L'insoutenable légèreté de nos décideurs
Une énième bourde vient entacher l’action, dynamique il faut le reconnaître, de ce gouvernement : La nomination de délégations spéciales municipales fort peu représentatives de la géographie civile, associative et politique locales le tout sur fond d’opacité des critères de sélection et de nominations.
Comme parfois dans l’action gouvernementale, le fond est respectable mais la forme calamiteuse. Sauf que la période est mal choisie pour se planter à répétition.
La dissolution compréhensible des conseils municipaux annoncée se voulait un signal fort montrant une rupture avec les anciennes pratiques et avec ceux et celles qui les perpétuaient encore.
Sur le fond, rien à dire. L’initiative se devait d’être saluée.
Mais cette décision courageuse a été peu et mal communiquée.
Mais l’appel aux candidatures est resté quasi confidentiel malgré une volonté de le rendre public.
Et l’opacité quant aux délais de dépôt des candidatures, aux critères de sélection et de choix ont discrédité cette action opportune et divisé encore plus les différentes parties.
Chronique d’une situation conflictuelle annoncée, générant, encore, l’incompréhension, l’appréhension, la colère et une protestation légitimes.
Il m’a paru intéressant de partager mon vécu afin de contribuer à plus ou mieux éclairer une situation…kafkaïenne.
Car il se trouve que mon nom figure sur la liste du conseil de la Marsa.
La question m’a été posée des dizaines de fois. Comment as-tu fait pour « en être »?
Cela m’amène à expliquer les raisons ainsi que le parcours de ma candidature.
Combien de fois ai-je entendu ma mère et ma grand-mère soupirer en passant devant le palais beylical de la Marsa, désolées par l’abandon de ce monument historique et architectural. Ma mère y est née et elle ne peut encore à ce jour comprendre pourquoi tant d’indifférence vis-à-vis de l’histoire, de son histoire et in fine de notre histoire.
Combien de fois me suis-je souvenu- en courant aujourd’hui sur les plages bétonnées, sales et polluées de ma ville- de nos baignades à la tour blanche il y a quatre décennies dans une ambiance familiale, amicale, saine, sur une plage propre et accueillante.
Combien de fois, avons-nous râlé sur les routes défoncées, l’urbanisme sauvage et inique, la dégradation des mœurs, les conditions peu reluisantes dans lesquelles vivent les Marsois rive gauche, l’acharnement criminel sur nos forêts, la haine des arbres et sur tant d’autres plaies béantes de cette ville ?
Au cours de chaque jogging, des décennies durant, j’i échafaudé des plans pour unifier les façades, tailler les arbres, nettoyer et dépolluer nos plages, réparer les routes, restaurer les magnifiques monuments et bâtisses, animer les citernes de la Malga… et rassembler tous les marsois autour d’une ville, d’un projet et d’un vouloir vivre ensemble .
Préserver la richesse inestimable de cette ville à vocation balnéaire au départ, en faire une perle et un exemple à suivre était systématiquement le rêve, que dis je l’utopie qui m’accompagnait dans mes courses solitaires.
Ajoutez à cela la passion que vivais mon père en dirigeant, entre autres, la mairie de Kairouan et qui nous la communiquait à chaque instant et vous aurez les ingrédients de ma motivation.
Et puis le miracle et l’utopie sont redevenus possibles, l’espoir était permis de nouveau après notre libération.
J’ai fait donc acte de candidature auprès de la wilaya de Tunis pour être membre de la délégation spéciale de la Marsa appelée à prendre le relais avant les élections municipales. J’ai appris la dissolution des conseils à travers Face book comme tant d’autres.
Je passerai sur la difficulté quant au dépôt d’une candidature : la municipalité qui ne sait pas de quoi il en retourne, la Mootamadia encore moins puis l’atterrissage au gouvernorat de Tunis dont les abords gardés filtrent sévèrement l’accès.
Puis, apprendre la navigation rapide et erratique à travers les méandres d’une administration redevenue courtoise mais dont la logique nous reste encore, un peu, impénétrable.
Mais j’avais un rêve à transplanter dans la réalité et j’ai pris ces petits tracas comme la petite peine nécessaire à son accomplissement.
J’ai finalement et assez rapidement été reçu par le Mootamad awal , un ami marsois, avocat, m’accompagnait dans ma démarche.
Après les palabres d’usage et l’étonnement de notre interlocuteur de l’engouement pour la Marsa, il a inscrit nos noms sur une liste déjà noircie par les candidats. Nous avons même eu droit à un café !
Ce fut tout. Un bonheur !
Il suffisait donc désormais de faire acte de citoyenneté pour que les choses se fassent, la réalité encore plus belle que le rêve. Nous sommes sortis étourdis et ivres par une liberté et une citoyenneté redevenues normes.
Et puis les listes sont sorties sur le JORT.
J’ai connu un court moment de bonheur à la parution de la liste de ce conseil de la Marsa dans laquelle figurait mon nom. J’allais désormais contribuer pour une courte durée certes à l’organisation de la vie de ma cité.
Las, dans les minutes qui ont suivi la publication officielle de la liste Marsoise, l’incompréhension, la stupeur et la colère éclataient au sein de sa population puis s’étendaient sur la toile avec le lot devenu habituel des contre vérités, des amalgames et des diffamations.
« Ennahda a fait main basse sur la Marsa ». « Le RCD confisque la municipalité et j’en passe.
Autant de spéculations, de doutes voire de certitudes qui ont vite fait de jeter le discrédit non seulement sur toute la liste mais aussi sur les ministères concernés et la gouvernance de ce pays.
Pourquoi un tel gâchis ? Encore et encore ?
L’examen peu approfondi de cette liste nous montre qu’une bonne douzaine de ceux qui y figurent ont fait partie de près de l’ancien régime et ont activement participé à l’édification du système qui prévalait avant.
Les relents de cette période, à tort ou à raison peu importe, incommodent notre odorat libre depuis très peu. Et tout le monde le sait ! C’est même la raison de la dissolution de ces conseils municipaux !
Pourquoi une telle incohérence alors ?
Je refuse de croire, encore, au caractère délibéré de cette provocation car le « Namous Eddaoula » qu’évoque si El Béji Caïd Essebsi ne peut s’en accommoder.
Il ne reste plus que la solution de la légèreté. L’insoutenable, l’inacceptable légèreté de cette décision.
Eh bien, cette insupportable légèreté devrait être sanctionnée et sévèrement. Et communiquée clairement à tout le monde que diantre !
Car cela ne fait que diminuer le « « capital confiance » accordé à la gouvernance nationale, au sein de la population. Et cela fragilise notre pays ! Vous n’en avez pas et nous n’en avons pas le droit !
Car cela discrédite les bonnes volontés indépendantes et leurs patronymes et cela n’est pas acceptable.
Car cela montre l’autisme et l’aveuglement probable de la chaîne de décision. Et il est grand temps que cela cesse !
Car cela monte les uns contre les autres encore plus. Et par les temps qui courent, nous avons besoin de rassembler plutôt que de diviser.
Enfin, car cela retarde le travail colossal qui doit être entrepris dans les municipalités. Et cela contribue à nous enfoncer dans un chaos que les citoyens refusent !
Au départ, une volonté de bien faire.
A l’arrivée, des habitants mécontents et défilant dans les rues, des personnes diffamées, d’autres vilipendées encore, l’incurie du pouvoir exécutif encore mise à jour et un conseil municipal cloué au pilori et immobilisé avant même d’avoir franchi le portail.
Qui dit mieux en termes de productivité?
Dr Walid Alouini