A Hatem Zghal, l'ami parti sans dire au revoir
Il n’aura pas savouré longtemps la chute de la dictature contre laquelle il s’était battu depuis sa prime jeunesse, endurant à 20 ans, la prison avec ses camarades de Perspectives. Hatem Zghal, philosophe, militant irréductible pour la liberté et la démocratie vient de s’éteindre. Son compagnon de lutte, Abdelhamid Larguèche lui rend hommage.
Tu es parti sans dire au revoir, sans même avertir, toi qui était si présent avant et après la révolution ; présent dans notre vie, présent dans l’amitié, dans la pensée et dans l’action.
Présent par ta sagesse et ta parole incisive. Tu nous as accompagné depuis le premier jour de la révolution discrètement mais profondément.
Nous avons rédigé ensemble le premier appel aux intellectuels de Tunisie pour qu’ils s’engagent dans la révolution de leur peuple et quelques heures avant ta mort tu mettais le dernier point au texte qui appelle le pays à un véritable consensus national.
Tu n’as raté aucun des moments forts de cette étape cruciale de notre histoire. Tu as fondé l’Initiative Citoyenne avec ses textes et son esprit hautement civils. Tu as désigné à cette révolution et à nous même les limites au-delà desquelles tout devient aventure et débordement. La valeur citoyenne était à la base de ta pensée et de tes propositions pour l’action.
Pour celles et ceux qui ne t’ont pas connu avant la révolution et qui t’ont apprécié respecté et aimé tu incarnais l’humilité, la sobriété et la lucidité.
Je dis simplement que ton parcours mérite qu’on s’y attarde un instant. Nous allons bientôt en témoigner amis, élèves, famille et compagnons.
A 20 ans tu étais déjà en prison pour ton combat pour les libertés avec Gilbert Naccache, Mohamed Charfi, Noureddine ben Khedher et d‘autres parmi les jeunes militants de « Perspectives ».
Michel Foucault, ton professeur de philosophie ne manqua pas d’attirer l’attention de la jeunesse française de mai 68 sur l’exemple à suivre de ces militants tunisiens qui se lancèrent dans un combat inégal avec courage et détermination.
Puis vint le temps des désillusions idéologiques et tu gardas tes convictions intactes pour t’investir dans les champs du savoir et de la philosophie et nous faire redécouvrir à la lumière de la métaphysique et de toute la philosophie grecque depuis Aristote les écrits des philosophes et des savants arabes ; tes amis parmi les académiciens comme Rochdi Rached, Ahmed El-Hasnaoui, Mohamed Ali Halouani, Salah Kchaou et d’autres témoigneront de cet apport ainsi que d’autres de tes collègues et de tes étudiants de l’université tunisienne. Mais le devoir académique n’empêcha pas le citoyen d’être toujours là, éveillé et averti, dans les batailles syndicales et les combats démocratiques.
Et comme tout intellectuel patriote tu as toujours pétitionné lorsqu’il le fallait et dès 2001 tu as joint ta signature aux nôtres dans le Manifeste des libertés qui mettait à nu le dictateur en lui disant « monsieur le président tu as aboli la politique et tu as privatisé l’état s’il te plait va-t-en, ne te représentes pas en 2004 ». Dix ans après, la jeunesse a eu raison de Ben Ali, elle l’a chassé dans cette révolte exaltante et tu étais là pour vivre ce moment et accompagner la jeunesse de ton pays.
Tu es parti, on n’a plus rien à te dire sauf : « c’est trop injuste, ton départ est si précipité, si brutal, nous espérons trouver suffisamment de ressources pour continuer le chemin que tu as si bien semé de roses et d’espoir ».
Adieu Hatem
Abdelhamid Larguèche,
Mounir Kchaou