Les migrants de Lampedusa : Une micro société reflet des concussions et forfaitures de l'ancien régime
A vrai dire cette question des « migrants, fils de Ben Ali » ne semble plus ou presque intéresser l’opinion publique et les médias. Après une brève période où ce « drame humanitaire» a fait la une des journaux et de l’actualité télévisuelle, avec son cortège d’horreurs, de lamentations, d’indignations, un lourd et assourdissant silence semble s’être abattu et retomber sur nos compatriotes.
Une actualité chasse l’autre, nous dira-t-on, dans ce monde de fast-food, de speed-dating, et de l’info-kleenex rien de plus normal.
Cependant cette question des « migrants » mérite que l’on s’y attarde quelques instants, tant elle soulève d’interprétations erronées, de parti-pris, et au final d’indifférence largement partagée.
Qui sont-ils ?
Dans sa version primaire, les bonnes âmes et moralisateurs de tout poil tendent à accréditer l’idée qu’il s’agit de voyous, de voleurs échappés de prison, ou de suppôts des basses œuvres du régime déchu. Cette interprétation superficielle, car il ne faudrait pas nier que certains (en très petit nombre) entrent bien dans les catégories susnommées, conduit fatalement et inexorablement à la conclusion qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent. Ce qui frappe dans ces raccourcis, c’est bien l’objectif sous-jacent, inavoué, parfois inconscient, de surtout ne rien faire. Cette « position » bien plus communément admise qu’il n’y parait de prime abord se décline, bien entendu, sous différentes perceptions auto-justificatrices :
Ils salissent l’honneur du pays, incultes, ils se comportent de manière indigne.
Dans une version plus intellectualisée, ces migrants seraient le « lumpenprolétariat » sans conscience, pas très loin de la lie de l’humanité, abrutis et irrécupérables.
L’opinion, et singulièrement la communauté tunisienne de France n’est pas très loin de partager cette « vision uniforme », au pire, elle est donc indifférente, au mieux, elle consent à quelques gestes d’assistance immédiate, vite oubliées. Bonne conscience oblige.
La réalité est bien entendu plus complexe, cette nouvelle migration ressemble à si méprendre à une fraction du peuple des zones les plus déshéritées, abandonnée à son sort depuis plus de 20 ans et qui pour « survivre » s’est pliée, sans autres moyens d’y échapper, aux jeux des malversations : « rashwa partout » disent-ils, acceptant, bon gré mal gré, de subir et d’infliger à leur tour, en silences avilissements, bassesses, flétrissures de ce tout petit reste de dignité et de respect de soi que tout être humain ressent au plus fort de l’ignominie à quelque endroit qu’il se situe sur cette terre.
Autant dire que toute approche moralisante, distinguant les bons et les mauvais, souffre douleur des uns et tourmenteurs des autres, comme séditieux et résignés est vouée à l’échec de l’entendement et de la raison. Un peuple, où une fraction ce celui-ci, ne se découpe pas. Reste qu’il y a bien des responsabilités, des mécanismes qui enferment les volontés.
Ce que nous avons pu voir tout au long des deux longs mois (pour eux) passés à leur côté est une simple demande de reconnaissance : le droit à un travail, le droit à un petit chez soi, la possibilité toute simple de faire comme tout le monde : vivre, se marier, fonder une famille.
Ce droit le plus élémentaire leur est refusé, alors même qu’ils sont prêts à tous les sacrifices. Travaillant tôt comme manutentionnaires et ayant gagné 70€, nombre d’entre eux en envoient 50 à leur famille. Reconnaissant leurs limites et leur méconnaissance, beaucoup souhaitent repartir du bon pied, pour les moins armés de petits boulots, pour d’autres rejoindre des cursus de formation qualifiante et professionnalisante.
Face à ce déni de simple citoyenneté, honteusement accepté par une fraction de la communauté tunisienne, vilipendée et décriée par une autre…demeure un gouffre : celui de l’absence d’une réelle solidarité active sur le terrain de leurs préoccupations immédiates comme d’avenir.
Il n’y a bien évidemment pas de solution humanitaire à une telle crise humanitaire. Mais l’on pouvait s’attendre à un élan plus fort de cette « fraternité tunisienne ». Des pressions plus fortes sur les gouvernements tant français que tunisien : les partis sont muets. Une mobilisation d’entraide…en lieu de quoi …quelques malheureuses associations sans moyens et une poignée de bénévoles se démènent tous les jours (pharmacie ambulante, inscriptions individuelles dans les centres de formation) pour sauver ce qui peut l’être encore.
Ne vous méprenez-pas, il ne s’agit pas de charité, ni de compassion condescendante, mais bien plutôt, d’un engagement conscient de ces esseulés dans quelque chose encore diffus qui ressemble plus à -déjà- un vivre ensemble.
Peu de nos compatriotes d’ici comme de l’autre côté de la méditerranée, a contrario d’autres communautés dont nous tairons les noms et qui nous font pâlir d’envie, n’apportent de contribution significative et substantielle à cette nouvelle édification du rapprochement. « Mét’a’theur », traduction rapide d’ « amertume » est bien le sentiment confus de ces « oubliés ».
Le danger est donc grand de voir se réinstaller, après cette révolution porteuse d’espoirs multiples, le sentiment encore persistant de relégation, d’ostracisme…qui ne déboucherait au final que sur de nouvelles éruptions de violences aveugles…de chaos de la désespérance.
Aucune condescendance, mais un intérêt bien compris devrait réveiller notre communauté de cet héritage de torpeur individualiste ou au mieux des réflexes de familialisme.
Il est tant de rouvrir en grand, les fenêtres, d’accompagner ses jeunes, qui vers un foyer et un petit boulot, qui vers une formation et un retour « digne », qui vers une autre destination ou un autre pays d’accueil…
Ne pas savoir que faire, où s’adresser, comment agir est bien le « dernier refuge » de cette obstination inconsciente à ne pas vouloir « s’engager ».
A contrario, et se faisant, si cela advenait, la multiplication de ces actions concrètes, visibles, sensibles, résonneraient en écho auprès des familles, des bourgs, villages et villes de Zarzis, Ben Gerdane, Tataouine, Rgueb, Mahrés, Gabès, Gafsa…
Hédi Sraieb