La rude épreuve
- Le processus politique de transition démocratique vient de subir une rude épreuve ces derniers jours. Il est sérieusement altéré par une crise politique et sociale sur fond de régression économique ; la responsabilité incombe à plusieurs facteurs et acteurs: La situation objective, d’abord d’une économie essoufflée frôlant le seuil zéro de croissance, mais aussi la confusion politique aggravant les peurs et la crise de confiance de tous. Les forces occultes de l'ancien régime sont toujours agissantes certes, mais sans croire à la théorie du complot, certains partis politiques ont joué le pourrissement de la situation et crient aujourd'hui à l'urgence des élections après avoir tout fait pour les retarder. Certains corps constitués jouent actuellement la fronde face à la faiblesse d'un gouvernement qui est trop isolé et faible pour pouvoir gérer à lui seul une crise d'une telle envergure. La symétrie disjonctive entre les trois principaux acteurs (gouvernement, instance supérieure et partis politiques), supposés être en synergie pour assurer la transition empêche ainsi la formulation d’une convergence politique convaincante pour le pays.
- La question sécuritaire cache l'effervescence sociale et les frustrations réelles d'un mouvement qui a fini par bousculer le processus politique même; la priorité des tâches politiques tend à être remise en cause par les doléances sociales grandissantes. Toute solution politique passe désormais nécessairement par une prise en compte des urgences sociales et par la mise en place d’un organisme ou d’un mécanisme de concertation large, efficient et convaincant.
- Les partis politiques font du surplace; au delà des déclarations de principe sur la nécessité d'une alliance à laquelle ils souscrivent sur un ton déclaratif sous l'insistance des composantes de la société civile, ils veulent se préserver « intacts » en attendant d'être plébiscités par des élections, sans s'impliquer courageusement dans la gestion d'une crise qui risque de tout emporter y compris les élections mêmes. Le front est avant tout une dynamique unitaire et non uniformisante et qui se rend visible à travers actions communes et tâches concrètes.
- L'appel des instances représentatives des forces de police constitue un signe fort qu'il faudrait saisir pour ouvrir une brèche dans le mur épais qui empêche tout dialogue franc et porteur entre la société civile et la principale institution répressive de l'Etat de ben Ali; ce dialogue est d'autant plus nécessaire que l'heure est aux propositions pour une refonte de l'Etat et des ses institutions. De l'ancienne équation: la justice au service de la police, nous voulons passer à une nouvelle équation démocratique: la police citoyenne au service de la justice. Abolir l'unicité du corps même en rattachant la police judiciaire directement au ministère de la justice, en instituant la police municipale rattachée directement aux municipalités, en recyclant des corps entiers de l'ancienne police avec la contribution des associations civiles et ONG; bref, restructurer le Ministère de l'Intérieur dans sa configuration actuelle dans une perspective de refonte des institutions de l'Etat vers une déconcentration des institutions et leur démocratisation.
- la question du maintien des élections à leur date initiale fait l'objet paradoxalement d'une unanimité de façade ; en effet, toutes les instances sur scène veulent laisser endosser la responsabilité d’un éventuel report à la seule commission des élections nouvellement élue, alors que tous savent, gouvernement, partis politiques, membres de l'instance supérieure, responsables des associations et médias que le minimum de temps nécessaire dont a besoin la commission pour organiser matériellement des élections générales, libres et transparentes est d'au moins 22 semaines à partir de la date de sa mise en marche; or la focalisation sur la date du 24 juillet constitue un défi réel en rapport avec les attentes et les impatiences citoyennes légitimes et en même temps une lourde responsabilité pour tous ceux qui s'en réclament mais qui ne font rien pour donner au citoyen une meilleure visibilité des perspectives électorales et de l'importance des tâches constitutionnelles.
La question est donc : faudrait-il maintenir les élections à cette date devenue emblématique, quitte à ce qu’elles se déroulent dans l’opacité dont personne n’en veut, ou bien se donner encore un temps raisonné afin de donner plus de temps à ces nouveaux partis qui éclosent, à cette société civile qui se restructure, et surtout au citoyen qui n’arrive toujours pas à se situer dans ce paysage politique encore nébuleux ?
- Les foyers actifs de la société civile se définissant principalement par des tâches concrètes et des appels de veille démocratique ont tout intérêt à avoir plus de réactivité par rapport aux peurs légitimes des citoyens, sinon ils risquent de devenir la caisse de résonance fade d'une classe politique plus déterminée par ses calculs électoralistes que par les exigences du moment.
La critique vigilante et l’action citoyenne sont la devise du moment, agissons en direction des citoyens, répondons à l’appel des instances représentatives des forces de police, appelons le gouvernement à une meilleure réactivité avec les attentes des gens, demandons aux partis politiques plus d’engagement citoyen et moins de calculs partisans et aux associations de la société civile plus d’initiatives sur le terrain jusqu’au fin fond du pays ; jusqu’au cœur des problèmes.
Abdelhamid Largueche