fort et amical en France pour son nouveau développement.
Ali Meddeb
Directeur Allianz France
Jean Matouk
Professeur des Universités
Ancien dirigeant de banques
Mohamed Ali M’rad
Fondateur & Président
Albakia Assurance