Quand Ennahdha deviendra t-elle un parti comme les autres ?
2011 est d’ores et déjà une année exceptionnelle pour le mouvement Ennahdha. C’est l’année du trentenaire, l’année de la sortie de la clandestinité après des années de répression et de la légalisation. Sera-t-elle aussi l’année du triomphe électoral, comme l’espèrent secrètement les militants ? Pour le moment, les dirigeants d’Ennahdha savourent leur revanche : « Ben Ali n’est plus là, le RCD n’est plus là, par contre, notre mouvement est bien présent et ne s’est jamais aussi bien porté », commentera Hamadi Jébali, jeudi, lors de la réunion de présentation du logo du parti.
« La Tunisie a changé. Le monde a changé », n’a cessé de répéter le Secrétaire général du mouvement au cours de cette réunion. Pourquoi dès lors, « le parti ne changerait-il pas ? ». Ce changement pour Ennahdha se décline sous différentes formes : « nous voulons être un parti moderne dans sa gestion, dans son fonctionnement interne, dans les prises de décision », dans son identité visuelle à travers le nouveau logo : un aigle déployant ses ailes prêt à s’envoler formant un cercle avec des feuilles d’olivier avec au milieu une étoile rouge représentant les cinq piliers de l’islam et au dessous le nom du parti et sa devise : Liberté-justice-développement. Changement aussi dans le look de ses cadres et de ses militants. Ils avaient fière allure ces dirigeants bon chic bon genre, rasés de près, la mise bien soignée avec, à l’extrémité de la tribune, une jeune demoiselle prénommée Asma, au visage avenant comme celui que voudrait se donner le parti avec sa chevelure bouclée, son jean et son gilet modern fashion. Se doute t-elle un instant qu’elle est en train de servir d’alibi à un parti qui, quoiqu’il dise, n’a pas encore fait sa révolution copernicienne en matière d’émancipation féminine, et de bien d'autres sujets en s'en remettant à tout propos, à un seul référant, "essalaf essalah", en continuant à discriminer les femmes dans ses meetings, en envisageant à demi-mots la légalisation de la polygamie, en multipliant les petites phrases quitte à se déjuger, aussitôt, devant la levée de boucliers qu’elles provoquent à propos notamment du travail des femmes, de la mixité, de la séparation entre l'Etat et la religion et de bien d’autres questions. Asma n'en a cure. Son engagement au sein d’Ennahdha « est mûrement réfléchi et n’a été pris sous aucune contrainte parce que les valeurs qu'il défend sont aussi les miennes», soutient cette maîtrisarde en criminologie devant des journalistes incrédules.
En excellent dialecticien, Hamadi Jébali essaye de rassurer, faisant face au feu roulant des questions des journalistes avec beaucoup d'habileté sans pour autant emporter la conviction de son auditoire. Il est vrai que l’assistance, où la gent féminine était bien représentée, était décidée à lui porter la contradiction en se référant à des cas précis comme la multiplication des excommunications ????? décrétées par des internautes se réclamant d’Ennahdha sur facebook, les agressions contre les femmes dans les lieux publics, le hiatus flagrant entre la rhétorique et la pratique. Le dirigeant nahdhaoui désavoue, invoque le manque de discipline de certains militants, sauf qu’au détour d’une phrase, il évoque les «thawabet», les constantes, un terme suffisamment vague pour autoriser tous les abus, toutes les volte-faces, toutes les dérives
Le parti des 30000 prisonniers. C’est en ces termes que Hamadi Jebali qualifie son parti pour rappeler la répression, bien réelle, qui s’est abattue sur lui depuis les années 80. Cela n’est pas sans rappeler « le parti des 76000 fusillés » comme les communistes français aimaient à se présenter au lendemain de la 2ème guerre mondiale. Le PCF a mis 61 ans (sans tenir compte du Front Populaire où il s'était contenté d'appuyer le gouvernement Blum et du court intermède de la libération de 45 à 47) pour devenir un parti de gouvernement au prix d’une révision déchirante. Cest exactement ce qu'on demande aux Nahdhaouis et non pas un simple toilettage, destiné à donner le change aux électeurs. Sont-ils en mesure aujourd’hui de changer réellement en reléguant leur vieux rêve d'instaurer un Etat islamique fondé sur la chariaa ? Pour le moment, force est de constater que si changement il y a, il n'a pas dépassé le stade de la réthorique. Et ce ne sont pas les déclarations contradictoires de leurs dirigeants, ni les pitreries du Cheikh Mourou qui s'est découvert une vocation de chanteur ... en langue allemande qui vont nous rassurer.
Khalil Omrane