Assemblée constituante, un piège et des dangers ?
La haute autorité indépendante chargée de l’organisation des élections a porté à l’attention des citoyens de ce Pays une évidence : les élections n‘auront pas lieu le 24 juillet et seront retardées.
Ceci ne surprend personne, et pour la forme, les Partis politiques comme Ennahdha et le PDP se sont prononcé contre cette décision, alors que tous les autres partis politiques feront l’inverse, en se rangeant dans le camp de ceux qui trouvent raisonnable de repousser les élections à une date ultérieure techniquement possible.
Le Gouvernement a confirmé, sans en préciser la nature, des élections pour le 23 octobre, date qui semble réunir un consensus forcé au sein de la Haute Instance dans laquelle siègent 8 partis politiques sur les 97 autorisés à aujourd’hui.
Autant dire que ce consensus n’est que très relatif, et n’engage que ceux qui y croient.
Prérogatives et dangers de l’assemblée constituante
L’assemblée constituante aura dés son élection les pleins pouvoirs dans la mesure où elle représentera la seule institution qui bénéficie de la légalité consécutive à son élection.
En plus de la rédaction de la constitution, elle concentrera donc tous les pouvoirs et notamment:
- Le pouvoir législatif, dans la mesure où elle pourra promulguer des lois nouvelles et changer les anciennes,
- Le pouvoir exécutif, dans la mesure ou cette assemblée pourra désigner ou élire un Président, ainsi qu’un Gouvernement provisoire,
- Le pouvoir judiciaire, dans la mesure où elle nommera les juges et supervisera l’action de l’institution judiciaire,
Ceci situation de concentration des pouvoirs représente un risque réel et d’autant plus important que la mission de la Constituante ne peut être limitée dans le temps. En effet, il n’y a rien qui empêche cette Assemblée de rester des années dans la rédaction de la constitution et de retarder la date des élections législatives et présidentielle.
Bien évidemment, l’économie tunisienne ne peut supporter des années d’indécision et de Gouvernements provisoires, mais, qui donne aujourd’hui une importance à l’économique ?
Nous avons l’impression que nos hommes politiques ont tous oublié que la révolution trouve son origine dans des causes économiques, que sont la pauvreté, le chômage et l’épuisement de la classe moyenne.
Alors que faire pour se prémunir de ce danger, et retrouver rapidement la légalité ?
Plusieurs idées ont été envisagées pour limiter le champ d’action de l’Assemblée constituante, de peur que ce cumul des pouvoirs dans les mains d’une coalition de partis ne conduise à des dérives qui vont dans un sens sans rapport avec les objectifs de la révolution.
Le pacte républicain
Au sein de la Haute Instance Ben Achour, un texte appelé « le Pacte Républicain » a été proposé. Ce texte qui donne un certain nombre de garde-fous aurait l’intérêt d’éviter certaines dérives, mais ne limite pas dans le temps l’action de la constituante. Le parti Ennahdha a été le seul à refuser la signature de ce texte, donnant par la même occasion un aperçu de ses intentions non républicaines.
Ce texte a aujourd’hui peu de chances d’être signé.
Le référendum est la vraie expression de la volonté du Peuple
Une autre idée, qui semble faire son chemin est le recours à l’expression du Peuple par la voie d’un référendum. Finalement, en cas d’absence de consensus, il n’y a rien qui vaut l’appel à l’expression de la volonté du peuple et l’organisation d’un référendum.
L’une des idées consiste à proposer un référendum sur les aspects essentiels de la constitution, comme par exemple le choix du type de régime républicain (présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire).
Ceci évitera de se retrouver avec des systèmes non républicains comme les royautés ou les Khalifats.
Cette proposition devrait trouver un écho très favorable et est de nature à rassurer les tunisiens. Techniquement ce référendum pourrait être fait soit avant, soit le même jour que les élections de l’assemblée constituante.
Comment raccourcir la période de transition ?
L’une des idées est de limiter l’action de l’assemblée constituante à 6 mois, et surtout de ne pas lui donner le pouvoir exécutif. Le Président pourrait prolonger l’action du Gouvernement provisoire jusqu’à la fin de la rédaction de la constitution et l’organisation d’élections législatives.
Cette option a l’avantage de donner la priorité à la rédaction de la constitution et de donner des garanties dans le domaine de la séparation des pouvoirs. Elle offre aussi l’opportunité d’une certaine continuité de l’action gouvernementale.
Cet équilibre pourrait être garanti par l’armée nationale.
Comment améliorer le consensus dans la période de transition ?
Le Gouvernement l’a bien compris et il a commencé à faire participer dans ses consultations la totalité des partis politiques.
Rappelons que jusqu’à très récemment, plus de 85 Partis politiques étaient considérées comme n’ayant aucune existence, alors qu’ils ont un visa en bonne et due forme, des organes de décision et même des bureaux régionaux.
Le Gouvernement a en effet invité en congrès, et c’est une première, la Haute Instance et les représentants de tous les partis politiques pour annoncer la date des élections.
Il serait donc judicieux d’intégrer dans la Haute Instance tous les partis politiques qui souhaitent y entrer afin que le consensus soit le plus large possible et que le Pays continue dans la voie de l’apaisement.
Conclusions
Voilà des propositions qui devraient trouver un écho favorable chez tous les républicains de bonne foi. Elles conduiront aussi plusieurs Partis politiques à abandonner la course de la constituante dans la mesure où ces partis auront des garanties sur l’expression de la volonté du peuple à travers les choix d’un régime républicain.
Le combat politique se concentrera alors sur les élections législatives, autour de programmes économiques et sociaux, qui seront dominés par les thèmes de la lutte contre le chômage et la pauvreté. Ces élections et la sortie de cette période de transition pourrait être envisagée dés l’été 2012.
Avec plus d’un million de demandeurs d’emploi et une économie mise à genoux par 18 mois de gestion provisoire des affaires du pays, la tâche du premier Gouvernement non provisoire sera très rude.
Je vous laisse imaginer la situation si cette période de transition devait durer plusieurs années.
Enis Gaaloul
Président de l’Association Tunisie Moderne