A Sfax, Caïd Essebsi mesure l'ampleur de la transition
C’est une Tunisie différente, en pleine effervescence, que le Premier ministre, M. Béji Caïd Essebsi voyait se dérouler sous son regard en se rendant mardi après-midi à Sfax inaugurer la foire. D’habitude hyper bien organisée, la cérémonie d’ouverture avait illustré en 45 ans, l’ascension économique et le culte de la réussite qui caractérisent la région. Cette année, elle ne pouvait mieux exprimer la transition démocratique après le 14 janvier. Le Premier ministre était, en effet, accueilli devant la Foire par des groupes de manifestants, qui dans un ordre bien encadré n’ont pas raté, l’occasion pour exprimer leurs doléances sociales et politiques.
Sur leurs banderoles comme dans les slogans scandés, les revendications portent sur l’emploi, la fidélité au sacrifice des martyrs, l’annulation de la dette et l’éradication des racines de l’ancien régime. M. Caïd Essebsi y a prêté attention avant d’aller rapidement couper le ruban et saluer les personnalités venues l’accueillir. Là aussi, le paysage a changé. Reviennent en surface, avec beaucoup d’égard les Mansour Moalla, M’hammed Chaker, Mohamed Baccour , Noureddine Ketari et de nombreux militants de différentes familles politiques, longtemps matés sous l’ancien régime. Mais aussi, et pour la première fois, des dirigeants de partis politiques : Ahmed Néjib Chebbi, Maya Jeribi (PDP), Emna Menif (Afek Tounes), Al-Iskander Rekik (ANPP), Mohamed Koumani (MRD), etc.
Qu’est-ce qui a incité ces politiques à se rendre à Sfax ? Montrer leur intérêt pour les questions économiques ? Pour la région ? Pour ses hommes d’affaires pouvant se révéler de généreux donateurs ? Tout à la fois, sans doute. Ce qui est certain, c’est qu’ils ont bien à profit leur visite pour multiplier, chacun de ses côtés, les contacts, mais aussi s’entretenir avec le Premier ministre, dans un cadre convivial que le président de la foire, M. Abdellatif Zayani, a su organiser.
Un point saillant dans l’organisation, cependant, les nombreuses bousculades et le débordement qui ont, parfois, pris de court, organisateurs et escorte. Les ministres Abderrazak Zouari, Mohamed Aloulou, Mehdi Houas et Abdelaziz Rassaa ont failli en faire les frais, tout comme nombre d’autres invités. Mais, tout a fini par rentrer dans l’ordre, lors de la réception offerte après l’inauguration.
La cérémonie d’ouverture n’était pas, elle aussi, exempte «d’animations». Dès que M. Zayani a pris la parole pour souhaiter la bienvenue au Premier ministre et aux convives, une demi-douzaine d’adhérents de l’Utica a essayé de protester bruyamment contre la légitimité du bureau régional, en rappel d’un contentieux pourtant tranché par les tribunaux. Au nom de la liberté de parole, personne ne pouvait les empêcher, mais la salle a fini par les inviter à respecter les hôtes et changer d’arène. M.Zayani captera l’attention en rappelant les grandes attentes de la région longtemps bafouées: l’aménagement d’un métro-léger, la relance du port commercial et l’accélération de la zone Taparura, l’intensification des investissements publics, la déconcentration du centre-ville et, une plus grande interaction avec les gouvernorats limitrophes, notamment Sidi Bouzid et Gabès.
A peine arrivé sur le tarmac, de l’aéroport de Sfax Thyna, M. Caïd Essebsi, interpellé par l’un de ses hôtes de «faire un discours aussi brillant que celui prononcé lors du Forum des Investisseurs», avait promis de faire mieux. Promesse tenue. L’humour sera présent, la fermeté aussi : «Dégage ! C’est fini !» affirmera-t-il, au grand bonheur des chefs d’entreprise qui ne cherchent qu’à être rassurés pour se livrer au travail. Hommage aussi à l’hospitalité de Sfax et des Sfaxiens à l’égard des réfugiés libyens : «Sfax est un avant-poste tunisien pour la Libye et je connais la qualité des liens qui unissent nos deux peuples», soulignera-t-il. Puis, un retour sur la résistance de Sfax, en juillet 1881, contre la flotte de l’Amiral Garnault, « dernière ville tunisienne à se rendre », le martyre de Hédi Chaker et de ses disciples, le militantisme syndical, l’opposition politique et la rupture avec l’ancien régime, avant de rebondir sur l’impératif de l’investissement et de la reprise économique. Le tout ponctué par ses petites phrases. A quelqu’un qui lui lance «à Sfax, nous manquons de moyens», il rétorque du tac-au-tac : peut-être, mais pas de facultés mentales, ni de patience et de courage, alors allez-y !»
Dans l’avion qui le ramenait à Tunis, très détendu malgré le contre-temps d’une petite panne technique lors du vol aller, rapidement maîtrisée, et une longue et dure journée, le Premier ministre, n’hésitait pas à partager avec la presse sa joie d’avoir vu cette Tunisie se recomposer, jour après jour. Son premier grand déplacement à l’intérieur du pays (juste après Monastir et Kairouan, lors de la commémoration du décès de Bourguiba), aura été bien réussi. Béji Caïd Essebsi aime aller dans les régions, et encore plus se mettre à l’écoute et porter le message.